Chers Amis,

 

 

Pour célébrer la métamorphose de notre Association, qui prend désormais le nom de son Bulletin, Le Porche, et qui, sans abandonner Saint-Pétersbourg ni la Russie, étend ses activités à la Pologne et à la Finlande, nous avons voulu vous présenter un numéro consacré à la poésie spirituelle de ces trois pays. Nous avons choisi des poètes de notre temps, encore peu connus en France, même si l’un d’entre eux, Mère Marie Skobtsov, a vécu et agi plus de vingt ans dans notre pays. Et comme notre Association, dans sa métamorphose, reste l’Association des Amis de Jeanne d’Arc et de Charles Péguy, nous ne pouvions mieux faire que de choisir des poèmes d’inspiration spirituelle.

Nous dédions ce dixième bulletin à la mémoire de nos amis disparus depuis la création de l’Association : témoignage de reconnaissance pour leur soutien et leur confiance.

Nous remercions très vivement tous ceux qui ont collaboré à ce numéro, à divers titres, en présentant ou en traduisant les auteurs, ou – tâche aussi humble et ingrate qu’indispensable – en assurant la mise en page. Je remercie donc en votre nom : Lioudmila Chvedova, Tatiana Victoroff, Maria Żurowska, Claude Foucher, Osmo Pekonen, Jan Turnau, Romain Vaissermann et Marguerite-Marie Avril.

Notre ami franc-comtois, Joseph Meyer, a donné beaucoup de son temps pour préparer une couverture qui soit digne du contenu et des ambitions de ce nouveau Bulletin. Qu’il soit remercié de son accueil et de sa patience.

Enfin, comment ne pas remercier le Père Jan Twardowski de nous avoir permis de publier, pour la première fois – je crois – en français, quelques-unes de ses œuvres, et Madame Ritva Heikkilä, veuve du poète, de nous avoir écrit, en nous autorisant à publier les poèmes de son mari : « C’est un honneur que surtout les hommes qui aiment et respectent Jeanne d’Arc veuillent recevoir aussi les poèmes de Lasse Heikkilä sur Jeanne. Ce fut l’une des plus magnifiques expériences de la vie de Lasse que de prendre conscience que le message le plus profond de Jeanne d’Arc ne s’adressait pas seulement à la France mais au monde entier. » ?

Merci de votre fidélité.

 

 

Yves Avril


 


Poètes spirituels

de la Russie, de la Pologne et de la Finlande

 

Sommaire

Éditorial…………………………………………………………………………………

1

Sommaire ……………………………………………………………………………….

3

Dédicace…………………………………………………………………………………

5

 

Russie

 

La France des cathédrales par les poètes russes (trad. J.-L. Backès, L. Chvedova,

 R. Vaissermann)

     Lioudmila Chvedova : « Les poètes russes chantent la cathédrale de Reims »……….

 9

Maximilien Volochine : « Notre-Dame de Reims » …………………………………………..

12

Ossip Mandelstam : « Reims et Cologne »…………………………………………………….

14

Ossip Mandelstam : « Reims-Laon » ……………………………………

16

Valéry Brioussov : « Au Teuton »……………………………………………………………..

16

Michel Kouzmine : « Vous avez tout pouvoir […] »………………………………………….

20

 

Mère Marie (trad. H. Arjakovsky-Klépinine, É. Behr-Sigel, O. Clément)

Tatiana Victoroff : « Je ne veux connaître que la joie de donner […] »…………………...

23

Du livre 1949

« Poésie de jeunesse »………………………………………………………………………….

28

« Sans cesse je perçois un grondement secret […] » (du cycle « Messagers ») ………………

30

« J'ai cherché la race secrète […] » (du cycle « Vagabondages »)……………………………

32

« À chacun je voudrais donner mon âme […] » (du cycle « Attentes ») ……………………...

32

« Le rite de la terre – nourrir de soi les graines […] » (du cycle « La Terre »)………………

34

« Un peu de bois futile, l'âme […] » (du cycle « Profession monastique ») ………………….

36

« Deux triangles, une étoile […] » (du cycle « Protection mariale »)…………………………

36

Du livre 1937

« Je jette mon âme à leurs pieds […] » (du cycle « Sur la vie »)………………………………

40

« Dans la clarté qui est venue soudain […] » (du même cycle) ……………………………..

42

« M'est donnée une force qui dépasse mes forces […] » (du cycle « Sur la mort »)………….

42

« Non, même l'échelle de la foi invincible […] » (du même cycle) …………………………..

46


Pologne

 

Jan Twardowski (trad. M. Żurowska et Y.Avril)

Jan Turnau : « Présentation de Jan Twardowski »…………………………………………

51

« Saint François d’Assise » ……………………………………………………………………

54

« Arbres »………………………………………………………………………………………

54

« Prière à Saint Jean de la Croix » …………………………………………………………….

56

« La grande et la petite »……………………………………………………………………….

56

« Qui implore l’amour » ………………………………………………………………………

58

« Lorsque tu dis »………………………………………………………………………………

58

« Scrupules d’un ermite » ……………………………………………………………………..

60

« Attends »……………………………………………………………………………………..

60

« Rien ne m’a brisé »………………………………………………………………………......

64

« Le ciel »

64

« Je crains Ton amour » ……………………………………………………………………….

66

« Hâtons-nous »………………………………………………………………………………..

68

 

Finlande

 

Lasse Heikkilä (trad. Y. Avril)

 

Osmo Pekonen : « Quelques mots sur Lasse Heikkilä »……………………………………

73

 

« Finlande, I et II »…………………………………………………………………………......

76

 

« Terra Mariana, I et II »............................................................................................................

«  Jeanne, I, II et III  »………………………………………………………………………….

88

98

 

« Avance »……………………………………………………………………………………..  104

 

Aale Tynni (trad. Y. Avril)

 

     Osmo Pekonen : « Aale Tynni ».........................................................................................

  107

 

« À Reims »……………………………………………………………………………….....

  108

 

 


À la mémoire de

 

 

 

 

Vladimir Raïtsess

 

Stella Abramovitch

 

Yves Lemaignen

 

Jacques Boudet

 

Régine Pernoud

 

Bernard Tranié

 

Iouri Égorov

 

André Barré

 

Yves Rey-Herme

 

Sylvain Pallaud

 

Yvonne Latour

 

Jean-Claude Giraud


 


 

 

 

 

 

 

 

 

Russie

 

 

 

 

œ



 

Les poètes russes chantent la cathédrale de Reims

 

 

 

Lioudmila Chvedova

 

 

 

 

Au XXe siècle, poètes français et russes ont beaucoup écrit sur le sort tragique de la cathédrale de Reims, lieu de sacre des rois de France et qui souffrit tant en septembre 1914, « cathédrale martyre », lors des bombardements allemands.

Nombreux sont les poètes russes à avoir plaint le destin tragique de cette cathédrale magnifique et à lui avoir dédié leurs poèmes. Nous présenterons ici quatre de ces poètes, qui ont évoqué la cathédrale de Reims : Maximilien Volochine, Ossip Mandelstam, Valéry Brioussov et Michel Kouzmine.

Maximilien Volochine (1878, Kiev – 1932, Koktébel), poète et peintre, sentait parfaitement l’esprit des cathédrales gothiques, la symbolique de ces « cristaux de la pensée médiévale », ayant même conçu un livre intitulé Doukh gotiki (soit L’Esprit du gothique) qui, malheureusement, ne fut jamais achevé et dont A.V. Lavrov publia quelques extraits dans l’article « L’esprit du gothique »[1]. Voyageur passionné, Volochine a visité les cathédrales de Rouen, de Strasbourg, de Chartres, de Reims, de Paris sans parler des cathédrales d’autres pays européens (celle de Milan par exemple). Chaque rencontre avec une cathédrale était liée pour lui à une émotion très profonde. En pénétrant dans une cathédrale gothique, son âme devenait comme « les voûtes et les portails ». En même temps l’art gothique était pour lui l’incarnation d’une logique, d’une certaine hiérarchie : il écrivait dans son autobiographie qu’il apprenait la logique dans le gothique des cathédrales, le latin médiéval chez Gaston Paris, la versification chez Gautier et Heredia, la peinture chez les impressionnistes. 

Volochine a écrit plusieurs poèmes sur l’art gothique dont les plus importants sont La Cathédrale de Rouen (1905-1907), Notre-Dame de Reims (1915), La Lettre (1904) (où il parle de l’église gothique Saint-Germain-l’Auxerrois à Paris), Paris (1904) ( où il évoque Notre-Dame de Paris).

Maximilien Volochine fut frappé par la tragédie de Reims. L’idée de la destruction de la cathédrale de Reims lui était insupportable. Le 19 février 1915, il écrivit « Notre-Dame de Reims », poème dédié à la cathédrale-martyre. Volochine choisit pour épigraphe une citation du livre d’Auguste Rodin Les Cathédrales de France : « Vue de trois quarts, la cathédrale de Reims évoque une grande figure de femme agenouillée, en prière ». Il développa cette magnifique image féminine en évoquant la cathédrale couverte d’un voile. La description métaphorique de cette « perle entre les perles » se termine tragiquement : la cathédrale est crucifiée, elle tend ses bras carbonisés vers les cieux glacés. On perçoit dans ce poème certaines correspondances avec d’autres écrivains, artistes, peintres qui évoquèrent le drame de la cathédrale de Reims (les aquarelles d’Antoine Bourdelle, l’estampe d’Adrien Sénéchal L’Art en deuil), ce qui témoigne du caractère universel de ce drame.

Ossip Mandelstam (1891, Varsovie – 1938, près de Vladivostok), grâce à ses voyages, connaissait surtout les cathédrales de France et d’Allemagne. Les notions de cathédrale et de pierre étaient essentielles pour sa poésie. L’architecture est devenue le modèle de sa création poétique. Son recueil poétique intitulé La Pierre (1913) contient beaucoup de poèmes liés à l’architecture et notamment à l’architecture médiévale. Le but de ce recueil était de trouver l’idée de l’architecture des mots et de s’assurer de la priorité des valeurs concrètes, visibles, palpables sur les valeurs abstraites. « [...] nous introduisons l’ordre gothique dans les rapports de mots comme Jean-Sébastien Bach l’a fait dans le domaine de la musique », dit-il dans son article « Le matin de l’acméisme ».

Mandelstam se sentait très proche de la foi catholique. Il avouait à son ami Viatcheslav Ivanov : « Cher Viatcheslav Ivanovitch, est-ce que celui qui pénètre sous les voûtes de Notre-Dame réfléchit à la vérité du catholicisme, est-ce qu’il ne devient pas catholique par la seule vertu de sa présence sous ses voûtes ? »

Plusieurs poèmes de Mandelstam sont consacrés aux cathédrales médiévales. On pourrait citer « Notre-Dame » (1912), « Que m’est odieuse la lumière » (1912), « Reims et Cologne » (1914), « Reims et Laon » (1937) et son article « Le matin de l’acméisme » (1919). Il a dédié à la cathédrale de Reims les poèmes « Reims et Cologne » et « Reims et Laon ». Mais, comme on le voit d’après les titres, il ne s’agit pas uniquement de la cathédrale de Reims, mais également de deux autres cathédrales. On peut supposer qu’il s’agit d’une comparaison ou d’une juxtaposition. Le poème « Reims et Cologne » était écrit juste après les événements tragiques de la guerre de 1914. Bien que le poème soit une réaction aux bombardements de Reims, Mandelstam commence par évoquer la cathédrale de Cologne, frappée par un monstrueux tocsin annonçant la destruction de sa sœur rémoise. Le poète ne juge pas les vandales, mais appelle l’art à réconcilier les peuples, à empêcher la guerre.

Notons que dans l’original, à la fin du poème, Cologne s’adresse à son « frère rémois », mais la traduction était obligée de le remplacer par un être féminin –  « notre sœur rémoise », ce qui s’explique par la différence de genre du mot « cathédrale » en français et en russe. D’après Mandelstam, la cathédrale a pour mission de réconcilier les peuples, de leur faire sentir leur fraternité, d’empêcher la guerre, source de tous les malheurs. Les cloches de la cathédrale de Cologne font reproche au peuple allemand. L’art souffre pendant la guerre comme les personnes humaines. Les deux cathédrales sont comme deux êtres vivants qui perdent leurs proches à cause de la guerre. Cette personnification rend le poème très riche au plan émotionnel. La première version du poème contenait encore deux strophes placées au début et parlant de la destruction même de la cathédrale de Reims. Mais Mandelstam les a enlevées exprès, pour charger son œuvre d’un autre sens, pour lui plus important. Ce n’est pas la description du fait de la destruction qui compte, mais l’émotion, la douleur que cette destruction a causée.

Le poème écrit plus tardivement et intitulé « Reims et Laon » ne parle pas de la tragédie de 1914 mais présente les deux cathédrales d’une manière assez originale et inhabituelle. Le poème est très métaphorique, nous ne saisissons pas tout de suite qu’il s’agit des cathédrales, mais beaucoup d’allusions nous le font comprendre. Ici ce n’est pas la cathédrale qui est comparée au monde végétal et animal, mais c’est ce monde qui nous rappelle l’univers des cathédrales. Le poème commence par l’évocation d’un lac penché qui fait allusion à la façade d’une cathédrale. Ensuite, on voit des poissons jouant avec la rose, qui est certainement l’élément architectural, et le lion qui lutte avec le renard. Ces images font penser aux chimères zoologiques de la cathédrale. Dans la deuxième strophe apparaît l’image de trois portails qui aboient et d’un rocher qui soupire par ses tours. Tout ce monde fantastique représente pourtant deux cathédrales réelles : celle de Reims et celle de Laon. On y reconnaît les tours et les roses de Laon et le portail, ainsi que les sculptures animales de Reims. Le poème est très dynamique : tous les personnages qui peuplent les cathédrales sont en mouvement. L’esprit et le ton du poème sont très différents par rapport au poème précédent. Il n’est pas pathétique, ni émotionnel, mais très imagé et métaphorique.

La tragédie de Reims n’a pas laissé indifférent Valéry Brioussov  (1873, Moscou – 1924, Moscou). Ce dernier a consacré à la cathédrale de Reims son poème « Tyevtonou » [« Au Teuton »] (1914), qui appelle à la vengeance. D’après le poète, la vengeance doit être effectuée par les chimères de la cathédrale, qui, en incarnant tout le mal du monde par leur aspect terrifiant, ont pour mission de protéger la cathédrale et d’écarter les forces maléfiques. Chez Brioussov, on retrouve l’idée qu’avait Mandelstam de la fraternité, de la parenté des cathédrales. La troisième strophe du poème parle des chimères de la cathédrale de Paris qui entendent l’appel de leur sœur de Reims. Ce n’est pas par hasard que le maçon a placé tout en haut de la cathédrale « la foule de ses rêves cauchemardesques ». Les chimères sont les défenseurs de la sainteté. Le jugement qui n’était pas accompli par les hommes doit être achevé par les forces mystérieuses incarnées par les chimères.

Michel Kouzmine (1875, Iaroslavl – 1936, Léningrad), un des précurseurs de l'acméisme, qui avait célébré dans son oeuvre "la belle clarté", aborde le sujet de la destruction de la cathédrale de Reims en septembre 1914, dans son poème "Vous avez le pouvoir de détruire les tours […]", d'une manière assez proche de Valéry Brioussov. Non que son poème appelle directement à la vengeance; mais sa dynamique exprime une protestation violente contre les ennemis de l'art et du sacré. La fin du poème nous laisse espérer que le temple "œuvré par des milliers de cœurs" et crucifié, selon la représentation de Maximilien Volochine, un jour ressuscitera.

Le destin tragique de la cathédrale de Reims a suscité toute une série de réactions d’écrivains, poètes, peintres, sculpteurs. L’exposition organisée en juin-octobre 2001 à Reims au Musée des Beaux-Arts et intitulée « Mythes et réalités de la cathédrale de Reims » illustre bien la tragédie de Reims de 1914. Certains tableaux de cette exposition firent écho aux poèmes de Volochine, Brioussov, Kouzmine et Mandelstam. L’estampe d’Adrien Sénéchal « L’art en deuil » évoque la cathédrale telle une femme enveloppée d’un voile de deuil qui recouvre la cathédrale mutilée. La pièce d’Eugène Morand Les Cathédrales met en scène un immense décor représentant l’édifice rémois enflammé. Les cathédrales sont également associées par l’auteur de cette pièce à des femmes en deuil. Le rôle de la cathédrale de Strasbourg était joué par Sarah Bernhardt. Le thème de crucifixion de la cathédrale y est largement représenté. Il s’agit de l’estampe de Lesbroussart « Ibi crucifixerunt eum », qui compare l’incendie de Reims à la crucifixion; de l’estampe d’Isabelle Charlier « Cathédrale de Reims » (1914) évoquant un crucifix dans la cathédrale incendiée. La cathédrale est surtout associée, à cette époque, à la figure du Christ et à la sainte martyre, Jeanne d’Arc. Penchons-nous sur la série d’aquarelles d’Antoine Bourdelle « Martyre de Reims », symbolique et profondément émue. Marc Vromant résume avec justesse dans Comœdia la démarche du sculpteur : « Il n’a pas figuré la grande catastrophe de Reims d’une façon documentaire avec l’exactitude de reportage comme le font presque toutes les compositions inspirées par ce drame; il en a dégagé le symbole et l’esprit. » On pourrait rapporter les mêmes paroles aux poètes dont on a parlé, qui ont transmis le symbole de cette tragédie. Dans sa série d’aquarelles, Bourdelle ne représente pas l’architecture, mais plutôt la statuaire de la cathédrale. On y voit des statues mutilées, brisées, supportées par des anges. Mais ce qui nous intéresse surtout, c’est la partie de ses aquarelles inspirée par la crucifixion du gâble nord de la façade. Cette série, on pourrait l’intituler également « L’art crucifié », d’après le titre d’une des aquarelles. On y voit le Christ soutenu par des anges. Sur la croix se lit une succession de dates : 1914, 1915, 1916, 1917 – années où il a créé cette série.

La tragédie de Reims a inspiré une profonde émotion chez de nombreux poètes, sculpteurs, peintres. Elle n’a pas laissé indifférent les personnes appréciant la beauté de cette cathédrale. L’exemple des quatre poètes russes qu’on a présentés prouve que l’admiration et la compassion pour cette cathédrale n’a pas de frontières.


Максимилиан Волошин

 

Реймская Богоматерь

 

Марье Самойловне Цетлин

 

Vue de trois quarts, la Cathédrale de Reims évoque une grande figure de femme agenouillée, en prière.

Rodin

 

В минуты грусти просветленной

Народы созерцать могли

Ее – коленопреклоненной

Средь виноградников Земли.

И всех, кто сном земли недужен,

Ее целила благодать,

И шли волхвы, чтоб увидать

Ее – жемчужину жемчужин.

Она несла свою печаль,

Одета в каменные ткани

Прозрачно-серые, как даль

Спокойных овидей Шампани.

И соткан был ее покров

Из жемчуга лугов поемных,

Туманных утр и облаков,

Дождей хрустальных, ливней темных.

Одежд ее чудесный сон,

Небесным светом опален,

Горел в сияньи малых радуг,

Сердца мерцали алых роз,

И светотень курчавых складок

Струилась прядями волос.


Maximilien Volochine

 

Notre-Dame de Reims

 

à Maria Samoïlovna Tsetline

 

Vue de trois quarts, la cathédrale de Reims évoque une grande figure de femme agenouillée, en prière.

Rodin

 

Quand leur tristesse était lucide,

Les hommes avaient le pouvoir

De la contempler à genoux

Parmi les vignes de la Terre.

Et sa grâce réconfortait

Ceux qu’étouffait le mal terrestre.

Les mages venaient pour la voir,

Elle - perle entre les perles.

Elle portait le deuil, vêtue

D’amples tissus de pierre grise,

Nébuleux, comme les lointains

Des calmes plaines de Champagne.

Dans son voile s’étaient tissés

La perle des prairies humides,

Les brouillards du matin, les pluies

De cristal, les sombres averses.

La lumière des cieux jouait

Dans le rêve de sa parure,

Brûlait dans la clarté des arcs,

Dans le cœur de ses roses rouges.

Le clair-obscur de ses replis

Coulait comme une chevelure.


Земными создана руками,

Она сама была землей –

Ее лугами и реками,

Ее предутренними снами,

Ее вечерней тишиной.

... И обнажив, ее распяли...

Огонь лизал, и стрелы рвали

Святую плоть... И по ночам,

В порыве безысходной муки,

Ее обугленные руки

Простерты к зимним небесам.[2]

1915

 

***

 

Осип Мандельштам

 

Реймс и Кельн

 

...Но в старом Келне тоже есть собор,

Неконченный и все-таки прекрасный,

И хоть один священник беспристрастный,

И в дивной целости стрельчатый бор;

 

Он потрясен чудовищным набатом,

И в грозный час, когда густеет мгла,

Немецкие поют колокола:

Что сотворили вы над реймским братом?[3]

1914

***

 


Des mains de terre l’avaient faite.

Elle-même, elle était la Terre,

Et ses prairies, et ses rivières,

Et ses rêves d’avant l’aurore,

Et la sérénité des soirs...

On l’a dépouillée, crucifiée...

Son corps pur a souffert la flamme,

Les flèches aiguës... Et, la nuit,

Dans ses élans d’affreuse angoisse,

Tendant ses bras carbonisés

Elle implore le ciel glacé.

1915

Traduit par Jean-Louis Backès

***

 

Ossip Mandelstam

 

Reims et Cologne

 

Le vieux Cologne aussi a une cathédrale,

Elle est inachevée et pourtant magnifique ;

Il est un prêtre au moins au visage stoïque,

Dans la forêt fléchée, ô merveille intégrale.

 

Un tocsin monstrueux, de manière sournoise,

L’ébranle dans le noir en ce terrible instant,

Les cloches d’Allemagne entonnent triste chant :

« Qu’avez-vous fait, hélas, à notre sœur rémoise ? »

1914

 

Traduit par Lioudmila Chvedova et Romain Vaissermann

 

***


Реймс - Лан

 

Я видел озеро, стоящее отвесно.

С разрезанною розой в колесе

Играли рыбы, дом построив пресный.

Лиса и лев боролись в челноке.

 

Глазели внутрь трех лающих порталов

Недуги-недруги других невскрытых дуг.

Фиалковый пролет газель перебежала,

И башнями скала вздохнула вдруг.

 

И, влагой напоен, восстал песчаник честный,

И средь ремесленного города-сверчка

Мальчишка-океан встает из речки пресной

И чашками воды швыряет в облака.

1937

 

***

 

Валерий Брюсов

 

Тевтону

 

Ты переполнил чашу меры,

Тевтон, – иль как назвать тебя!

Соборов древние химеры

Отмстят, губителя губя.

 

Подъявший длань на храмы-чудо,

Громивший с неба Notre-Dame

Знай: в Реймсе каменная груда

Безмолвно вопиет к векам!


Reims  - Laon

 

J’ai vu un lac, mais vertical ;

Des poissons avaient construit une maison fade

Et jouaient avec, dans une roue, une rose découpée.

Un renard et un lion se battaient dans une barque.

 

À travers trois portails qui aboyaient,

Regardaient des maladies hostiles à d’autres arcs ;

Une gazelle faisait le tour d’un vitrail violet ;

Un roc soudain soupira comme un donjon –

 

Gorgé d’humidité, un honnête grès se dressa ;

Au cœur d’une ville-grillon, pleine d’artisans,

Le gamin-océan émerge de la rivière fade

Et jette aux nuages de l’eau par tasses entières.

1937

Traduit par Jean-Louis Backès

***

 

Valéry Brioussov

 

Au Teuton

 

Tu as passé les bornes de la coupe,

Teuton, pourrais-je un autre nom choisir ?

Les vieilles chimères des cathédrales

Se vengeront en te faisant périr.

 

En menaçant les temples magnifiques,

Osant du ciel bombarder Notre-Dame,

Tu dois savoir que les pierres de Reims

Implorent l’histoire tragiquement.


 

И этот вопль призывный слышат

Те чудища, что ряд веков,

Над Сеной уместившись, дышат

Мечтой своих святых творцов.

 

Недаром зодчий богомольный

На высоту собора взнес,

Как крик над суетой юдольной,

Толпу своих кошмарных грез.

 

Они – защитницы святыни,

Они – отмстительницы зла,

И гневу их тебя отныне

Твоя гордыня обрекла.

 

Их лик тебе в дыму предстанет,

Их коготь грудь твою пробьет,

Тебя смутит и отуманет

Их крыльев демонский разлет;

 

И суд, что не исполнят люди,

Докончат сонмы скрытых сил

Над тем, кто жерлами орудий

Святыне творчества грозил.[4]

 

1914


 

Leur cri aigu et implorant entendent

Les monstres qui, tout au long des époques

Blottis, surplombant la Seine, respirent

Le rêve de leurs divins fondateurs.

 

Et ce n’est pas en vain que l’architecte

Pieusement en haut des cathédrales

Posa la foule de ses cauchemars

Pareils au cri troublant la vanité.

 

Ils sont les défenseurs du saint chef d’œuvre,

Ils sont les courageux vengeurs du mal,

Et leur courroux punira désormais

Ta superbe qui leur sera soumise.

 

Leur face tu verras dans les fumées,

Leurs griffes te perceront la poitrine

Et la largeur des ailes démoniaques

Te troublera, t’ombragera l’esprit.

 

Le jugement qui n’est pas fait par l’homme

S’achèvera par leurs forces secrètes

Et souffrira celui qui les canons

Sur le chef d’œuvre saint osait braquer.

 

1914

 

Traduit par Lioudmila Chvedova


Михаил Кузмин

 

Вы можете разрушить башни

И осквернить святой собор,

Вы можете спалить все пашни

И заповедный, старый бор.

 

В дыму дворцов и библиотек

Спокойно и легко дышать,

Метнув в Мадонну дерзкий дротик,

Не вскрикнуть, не затрепетать.

 

Позор воителя Омара

Пред вашим нынешним – ничто.

Средь стона жертв, в огне пожара –

Одно безумье разлито.

 

Испепеляйте, грабьте, жгите!

Презренье вам ответ, – не страх.

С небес невидимые нити

Восстановляют падший прах.

 

И мраку косности тлетворной

Не затемнить на зло векам

Свободный и нерукотворный

Сердцами строящийся храм![5]

 

1914

 


Michel Kouzmine

 

Vous avez tout pouvoir de détruire les tours

Comme de profaner la sainte cathédrale ;

Vous avez tout pouvoir d’incendier les champs

Ou la vieille forêt en défends.

 

Qu’il est aisé, vraiment, de respirer au calme

Les fumées des palais et des bibliothèques,

D’une flèche acérée de viser la Madone

Sans nul cri, sans aucune émotion !

 

Du guerrier Omar[6] le forfait légendaire

S’efface désormais devant votre conduite ;

Au cœur de l’incendie, sous les cris des victimes,

La démence est partout répandue.

 

Pillez donc, incendiez donc, exterminez !

Ce que vous inspirez ? Du mépris, non la peur :

Guidés du haut des cieux, des fils invisibles

Redresseront les ruines en poudre.

 

L’obscurité d’une routine pernicieuse

Jamais, au grand jamais, ne pourra l’ombrager,

Ce temple-liberté qui n’est pas de main d’homme

Mais œuvré par des milliers de cœurs.

 

1914

 

Traduit par Lioudmila Chvedova et Romain Vaissermann

Je ne veux connaître que la joie de donner

Oh, consoler de tout son être la douleur du monde...[7]

 

 

 

Tatiana Victoroff

 

 

 

Ces lignes appartiennent à Mère Marie Skobtsov, une poétesse religieuse russe dont le nom n’a longtemps été connu en Russie que comme celui d’une héroïne de la Résistance, morte martyre au camp de Ravensbrück. C’est seulement ces dernières années que l’on a commencé à redécouvrir son héritage artistique, qui se trouve être extrêmement riche : cette poétesse suivit la tradition poétique de Vladimir Soloviev, fut philosophe, théologienne, écrivain, peintre, iconographe, journaliste[8]… Sa vie s’inscrit dans le destin de toute une génération initiatrice de ce que l’on appelle aujourd’hui la renaissance religieuse russe du début du XXe siècle, renaissance qui s’est poursuivie et développée dans l’émigration. Fille de son siècle, Mère Marie en a incarné les contradictions : son attirance pour les métamorphoses révolutionnaires se change en soif de construction de la Nouvelle Cité céleste ; son aspiration à l’héroïsme, en compassion maternelle pour tous les « petits de ce monde » – ce qui l’amène au service monastique.

 

Mère Marie, de son nom de jeune fille Élisabeth Pilenko, est née à Riga en 1891. Mais son enfance s’est déroulée à Anapa, au bord de la mer Noire, une mer dont le rythme se fait sentir dans ses premières œuvres poétiques. Son premier recueil, Les Tessons Scythes (1912), appartient idéologiquement et spirituellement au « mouvement scythe » de ces années-là : Élisabeth s’était liée d’amitié avec le maître à penser de ce mouvement : Alexandre Blok, comme en témoigne leur remarquable correspondance. On a récemment retrouvé un manuscrit du Chemin, annoté par Blok et qui illustre les premières « leçons » que donne le grand poète à la poétesse débutante. Élisabeth gardera jusqu’à ses derniers jours le souvenir de ces entretiens et le sentiment d’une relation mystique avec le poète, dont elle voulait assumer spirituellement la souffrance et le fardeau. Formée dans la société pétersbourgeoise et moscovite du début du XXe siècle, elle se sentait à l’aise dans l’entourage des poètes, et elle a laissé également des récits de ses rencontres avec Andréï Biély, Vyatcheslav Ivanov, Nikolaï Goumilev, Anna Akhmatova[9]. Dans son deuxième recueil, « Ruth » (1916), elle apparaît déjà comme une poétesse mûre, avec ses propres thèmes, qu’elle développera ultérieurement.

 

À cette époque, comme beaucoup d’autres dans son milieu, elle s’implique dans le combat social et devient une militante active du parti des socialistes–révolutionnaires (S.-R.). Au milieu de la tourmente de la guerre civile, elle se retrouve à la tête de la ville d’Anapa, pour la protéger de la destruction et des dégradations des centres culturels – « comme le grand Kant dans son Kœnigsberg », dira plus tard son avocat Korobine. Elle est en effet arrêtée et jugée en mars 1919 par les « Blancs » pour être restée à son poste à l’arrivée des bolcheviks et ne doit, sans doute, d’échapper à la peine de mort qu’à l’influence de son futur mari Daniil Skobtsov, membre en vue des cosaques du Kouban’. Quelques mois plus tard, elle émigre, emmenant avec elle sa fille Gaïana (née de son premier mariage) et sa mère. Passant par Constantinople puis par la Serbie, cinq ans plus tard elle est en France, où finalement toute la famille se trouve réunie.

 

En 1926, sa deuxième fille, Anastasie, meurt d’une méningite. Cette mort révèle brutalement à Élisabeth sa vocation de « mère pour tous ». Quelques années plus tard, elle devient moniale sous le nom de Mère Marie, restant cependant « moniale dans le monde » et reste largement engagée dans la vie culturelle et spirituelle de l’émigration russe. Elle n’ignore pas non plus les problèmes sociaux et politiques ; au contraire, elle conçoit la vie monastique moderne comme un engagement concret au cœur du monde, au service des démunis et des rejetés, et défend dans plusieurs articles cette vision du monachisme[10].

 

Par son charisme et son don de la relation, elle est un soutien pour nombre d’intellectuels comme pour les vagabonds et, pendant la guerre mondiale, devient une planche de salut pour beaucoup. Arrêtée par les nazis pour avoir aidé des juifs, elle est envoyée au camp de Compiègne et entame son dernier chemin de croix, qui la mènera jusqu’à la chambre à gaz, à Ravensbrück.

 

Les circonstances exactes de sa mort restent mystérieuses. On dit que, lors d’un des « tris » habituels, elle aurait pris la place d’une autre dans le groupe de celles qui devaient être gazées, lui sauvant ainsi la vie. Et il se trouva que ce fut la dernière exécution avant la libération du camp. C’était le 31 mai 1945, à la veille de la Pâque. Ce sacrifice ultime, légende ou réalité, correspond en tout cas à ce que nous savons de Mère Marie. Il est l’aboutissement suprême de la « joie de donner » dont elle témoigne dès sa jeunesse, et qu’elle chante dans sa poésie. C’est la voie qu’elle avait elle-même choisie longtemps auparavant et qu’elle avait suivie toute sa vie durant.

 

Ce chemin parcouru, de l’étudiante radieuse qui participait aux salons littéraires les plus en vue, jusqu’à la moniale qui entra volontairement dans la chambre à gaz, demeure énigmatique. Nous ne pouvons l’approcher que grâce à la poésie, qui devient chez Mère Marie témoignage d’une vie spirituelle et annonce prophétique de la mort. « Pour comprendre Mère Marie, lisez ses poèmes, elle est toute entière en eux »[11], écrivait Mère Élisabeth (Medvédéva), très proche collaboratrice de Mère Marie. Il ne s’agit pourtant pas seulement d’une révélation personnelle mais, comme le dit son grand ami le critique littéraire Constantin Motchoulsky : « ces vers sont une confession et une prière : presque à chaque page on trouve un appel vers Dieu, au "Toi" solennel et terrible. Et le tissu des mots est si solide et si pur que la ligne ne se rompt pas sous la poids du Nom devant qui tremblent les séraphins ».

 

Cet appel à Dieu peut sembler audacieux mais ne reste jamais égocentrique : il monte de la part de tous les humiliés. Il est une réponse à « l’appel invisible »[12] que Mère Marie perçoit très tôt et qui lui découvre sa vocation, « l'image nue de mon destin » (Poèmes de jeunesse). Avec les années, ce don prothétique[13] s’approfondit et l’amène à un pressentiment juste et clair de sa propre fin : « Écoutez, mes amis, mes frères / mon âme, mon âme brûlera » (du cycle des Messagers). Ces mots prennent une résonance particulière après sa mort tragique et ne peuvent plus être considérés comme une simple métaphore, comme une expression réussie. Mère Marie, qui a débuté comme poétesse symboliste, incarne jusqu’au bout la conception de la vie des symbolistes russes : la création devient la vie. Parce que « le monde brûle [et qu’]il n’y a pas d’inquiétude pour le destin du monde»[14], elle ne peut plus n’être que poétesse, mais ressent la nécessité impérieuse de se plonger dans ce feu.

 

Dans ce « pressentiment du temps marqué », elle cherche « la race secrète, clairvoyante au cœur de la nuit » et elle trouve des « fous, [des] gueux, [des] orphelins… / perdus à tous chemins du monde» (cycle Vagabondages). Elle ne se détourne pas mais voit en eux des « porteurs du visage du Seigneur ». Elle vit pleinement le deuxième commandement de l’Évangile et lui consacre de nombreux poèmes inspirés : son mystère Anna et plusieurs articles, notamment « Les Types de la vie religieuse » [15].

 

Elle a trouvé désormais son credo : « à chacun je voudrais donner mon âme ». C’est le renoncement à soi-même jusqu’au sacrifice, jusqu’à se fondre dans les autres : « Et j'ai oublié – s'il y a parmi la multitude / ce que tous appellent – « moi » (cycle Attentes).

 

De telles pensées pénètrent ses réflexions sur l’art et l’artiste. La création devient, dans cette perspective, don de soi dans lequel elle offre tous ses talents à Dieu, comme le roi David chantant « Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom rends gloire » (Ps. CXV, 1) – David qui est pour elle le prototype du créateur authentique, et dont elle reprend souvent l’image dans ses poèmes, icônes et articles… Car « il est au monde deux arts divins... » (cycle La terre). Le premier va « vers la science aux cent bouches, pour boire à chacune la sagesse ». Élizabeth, qui participa aux réunions des symbolistes dans la célèbre tour de Vyatcheslav Ivanov, connaît cette approche qui consiste à s’assimiler toutes les formes artistiques. Mais elle, non sans lutte intérieure, se tourne vers le second art divin, dont le « symbole [est] la croix qui déchire ». La création devient alors sacrifice de soi, crucifixion, mais où, derrière la souffrance, s’ouvre la joie, l’inspiration. Ainsi, dans l’émigration, l’église russe se sentit libre pour la première fois depuis bien longtemps, et capable de création : « nous avons reçu l’immense don de la liberté, qui nous rend plus riche qu’à l’époque de l’aisance et de la splendeur, l’époque de l’esclavage doré »[16]. Les penseurs russes de l’émigration voient leur mission particulière dans la préservation et la transmission à la Russie de cette liberté, de cette expérience de foi créative. Ainsi naissent ces vers, dont l’inspiration ressemble à celle des premiers chrétiens : « à une liberté dévastatrice la voix de Dieu m’a appelée » (cycle « Profession monastique »).

 

« Dans cette liberté, nous sommes appelés à accomplir nos petites œuvres ». Parmi ces « petites œuvres », il y a ces Russes sauvés des asiles d’aliénés où ils étaient enfermés parce qu’ils ne connaissaient pas le français, il y a les quatre foyers pour accueillir les sans-logis, la cantine presque gratuite pour nourrir les malheureux, les trois églises aménagées et décorées par Mère Marie. Et l’activité de Mère Marie prend une signification particulière pendant la guerre. Dans ces jours terribles, beaucoup de gens trouvent refuge dans le foyer, rue de Lourmel dans le quinzième arrondissement de Paris. Avec l’aide du père Dimitri Klépinine, elle délivre aux juifs persécutés de faux certificats de baptême. Quand obligation est faite aux juifs de porter l’étoile jaune, Mère Marie écrit un poème « Deux triangles, une étoile » (cycle Protection mariale), où elle éclaire le sens caché de ces événements : « c’est élection, non pas offense / un grand don, non pas un malheur ». Le poème fait bientôt le tour de Paris, et met en danger sa propre vie. Le courage dont fait alors preuve Mère Marie n’est pas pour elle exceptionnel. Faire face avec témérité à toute injustice et tout abaissement de la dignité humaine était sa façon de vivre. Sa vie ne cessa d’être un défi lancé à la quiétude de son entourage, aux formes traditionnelles de la vie chrétienne, à toute tiédeur. Elle ne rencontrait pas toujours la compréhension mais l’alternative était claire pour elle : « soit le christianisme est feu, soit il n’existe pas ».

 

Le feu et la lumière sont peut-être les mots les plus caractéristiques de sa poésie. Ainsi, dans la première partie, « Sur la vie », de l’unique recueil paru de son vivant après ses vœux monastiques[17], le feu consume (car « La douleur d'autrui est brûlante ») et illumine à la fois, éclairant un nouveau chemin : « C'est un rayon puissant de lumière / C'est un fil très fort qui nous mène / Jusqu'aux frontières de l'au-delà ». Mère Marie voit tout autour d’elle les manifestations lumineuses de cet autre monde dont nous sommes habituellement séparés par un mur infranchissable : « Tout est si bien serré dans un lien éternel / Le bleu du ciel, la cendre des rues grises / Que l'on croirait, en rencontrant un pauvre ivrogne / Voir derrière lui s'ouvrir un grand vol d'ailes ». Chaque rencontre peut révéler l’image de Dieu.

 

Ses contemporains ont pourtant remarqué que les vers de la deuxième partie, « Sur la mort », sonnaient plus fort. Ce thème est déjà fréquent dans ses poèmes de jeunesse ; souvent la mort l’a menacée ; mais nous avons beaucoup de témoignages du fait que Mère Marie ne la craignait pas, l’ayant déjà traversée mystiquement à plusieurs reprises[18]. Elle écrivait : « Il est prêt mon cœur, il est prêt… ». Mais elle eut d’abord à affronter la mort de ses deux filles, Anasthasie et Gaïana. Les vers empreints de tristesse du cycle « Sur la mort », écrit après la mort de la seconde fille en 1935, en Russie où elle avait suivi Alexis Tolstoï, témoignent de l’approfondissement de sa vocation d’une « maternité large, universelle» : « Et voici la route à mes pieds comme une nappe dépliée / Libre de tous côtés. Tantôt pour être mère…»

 

Cette nouvelle perte fait presque vaciller sa foi : «Je ne sais plus, je ne crois plus / Je ne vois à nouveau plus rien », ce qui était déjà arrivé plus d’une fois à la jeune Élisabeth, qui pouvait dire avec Dostoïevski, son auteur préféré : « ma foi est passée par le creuset du doute ».

 

Mais la perte est aussi gain, un gain acquis par Mère Marie dans l’extrême souffrance (« Plus rien que le tourment du doute / Qui est l'empan dont je mesure / Ton amer chemin, amour »). Ce sentiment de l’amour blessé, tellement caractéristique pour Mère Marie, sentiment où la souffrance et la joie sont inextricablement liées[19], rappelle ses maîtres : Alexandre Blok pour la création poétique[20] et, pour la vie spirituelle, le père Serge Boulgakov, avec ses réflexions inspirées sur « la joie de la croix ».

 

S’adressant aux lecteurs du Porche, on peut souligner un autre parallèle, une fraternité intérieure avec Charles Péguy. Cela est particulièrement sensible si l’on se souvient de ce que Péguy appelle « une joie de la route » dans ses dernières strophes inachevées, pressentant la guerre avant son départ pour le front, qu’il accomplit ensuite en ayant pleinement conscience qu’il partait pour son chemin de croix. Paradoxalement, malgré l’apparente contradiction de leurs personnalités et de leurs créativités, la poésie de Mère Marie, dans sa sonorité et dans ses principaux thèmes (la terre, la puissance sanctifiante du labeur, l’inachèvement de la Création…), semble souvent se rapprocher de celle de Charles Péguy, s’inspirant d’une même source et prenant une tonalité prophétique.

 

Écoutons-la.


Мать Мария

 

Из книги 1949 г.[21]

                                                                                                                  Ранние стихи

 

 

Вела звериная тропа

Меня к воде седой залива;

Раскинулась за мною нива;

Колосья зрелы, ждут серпа.

 

Но вдруг тропу мне пересек

Бушующий поток обвала,

За ним, вода дробясь бежала,

Чтоб слиться с бегом тихих рек.

 

И я, чужая всем, средь гор,

С моею верой, с тайным словом,

Прислушалась к незримым зовам

Из гнезд, берлог земных и нор.

 

Я слышала: шуршит тростник,

Деревья клонят низко ветки,

Скользит паук по серой сетке;

Так тайну тайн мой дух постиг.

 

Как будто много крепких жил

Меня на век с землей связало;

Как будто в бешенстве обвала

Мне рок свой образ обнажил.

 

 

Mère Marie

 

Du livre 1949

                                                                                                             Poésie de jeunesse

 

Un tracé de bêtes me conduisait

Vers l’eau cheveux gris de la baie ;

Derrière moi toute l’ampleur du blé,

Mûrs les épis, proche la faux.

 

Soudain la sente est traversée

Par la ruée d’une avalanche ;

Derrière bondit l’eau éclatée

Pour s’unir au calme des fleuves.

 

En ces montagnes, étrangère à tous,

Avec ma foi, avec ma parole secrète,

J’écoutais l’appel invisible

Des nids, des gîtes, des terriers.

 

J'ai entendu : le roseau bruisse,

les arbres penchent bas leurs branches,

l'araignée glisse au filet gris :

ainsi mon esprit a compris

   tout le mystère.

 

Un solide tissu de nerfs

à jamais me lie à la terre ;

dans la folie de l'avalanche

l'image nue de mon destin.


И то, что знает каждый зверь,

Так близко мне, так ясно стало,

С событий пелена упала:

Судьба, закон, словам не верь.

 

***

 

Из цикла « Вестники »

 

Подземный гул все слышен мне:

Там темные клокочут силы,

Пылают там земные жилы

В неугасающем огне.

 

И в небе зарево стоит,

И облаком окутан кратер...

Вы слышите, друзья и братья,

Моя душа, моя сгорит.

 

И дальше будет только ночь,

И будет только мрак повсюду...

О, Господи, взываю к чуду,

Чтоб гибнущей душе помочь.

 

Я принимаю всякий груз, –

Один единственный от века, –

Тяжелый подвиг человека,

Сын Человеческий, Иисус.

 

Здесь, на путях моей земли,

Зеленой и родной планеты,

Прими теперь мои обеты

И голод духа утоли.


Ce que devine chaque bête

m'est devenu si proche et clair

que des événements le voile tombe :

le destin, la loi ne croient pas aux paroles.

 

***

 

Du cycle « Messagers »

 

Sans cesse je perçois un grondement secret :

là-bas bouillonne une vie noire ;

là-bas la chair, de la terre

se consume dans un feu noir.

 

Dans le ciel, lueur d'incendie,

cratère que voile un nuage.

Écoutez, mes amis, mes frères,

mon âme, mon âme brûlera.

 

Ensuite il n'y aura plus que la nuit,

il n'y aura plus partout que ténèbres...

O Seigneur, j'appelle un miracle,

aie merci de l'âme qui périt.

 

J'accepte, j'accepte le fardeau,

le seul depuis le commencement des siècles,

pesant exploit de l'homme,

Fils de l'homme – Jésus.

 

Ici, aux chemins de ma terre,

de ma planète verte mère,

reçois maintenant mon vœu,

assouvir la faim de mon âme.


Из цикла « Странствия »

 

 

Искала я таинственное племя,

Тех, что средь ночи остаются зрячи,

Что в жизни отменили срок и время,

Тех, что умеют радоваться в плаче.

 

Искала я мечтателей, пророков

Всегда стоящих у небесных лестниц,

И зрящих знаки недоступных сроков,

Поющих недоступные нам песни.

 

И находила буйных, нищих, сирых,

Упившихся, унылых, непотребных,

Заблудшихся на всех дорогах мира,

Бездомных, голодающих, безхлебных.

 

О, племя роковое, нет пророчеств, –

Лишь наша жизнь пророчит неустанно

И сроки близятся, – и дни короче...

Приявший раб поет Тебе: Осанна!

 

Лион, 1931

 

***

 

Из цикла « Ожидания »

 

 

Пусть отдам мою душу я каждому,

Тот, кто голоден, пусть будет есть,

Наг – одет, и напьется пусть жаждущий,

Пусть услышит не слышащий весть.

Du cycle « Vagabondages »

 

 

J'ai cherché la race secrète,

clairvoyante au cœur de la nuit,

des vivants sans délai, temps aboli,

qui savent se réjouir dans les larmes.

 

J'ai cherché prophètes et visionnaires,

initiés des échelles du ciel,

qui lisent les hiéroglyphes de l'inaccessible

et chantent des chants jamais ouverts.

 

J'ai trouvé fous, gueux, orphelins,

d'ivresse triste et laideur sale

perdus à tous chemins du monde,

affamés de toit et de pain.

 

O race fatale, il n'y a pas de prophétie.

Seule notre vie lasse inlassablement prophétise.

Les délais approchent, les jours s'abrègent.

Le serviteur accepte et te clame : Hosanna.

 

Lyon, 1931

 

***

 

Du cycle « Attentes »

 

 

À chacun je voudrais donner mon âme

pour que mangent les affamés,

soient couverts les nus, que les assoiffés se désaltèrent

et que les sourds entendent la nouvelle.

От небесного грома до шепота

Учит все – до копейки отдай –

Грузом тяжким священного опыта

Переполнен мой дух через край.

 

И забыла я, – есть-ли средь множества

То, что всем именуется – я.

Только крылья, любовь и убожество,

И биение всебытия.

 

***

 

Из цикла « Земля »

 

Обряд земли – питать родные зерна,

А осенью, под ветром, умирать, –

Я приняла любовно и покорно,

Я научилась ничего не знать.

 

Есть в мире два Божественных искусства –

Начальное, – все что познал, хранить,

Питать себя наукою стоустой,

От каждой веры мудрости испить.

 

И есть искусство. Как назвать – не знаю.

Символ его, – все зачеркнувший крест,

Обрыв путей, ведущих сердце к раю,

Блуждание среди пустынных мест.

 

Искусство от любимого отречься

И в осень жизни в ветре холодеть,

Чтоб захотело сердце человечье

Безропотно под ветром умереть.


Depuis le ciel tonnant jusqu'au murmure de la brise,

tout commande : donne jusqu'au dernier sou.

De la plénitude grave d'une expérience sacrée

mon âme est pleine à déborder.

 

Et j'ai oublié – s'il y a parmi la multitude

ce que tous appellent – « moi ».

Il n'y a plus que planement d'amour, et pauvreté,

et pulsation de la totalité.

 

***

 

Du cycle « La Terre »

 

Le rite de la terre – nourrir de soi les graines

puis mourir dans le vent d'automne –,

je l'ai accepté en humble amour,

 j'ai appris à ne rien connaître.

 

Il est au monde deux arts divins.

L'un, de préserver toute connaissance

et d'aller vers la science aux cent bouches

pour boire à chacune la sagesse.

 

Et il y a l'art. Comment l'appeler, je ne sais.

Son symbole – la croix qui tout déchire,

le soudain arrêt du chemin qui conduisait le cœur en paradis,

l'errance dans le vide.

 

L'art de laisser aller tout ce qu'on aime,

de froidir dans le vent à l'automne de la vie,

pour que le cœur apprenne le désir

de la mort sans une plainte dans le vent.


 

Лишь этот путь душе моей потребен,

Вот рассыпаю храмину мою

И Господу суровому молебен

С землей и ветром осенью пою.

 

***

 

Из цикла « Постриг »

 

Вот кружится ничтожной щепкой,

Душа в земном кипеньи вод.

Все, все мгновенно, все некрепко,

Река торжественно плывет.

 

К опустошительной свободе

Глас Господа меня позвал.

Пусть кружат воды в половодье,

Пусть хлещет белопенный вал

 

***

 

Из цикла « Покров »

 

Два треугольника – звезда,

Щит праотца, отца Давида,

Избрание – а не обида,

Великий дар – а не беда.

 

Израиль, ты опять гоним, –

Но что людская воля злая,

Когда тебе в грозе Синая

Вновь отвечает Элогим!

 

 

Mon âme ne veut pas d'autre chemin.

Voici que je disperse la demeure de mon corps,

et que je chante gloire au Dieu sévère

avec la terre avec le vent d'automne.

 

***

 

 

Du cycle « Profession monastique »

 

Un peu de bois futile, l'âme

au grand remous des eaux.

Tout est instant précaire.

Coule le fleuve solennel.

 

À une liberté dévastatrice

la voix de Dieu m'a appelée.

Montent les crues irrésistibles,

croule la vague à crête blanche.

 

***

 

 

Du cycle « Protection mariale »

 

Deux triangles, une étoile,

le bouclier de l’ancêtre David :

c’est élection, non pas offense,

un grand don, non pas un malheur.

 

Israël, tu es persécuté

à nouveau. Mais qu’importe la haine

des hommes, si dans l’orage sur Sion

Elohim à nouveau répond.


Пускай-же те, на ком печать,

Печать звезды шестиугольной,

Научатся душою вольной

На знак неволи отвечать.

 

Париж, 1942 г.

 


 

Que ceux-là qui portent le sceau,

le sceau de l’étoile hexagone,

sachent répondre d’une âme libre

au signe de la servitude.

 

Paris, 1942

 


Из книги 1937 г.[22]

 

Из цикла «О жизни »

 

Под ноги им душу я кину, –

Чужое страдание жжет.

Водой запивают мякину

И горек работы их мед.

 

Сейчас умирает  на койке

В больничной палате один,

Другой пропивает у стойки

Тяжелую память годин.

 

Тоска и беспутная тяжесть.

Работай, трудись и трудись.

Никто на земле не покажет

Дорогу широкую ввысь.

 

Бездумное племя, куда ты

От фабрик, заводов, потом?

Чу, в небе сшибаются латы, –

Там крылья, и копья, и гром.

 

Не здесь, на земле, между нами, –

Нет, бой над бываньем возник.

Сверкает огнем пред полками

Сияющий Архистратиг.

 

***


Du livre 1937

 

Du cycle « Sur la vie »

 

Je jette mon âme à leurs pieds :

La douleur d'autrui est brûlante.

Ils trempent dans l'eau la mie de pain

Amer est le miel de leur labeur.

 

Salle commune d'hôpital

Où quelqu'un meurt à l'instant ;

Comptoir d'un bar où un autre

Boit le lourd oubli des années.

 

Pesante angoisse sans chemin,

Travaille et tue-toi à la peine ;

Nul au monde ne te montrera

La voie large qui mène en haut.

 

Tribu insensée, où vas-tu ?

D'usine en fabrique, et après ?

Écoute, au ciel des chocs d'armures,

Bruits d'ailes, lances, tonnerres...

 

Le combat n'a pas lieu sur terre

Mais au-dessus de l'existence ;

Devant les armées flamboie

L'Archistratège éblouissant.

 

***


 

 

Вдруг свет упал и видны все ступени

От комнаты, где стол, плита, кровать,

Где только что развернута тетрадь, –

Куда-то в даль, где облачные тени,

И в даль еще, где блещет благодать.

 

Так сильно связано все в жизни в узел вечный

И неба синь, и улиц серый прах,

И детский звонкий крик, и смысл в стихах, –

Что кажется, – вот пьяный нищий встречный, –

А за спиной широких крыл размах.

 

Пронзительным лучом, крепчайшей нитью

Отсюда мы уводимся за грань.

И средь людей гудит иная брань,

И кажется, что к каждому событью

Касается невидимая длань.

 

 

 

 

 

***


 

 

Dans la clarté qui est venue soudain

   tout est devenu distinct, les degrés un à un

De l'escalier qui mène ici,

   la table, le poêle, le lit,

Le cahier que je viens d'ouvrir,

Et les lointains, avec leurs ombres de nuages,

Et tout là-bas la grâce blanche des confins.

 

Tout est si bien serré dans un lien éternel,

Le bleu du ciel, la cendre des rues grises,

Les cris sonores d'enfants, le sens dans les poèmes,

Que l'on croirait, en rencontrant un pauvre ivrogne,

Voir derrière lui s'ouvrir un grand vol d'ailes.

 

C'est un rayon puissant de lumière,

   c'est un fil très fort qui nous mène

Jusqu'aux frontières de l'au-delà ;

Et tandis qu'au milieu des humains

   mugit un autre combat,

         On dirait que tout ce qui arrive

Est effleuré d'une paume invisible.

 

***


 

Из цикла « О смерти »

 

Сила мне дается непосильная.

Не было б ее, давно упала бы,

Тело я на камнях распластала бы,

Плакала б, чтоб Ты услышал жалобы,

Чтоб слезой прожглась земля могильная.

 

Отпер Ты замок от сердца бедами.

Вот лежит теперь дорога скатертью,

Во все стороны. То быть мне матерью,

То поставил над церковной папертью.

Чем еще велишь мне быть, – неведомо.

 

Сердцем все заранее угадано,

Сердце принимает все заранее.

Принужденное, как вольное страдание,

Средь углей кадильницы пылание

Духа  человеческого,  ладана.

 

Дух мой… Сочтены Тобою дни его.

Ты решил, карающий и губящий,

Подарил, ведущий нас и любящий,

Сохраненное Тобою рубище

От многострадального, от Иова.

 

 

 

***


 

Du cycle « Sur la mort »

 

M'est donnée une force qui dépasse mes forces ;

Sans elle, il est beau temps que je serais tombée,

Que j'aurais étendu mon corps sur la pierre,

Que je pleurerais pour que tu m'entendes,

Et pour que la terre de la tombe

   soit transie de larmes brûlantes.

 

Tu as déverrouillé mon cœur à force de malheurs ;

Et voici la route à mes pieds comme une nappe dépliée

Libre de tous côtés. Tantôt pour être mère,

Tantôt pour me tenir au porche de l'église...

Que me feras-tu faire encore ?

 

Le cœur a tout compris d'avance ;

Le cœur accepte d'avance

Subie ou voulue, la souffrance,

Au milieu des charbons ardents,

Embrase l'encens de l'esprit.

 

De mon esprit dont tu comptas les jours,

Toi qui punis, châties, décides,

Qui nous conduis et qui nous aimes,

   et qui voulus me donner

 Les haillons que tu as gardés

 De Job, ton serviteur souffrant.

 

***

 

 


 

 

 

Нет, и скала несокрушимой веры

   Мне больше не приют.

Молчат все поученья и примеры,

   А вот ветра поют.

 

И вновь я отдаю на испытанье

   И догмат, и закон.

Зовет пустыня в вечное скитанье,

   Пески со всех сторон.

 

Я отдаю себя волне зыбучей, –

   Неясен небосвод.

Свиваются  на горизонте тучи,

   А ветер все поет.

 

Кто созидает нашей жизни трепет?

   Кто смерть нам к сроку даст?

Покроет хрупкость всех великолепий

   Песков зыбучих пласт.

 

Я заново не знаю и не верю,

Ослеплена я вновь.

Мучительным сомненьем только мерю

Твой горький путь, любовь.

 

***

 


 

 

 

Non, même l'échelle de la foi invincible

   Ne m'est plus un appui.

Se taisent leçons et exemples

   Et voici que chantent les vents.

 

De nouveau j'abandonne à l'épreuve

   Le dogme et la loi ;

Le désert appelle, tentes éternelles

   Et sable alentour.

 

Je m'abandonne à la vague houleuse ;

   Le ciel est flou ;

À l'horizon les nuées s'entre-tressent.

   Le vent chante toujours.

 

Qui fit vibrer en nous la vie pour nous donner

   La mort au terme ?

Sur la fragilité de toutes les grandeurs

   Les sables s'étendront.

 

Je ne sais plus, je ne crois plus,

   Je ne vois à nouveau plus rien ;

Plus rien que le tourment du doute

      qui est l'empan dont je mesure

Ton amer chemin, amour.

 

***

 


 


 

 

 

 

 

 

 

Pologne

 

œ


 


Présentation de Jan Twardowski

 

 

Jan Turnau

 

 

Jan Twardowski est né à Varsovie en 1915, le 2 juin, qui est en Pologne la Journée de l’Enfant, et c’était peut-être un présage, car il est devenu le poète de l’esprit d’enfance. Ses courts sermons pour les enfants, à l’église des Visitandines de Varsovie, dont Jan Twardowski est le recteur depuis quelques dizaines d’années, furent publiés à plusieurs reprises et appartiennent désormais à la littérature polonaise. L’esprit d’enfance domine toute sa création poétique. Voici un fragment d’un de ses poèmes les plus connus :

 

« Je ne suis pas venu vous convertir, Monsieur

d’ailleurs j’ai oublié tous les sermons et leur sagesse.

[...] je ne vais pas vous lessiver

en vous demandant votre opinion sur Merton

je ne vais pas vous verser dans l’oreille

une cuillerée de sainte théologie

je vais tout simplement m’asseoir à côté de vous

et vous confier mon secret:

moi qui suis prêtre

je crois en Dieu comme un enfant. »

 

De la naïveté ? De l’anti-intellectualisme ? Pas du tout! Une poésie hostile par principe à la raison humaine n’aurait jamais gagné l’estime, voire l’enthousiasme de nombreux critiques littéraires, y compris les critiques extérieurs à l’Église. Car les premiers poèmes de ce prêtre catholique ont vu le jour il y a 30 ans, quand le communisme triomphait de l’autre côté de l’Elbe, et sur les bords de la Vistule. Un renforcement éventuel de l’autorité de l’Église faisait peur alors, on essayait donc de limiter son rôle à la sacristie. Et si le modeste recueil de poèmes que publia à cette époque la maison d’édition Znak (Signe), connut la célébrité, c’est grâce à la faveur que lui témoignèrent quelques critiques extérieurs à l’Église. D’où venait cette faveur, quelle en était la raison ? Je l’explique ainsi : le Père Twardowski ne tire pas gloire de sa foi inébranlable, il ne méprise pas les incroyants ; ce sont plutôt les théologiens trop sûrs d’eux-mêmes qui l’agacent, ceux qui « voient trop » ou qui prétendent avoir vu l’Invisible. Alors que Dieu est « différent en toute chose », inexprimable (« tous les mots font qu’on ne voit que la moitié »). Dieu est Mystère. Ce qui est d’ailleurs d’une théologie parfaitement orthodoxe, traditionnelle, bien qu’elle ait été recouverte par la poussière de l’histoire. Par son retour aux sources de la chrétienté; à la Bible, aux Pères de l’Église, le Concile Vatican II a été comme un énorme aspirateur qui a enlevé cette poussière. Et de fait, la poésie du prêtre polonais rime très bien avec le renouveau conciliaire.

 

Ce qui est étrange, c’est que cette poésie plaît aussi bien aux intellectuels de différentes orientations idéologiques qu’aux lecteurs ordinaires. Jan Twardowski est déjà devenu un classique : son poème « Hâtons-nous d’aimer les gens, ils s’en vont si vite » est présent partout: dans les programmes des institutions caritatives, aux messes de funérailles... Et son œuvre ne cesse de s’agrandir. On prépare (du vivant de l’auteur, ce qui est rare) une publication des oeuvres complètes: les trois premiers volumes viennent de paraître, contenant ces sermons pour enfants, parfois rimés d’ailleurs, qui sont aussi appréciés des adultes. On y trouve une autre caractéristique de cette poésie: une humeur optimiste, parfois un peu joviale, et qui est l’arme dont le prêtre-poète se sert pour lutter contre le pathos, qui gangrène si souvent le langage religieux. Cet humour si particulier s’unit paradoxalement à une atmosphère lyrique que Twardowski sait créer en grand maître. Les hommes ne sont pas les seuls protagonistes de cette poésie : tout l’univers créé par Dieu y est présent, animaux,  plantes, attentivement observé. C’est une poésie qui est réflexion sur le monde, une poésie riche en sagesse universelle, présentée sous forme d’aphorismes, une poésie qui apprécie le concret. C’est une poésie qui apprend à aimer. Contrairement à ce qu’il a écrit lui-même, l’abbé Twardowski est venu convertir. Mais sans propagande.


 


Jan Twardowski

 

Święty Franciszku z Asyżu

 

Święty Franciszku z Asyżu

nie umiem Cię naśladować -

nie mam za grosik świętości

nad Biblią boli mnie głowa

 

Ryby nie wyszły mnie słuchać –

nie umiem rozmawiać z ptakiem –

pokąsał mnie pies proboszcza

i serce mam byle jakie

 

Piękne są góry i lasy

i róże zawsze ciekawe

lecz z wszystkich cudów natury

jedynie poważam trawę

 

Bo ona deptana niziutka

bez żadnych owoców, bez kłosa

trawo – siostrzyczko moja

karmelitanko bosa

 

***

 

Drzewa

 

Brzozo nazbyt wieśniacza aby rosnąć w mieście

dyskretny grabie w sam raz na szpalery

jarzębino dla drozdów dzwoniących i szpaków

akacjo z której nie złote tylko białe miody

olcho co jedna masz przy liściach szyszki


Jan Twardowski

 

Saint François d’Assise

 

Saint François d’Assise

je ne saurais t’imiter –

lire la Bible m’épuise

je n’ai once de sainteté

 

Nul poisson n’est venu m’écouter –

je ne sais parler aux oiseaux –

le chien du curé m’a mordu

mon cœur est bon mais pas trop

 

Montagnes et forêts sont fort belles

les roses fascinantes, on le sait

mais, nature, de toutes tes merveilles

l’herbe seule mérite mon respect

 

Foulée piétinée toute basse

sans fruit et sans épis

herbe – ma petite sœur

ma carmélite aux pieds nus.

 

***

 

Arbres

 

Bouleau trop paysan pour vivre en ville

charme discret et juste bon pour la charmille

sorbier arbre des grives bavardes et des étourneaux

acacia le miel que tu donnes n’est pas doré mais blanc

aulne qui seul as et les feuilles et les cônes


głogu co chronisz gajówkę krewniaczkę słowika

jesionie co pierwszy tracisz liście zbliżając nam jesień

 

Poproście Matkę Bożą abyśmy po śmierci

w każdą wolną sobotę chodzili po lesie

bo niebo nie jest niebem jeśli wyjścia nie ma

 

***

 

Modlitwa do świętego Jana od Krzyża

 

Święty Janie od Krzyża, kiedy pełnia lata

i derkacz się odezwał, głuchy odgłos łąki,

owieczka z dzwonkiem beczy, przepiórka szeleści,

rzuć mi malwę i nazwij Janem od Biedronki

 

***

 

Wielka mała

 

Szukają wielkiej wiary kiedy rozpacz wielka

szukają świętych co wiedzą na pewno

jak daleko odbiegać od swojego ciała

a ty góry przeniosłaś

chodziłaś po morzu

choć mówiłaś wierzącym

tyle jeszcze nie wiem

 

– wiaro malutka

 

***

 

 


aubépine, refuge de la fauvette cousine du rossignol

orne, premier à perdre tes feuilles, qui nous annonces l’automne

 

Priez Marie, qu’après la mort chaque samedi

nous puissions errer dans les forêts

car le ciel n’est pas le ciel si on n’en peut sortir

 

***

 

Prière à Saint Jean de la Croix

 

Saint Jean de la Croix, quand au cœur de l’été,

sourd écho des prairies, le râle des genêts lance son appel,

quand bêle la brebis, que tinte sa clochette, quand la caille frémit,

lance-moi une mauve et appelle-moi Jean de la Coccinelle

 

***

 

La grande et la petite

 

Dans un grand désespoir ils cherchent une grande foi

ils cherchent des saints qui sachent à coup sûr

comment fuir au plus loin de leur corps

mais Toi Tu as déplacé les montagnes

et marché sur la mer

au moins as-Tu dit à ceux qui ont la foi

tout ce que je ne sais pas encore

 

  ô foi toute petite

 

***

 

 


 

Co prosi o miłość

 

Bóg wszechmogący co prosi o miłość

tak wszechmogący że nie wszystko może

skoro dał wolną wolę

miłość teraz sama

wybiera po swojemu

to czyni co zechce

więc czasem wzruszenie jak szczęście przylaszczek

co się od razu na wiosnę kochają

bywa obojętność to jest sprawy trudne

głogi tak bardzo bliskie że siebie nie znają

kocha lub nie kocha – to jęk nie pytanie

więc oczy zwierząt ogromne i smutne

śpi spokojnie w gnieździe

szpak szpakowa szpaczek

Bóg co prosi o miłość

rozgrzeszy zrozumie

Wszechmoc wszystko potrafi

więc także zapłacze

Wszechmogący gdy kocha najsłabszym być umie

 

***

 

Kiedy mówisz

 

Aleksandrze Iwanowkiej

Nie płacz w liście

nie pisz że los ciebie kopnął

nie ma sytuacji na ziemi bez wyjścia

kiedy Bóg drzwi zamyka – to otwiera okno

odetchnij popatrz


Qui implore l’amour

 

Dieu tout puissant qui implore l’amour

si tout puissant qu’Il ne peut tout

puisqu’Il donna le libre arbitre

l’amour même aujourd’hui

choisit à sa guise

fait ce qu’il veut

d’où parfois l’émotion dans le bonheur des perce-neige

qui d’un seul coup au printemps s’aiment

et souvent l’indifférence les causes difficiles

les aubépines si proches qu’elles ne se connaissent pas

aimer ne pas aimer – plainte plus que question –

d’où les fauves aux yeux immenses et tristes

le paisible sommeil au creux du nid

des moineau, moinelle et moinillon

Dieu qui implore l’amour  

pardonnera comprendra

La Toute Puissance peut tout

et donc pleurer aussi

Le Tout Puissant quand Il aime sait être le plus faible

 

***

 

Lorsque tu dis

 

Pour Alexandra Iwanowska

 

Ne pleure pas dans une lettre

ne gémis pas que le sort t’a frappé

il n’est pas sur terre de situation sans issue

quand Dieu ferme une porte – il ouvre une fenêtre

respire regarde


spadają z obłoków

małe wielkie nieszczęścia potrzebne do szczęścia

a od zwykłych rzeczy naucz się spokoju

i zapomnij że jesteś gdy mówisz że kochasz

 

***

 

Skrupuły pustelnika

 

Tak zająłem się sobą że czekałem aby nikt nie przyszedł

stale prosiłem o jeden tylko bilet dla siebie

nawet nic mi się nie śniło

bo śpi się dla siebie ale sny ma się dla drugich

jeśli płakałem - to niefachowo

bo do płaczu potrzebne są dwa serca

broniłem tak gorliwie Boga że trzepnąłem w mordę człowieka

myślałem że kobieta nie ma duszy a jeśli ma to trzy czwarte

założyłem w sercu tajną radiostację i nadawałem tylko swój program

przygotowałem sobie kawalerkę na cmentarzu

i w ogóle zapomniałem że do nieba idzie się parami nie gęsiego

nawet dyskretny anioł nie stoi osobno

 

***

 

Zaczekaj

 

Kiedy się modlisz - musisz zaczekać

wszystko ma czas swój

widzą prorocy

trzeba wciąż prosząc przestać się spodziewać

niewysłuchane w przyszłości dojrzewa

 to niespełnione dopiero się staje

Pan wie już wszystko nawet pośród nocy

 

il tombe des nuées

petits et grands malheurs nécessaires au bonheur

mais des simples choses apprends à être calme

et oublie que tu es quand tu dis que tu aimes

 

***

 

Scrupules d’un ermite

 

J’étais si occupé de moi-même que je n’attendais la venue de personne

je demandais toujours un seul ticket – pour moi

je ne rêvais même pas,

car si on dort pour soi, on rêve pour d’autres

je pleurais sans compétence

car pour pleurer il faut deux cœurs

je défendais Dieu avec tant de ferveur que je cassais la gueule aux gens

je pensais qu’une femme n’a pas d’âme, ou trois quarts, à la rigueur

branchant dans mon cœur une radio clandestine, j’assurais un seul programme: le mien

je m’étais ménagé une garçonnière au cimetière

et j’avais oublié qu’au ciel on va par deux, non à la queue-leu-leu

l’ange le plus discret ne fait pas bande à part

 

***

 

Attends

 

 

Quand tu pries – tu dois attendre

tout vient à son heure

ce sont les prophètes qui voient

cesse, toi qui demandes, d’attendre un résultat

le non-exaucé mûrit dans l’avenir

le non-réalisé est en devenir

Dieu sait tout, même au cœur de la nuit,

 

dokąd się mrówki nadgorliwe spieszą

miłość uwierzy przyjaźń zrozumie

nie módl się skoro czekać nie umiesz

 

 

***

 


 

où courent les fourmis qui tant se hâtent

l’amour croit l’amitié peut comprendre

ne prie pas si tu ne sais attendre

 

 

***


 

Nic mnie nie załamało

 

Nic mnie nie załamało

ani pustka po życzliwym spojrzeniu

ani zbieranie na tacę

ani to że o mało nie zwichnąłem palca stukając  w konfesjonał

ani pytania osiemnastoletnich

ani anonimy których koperty nawet syczą –

ani dowody w które trzeba najpierw uwierzyć

ani wierni którzy się nienawidzą w tramwajach

ani cnota płacząca jak nieszczęśliwe szczęście

ani kaznodzieje ze złotymi zębami

ani obawa że nie dam rady nie dojdę

wywrócę się jeszcze przed płotem Królestwa Niebieskiego

bogatsi zostaną coraz bogatsi a biedni coraz biedniejsi

nawet ptaki śpiewają ze strachu

nic mnie nie załamało

bo wciąż widzę Ciebie Matko Najświętsza

zamiast berła – trzymasz kłębek włóczki

cerujesz teologię.

 

***

 

Niebo

 

Patrzał w niebo

bizantyjskie – białej mozaiki

gotyckie – gołe i złote

renesansowe – błękitne

barokowe – brunatnowełniste

osiemnastowieczne – szafirowe


 

Rien ne m’a brisé

 

Rien ne m’a brisé

ni le vide qui suit un regard bienveillant

ni la quête et sa sébille

ni le doigt que j’ai failli me casser en frappant au confessionnal

ni les questions des dix-huit ans

ni les lettres anonymes dont même les enveloppes crachent le venin

ni les preuves auxquelles il faut d’abord croire

ni les croyants qui se haïssent dans les trams

ni la vertu qui pleure son bonheur malheureux

ni les prédicateurs aux dents d’or

ni la crainte de ne pas savoir de ne pas pouvoir

de m’effondrer avant même d’atteindre la clôture du Royaume des Cieux

la crainte que toujours les riches s’enrichissent les pauvres s’appauvrissent

la peur fait chanter même les oiseaux

rien ne m’a brisé

car toujours je te vois ô Mère Très Sainte

ton sceptre est une pelote de laine

tu ravaudes la théologie

 

***

 

Le ciel

 

Il regardait le ciel

byzantin – de blanche mosaïque

gothique – nu et doré

Renaissance – azuré

baroque – de laine brune

dix-huitième – saphir


 

impresjonistyczne – pełne powietrza

secesyjne – ondulowane

kubistyczne – kanciaste

abstrakcyjne – nieprawdziwe

i chciał wierzyć w całkiem nowe

lekkie i niecałe – jeszcze nie używane

 

***

 

Boję się Twojej miłości

 

Nie boję się dętej orkiestry przy końcu świata

biblijnego tupania

boję się Twojej miłości

że kochasz zupełnie inaczej

tak bliski i inny

jak mrówka przed niedźwiedziem

krzyże ustawiasz jak żołnierzy za wysokich

nie patrzysz moimi oczyma

może widzisz jak pszczoła

dla której białe lilie są zielononiebieskie

pytającego omijasz jak jeża na  spacerze

głosisz że czystość jest oddaniem siebie

ludzi do ludzi zbliżasz

i stale uczysz odchodzić

mówisz zbyt często do żywych

umarli to wytłumaczą

 

boję się Twojej miłości

tej najprawdziwszej i innej


 

impressionniste – plein d’air

Sécession – onduleux

cubiste – anguleux

abstrait – pas vrai

et il voulait croire en un ciel tout neuf

léger, inachevé – encore  inemployé.

 

***

 

Je crains Ton amour

 

Je ne crains pas les fanfares du Jugement dernier

le piétinement biblique

je crains Ton amour

que Tu aimes tout autrement

si proche et si autre

telle une fourmi devant un ours

Tu dresses des croix comme des soldats trop hauts

Tu ne vois pas avec mes yeux

peut-être vois-Tu comme une abeille

pour qui les blancs lis sont bleu-vert

Tu évites le questionneur comme en promenade un hérisson

Tu clames que la pureté est don de soi

Tu rapproches les hommes des autres hommes

et sans cesse leur apprends à se quitter

Tes paroles s’adressent trop souvent aux vivants

ce sont les morts qui les expliquent

 

je crains Ton amour

le plus vrai, tout autre

***


 

Śpieszmy się

 

 

Annie Kamieńskiej

 

Śpieszmy się kochać ludzi tak szybko odchodzą

zostaną po nich buty i telefon głuchy

tylko to co nieważne jak krowa się wlecze

najważniejsze tak prędkie że nagle się staje

potem cisza normalna więc całkiem nieznośna

jak czystość urodzona najprościej z rozpaczy

kiedy myślimy o kimś zostając bez niego

 

Nie bądź pewny że czas masz bo pewność niepewna

zabiera nam wrażliwość tak jak każde szczęście

przychodzi jednocześnie jak patos i humor

jak dwie namiętności wciąż słabsze od jednej

tak szybko stąd odchodzą jak drozd milkną w lipcu

jak dźwięk trochę niezgrabny lub jak suchy ukłon

żeby widzieć naprawdę zamykają oczy

chociaż większym ryzykiem rodzić się niż umrzeć

kochamy wciąż za mało i stale za późno

 

Nie pisz o tym zbyt często lecz pisz raz na zawsze

a będziesz tak jak delfin łagodny i mocny

 

Śpieszmy się kochać ludzi tak szybko odchodzą

i ci co nie odchodzą nie zawsze powrócą

i nigdy nie wiadomo mówiąc o miłości

czy pierwsza jest ostatnią czy ostatnia pierwszą

 

***


 

Hâtons-nous

 

 

Pour Anna Kamienska

 

Hâtons-nous d’aimer les gens ils s’en vont si vite

laissant derrière eux leurs bottes et leur téléphone sourd

seul ce qui est sans importance a la lenteur des vaches

l’important est si prompt, le voici tout soudain

puis c’est le silence normal donc insupportable intolérable

comme la pureté naissant tout droit du désespoir

quand nous pensons à quelqu’un étant privés de lui 

 

Ne sois pas certain d’avoir le temps car la certitude incertaine 

nous vole nos sentiments autant que tout bonheur

elle arrive en même temps

comme le pathos et l’humour

comme deux passions toujours plus faibles qu’une seule

ils s’en vont aussi vite que la grive se tait en juillet

comme un son un peu gauche, un salut un peu sec

pour voir vraiment ils ferment les yeux

bien qu’il y ait plus grand risque à naître qu’à mourir

toujours nous aimons et trop peu et trop tard

 

Ne l’écris pas trop souvent mais écris-le une fois pour toujours

Et tu auras du dauphin la douceur et la force.

 

Hâtons-nous d’aimer les gens ils s’en vont si vite

et ceux qui ne s’en vont pas ne reviennent pas toujours

et jamais on ne sait à parler de l’amour

si le premier est le dernier ou le dernier premier



 

 

 

 

 

 

 

 

 

Finlande

 

 

 

 

œ



Osmo Pekonen, professeur de mathématiques à l’Université de Jyväskylä et écrivain finlandais, a publié de nombreux essais et traductions (en particulier celle de Beowulf, en collaboration avec Clive Tolley). Il vient de publier la biographie de Lasse Heikkilä.

Lasse Heikkilä (1925-1961) est l’un des fondateurs de l’école dite « moderniste » de la poésie finlandaise des années 1940-1950. C’est le seul écrivain finlandais qui ait engagé un dialogue avec Péguy, et, à ce titre, il intéresse particulièrement les lecteurs du Porche.

 

 

 

Quelques mots sur Lasse Heikkilä

 

 

Osmo Pekonen

 

Lasse Heikkilä est né le 6 novembre 1925 à Kiikoinen, sixième enfant d’une famille pauvre de petits paysans. Sa mère mourut d’une fièvre puerpérale. Demi-orphelin à sa naissance, il fut adopté par son oncle maternel, un riche industriel du vêtement de Tampere. Il est alors élevé dans un milieu bourgeois. Sa mère adoptive est une luthérienne pratiquante, son père adoptif est franc-maçon.

 

Après la mort d’un frère adoptif (1930), de son père adoptif (1933) et de sa mère adoptive (1940), qu’il chérissait particulièrement, il est de nouveau orphelin. Il songe alors au suicide. Et toute sa poésie sera marquée par la pensée de la mort, qui ne cessera de le hanter.

 

Recueilli par la famille d’une sœur d’adoption, épouse d’un grand éditeur, il poursuit son ascension sociale et découvre le milieu de la haute bourgeoisie d’Helsinki. Il fréquente un lycée d’élite et se lie d’amitié avec les fils et les filles des grandes familles de Finlande. Il dévore la poésie française, surtout Apollinaire, Baudelaire et Rimbaud, dont il cherche à imiter la vie de bohême. Très jeune, il manifeste un redoutable tempérament de conquérant amoureux. Pour maîtresses, il a le plus souvent des femmes plus âgées que lui, ce qu’il explique par le besoin d’un substitut à l’amour maternel  qui lui a été par deux fois ravi.

 

La guerre éclate. Le 30 novembre 1939, les bombes russes pleuvent sur Helsinki. Le conflit finno-soviétique va durer jusqu’à l’automne 1944. Les lycéens sont enrôlés d’abord dans des formations paramilitaires, les « Fils de la Finlande », puis dès l’âge de 17 ans, sont envoyés sur le front. Lasse Heikkilä fait partie d’une unité antichar où la durée moyenne de vie n’est pas longue. Il prend part en juin-juillet 1944 à la grande bataille d’Ihantala qui fait rage sur l’isthme de Carélie.

 

Peu connue en France, cette bataille a été l’un des plus grands engagements de blindés de la Deuxième guerre mondiale, comparable par son ampleur à la bataille de Koursk. L’armée finlandaise, sous le commandement du Maréchal Mannerheim, réussit miraculeusement à tenir tête à l’Armée rouge, dix fois supérieure en forces. Ayant perdu trois cents chars, soit la moitié de ses effectifs, Staline préféra conclure une paix séparée avec la Finlande. Les armes se turent sur le front finno-russe le 5 septembre 1944.

 

Aux Accords de Paris de 1947, la Finlande dut céder la Carélie et payer des indemnités de guerre, mais elle échappa de justesse aux horreurs de l’occupation soviétique et du communisme. Le pays ne coupa pas ses liens avec l’Occident, mais sa marge de manœuvre politique fut limitée. En effet le pacte d’amitié qui unit la Finlande à l’Union soviétique ne fut dénoncé qu’en 1992.

 

Pour des raisons politiques, dans la littérature et les manuels scolaires de la Finlande d’après-guerre, on a passé sous silence cette bataille, que le peuple finlandais appela « le miracle d’Ihantala ». Lasse Heikkilä fut le seul chantre de ce sujet tabou. Un manuscrit, dont on ignore la date de composition  et qu’il consacra à l’évocation de cette bataille, resta enfoui au fond d’un placard, absolument inconnu, jusqu’à ce que je le découvre et le publie en 1999 (Ballade d’Ihantala). Le retentissement de cette œuvre posthume a été considérable. Il s’agit d’un hommage du poète à ses camarades tombés sur le champ de bataille d’Ihantala. On y décèle l’influence certaine de Péguy :

 

Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles…

 

Voici l’un des sujets : après la bataille, le poète, qui a trop côtoyé la mort, regrette de ne pas être tombé aux côtés de ses camarades qu’il juge bien meilleurs que lui. Il ne cesse d’écrire sur la mort, jusqu’à ce qu’il rencontre le fantôme d’un général tombé à Ihantala, qui lui donne l’ordre de vivre pour accomplir son destin.

 

Une fois démobilisé, Lasse Heikkilä, se jette dans les plaisirs de la capitale, tout à la liesse de l’après-guerre. Les aventures se succèdent. Il se marie en 1946, divorce en 1952, se remarie la même année, puis divorce encore. Père de trois enfants, son instabilité l’empêche de s’occuper sérieusement de ses familles successives. Pendant les combats, on lui avait administré, comme à plusieurs de ses camarades, des drogues stimulantes (amphétamines) mais aussi des somnifères, ce qui le rendit dépendant. Il abuse également de l’alcool. D’où de graves problèmes psychiatriques et plusieurs hospitalisations.

 

En 1949, il découvre T.S. Eliot qui devient pour lui, comme pour d’autres poètes finlandais de cette époque, le maître d’un nouveau style. Au début, il n’est pas touché par le caractère chrétien du message d’Eliot. Il lit Nietzsche, Anouilh, Camus… Mais Sartre ne l’impressionne pas. Ses premiers recueils de poèmes, Miekkalintu [L’Oiseau-glaive] (1949) et Paatos ja lyyra [Le Pathos et la Lyre] (1950), expriment le désenchantement et un certain nihilisme de cette jeunesse qui a traversé la guerre. Les deux recueils suivants, Sinä [Toi] (1951) et Unet ja Medeia [Les Songes et Médée] (1953), se caractérisent par des thèmes érotiques.

 

Lasse Heikkilä est un des rares écrivains finlandais de cette époque à se tourner vers la France. On l’a même appelé « le Finlandais français ». Poète éminent de sa génération, il obtient une bourse du gouvernement français et fait, à partir de 1952, plusieurs séjours à Paris, tout en menant une vie assez désordonnée et négligeant ses devoirs de père de famille.

 

Le 21 mars 1954, il visite Chartres : tourisme ? Pèlerinage peut-être. À son retour à Paris, à Pâques 1954, il traverse une crise spirituelle. Il se demande si le Démon ne s’apprête pas à emporter son âme. Trouvant la foi des Français trop cartésienne, il décide de s’évader en Espagne et prend le train pour Barcelone en quête de Dieu. Là-bas, il découvre une religiosité fervente « jusqu’à en être maladive » et fait l’expérience d’une certaine conversion. Tout en restant membre de l’Église luthérienne nationale de la Finlande, il rédige et signe une déclaration solennelle – que j’ai découverte dans ses papiers – où il affirme vouloir être « un fils fidèle de l’Eglise catholique ». Il multiplie les déclarations de ce genre et se présente un jour, en se faisant passer pour un touriste français, au confessionnal d’une paroisse catholique d’Helsinki – mais il est reconnu et on lui refuse la confession parce qu’il est protestant. Il est constamment déchiré par des combats spirituels intérieurs, ne réussit pas à stabiliser son existence. En 1957, il fait un séjour au Saulchoir chez un ami dominicain finlandais. Il s’identifie avec le Crucifié et écrit un poème sur cette expérience – mais on peut difficilement juger si c’est élan mystique ou hallucination schizophrénique.

 

Il se met à lire Bernanos, Claudel, Mauriac, Péguy, Simone Weil…Il est surtout ému par Le Porche du Mystère de la Deuxième Vertu, qu’il considère comme « un des sommets de la littérature chrétienne ». Ancien combattant, il rapproche son destin de celui de Péguy. Le miracle d’Ihantala est comparé désormais au miracle de la Marne. Sa province natale, la région agricole de Satakunta, revêt pour lui la même importance que la Beauce pour Péguy.

 

De nouveaux thèmes font leur apparition dans sa poésie. Il produit encore deux recueils, Carmen (1956) et Terra Mariana (1959). Tous les deux contiennent des poèmes sur la Vierge Marie, ce qui est exceptionnel dans un pays protestant comme la Finlande. L’accueil fait à sa poésie mariale est pourtant médiocre. On psychologise, on veut expliquer l’attachement du poète à la Vierge comme un substitut de l’amour maternel qui lui a fait si cruellement défaut. Mais le poète demande vainement comment les protestants ont pu perdre « toute chaleur, toute tendresse », cette chaleur et cette tendresse qui pour lui définissent Marie.

 

L’influence de Péguy se fait surtout sentir dans le dernier recueil Terra Mariana, où il est beaucoup question de la Finlande, nouvelle terre d’élection de sainte Jeanne d’Arc et de la Vierge Marie (en réalité, c’est plutôt l’Estonie qui a été consacrée à la Vierge par le IVe Concile du Latran en 1215, et on continue à appeler l’Estonie, au sens poétique et religieux, Maarjamaa, Terre de Marie).

 

Le poète ne cache nullement sa dette envers Péguy, mais il entame avec lui un dialogue spirituel. Et cela est unique dans la littérature finlandaise. Il conclut son œuvre par un dialogue avec Jeanne. Ce qui est également unique. Citons de ce dialogue les dernières paroles de Jeanne : « Ne parle pas,/ avance pour t’accomplir. »

 

Le parcours fulgurant et tragique du poète se termine, dans des circonstances mal éclaircies, à Sipoo, le 26 mars 1961. On a parlé de suicide mais ce n’est qu’une hypothèse : la cause de la mort n’a jamais été établie.

 

Outre sa poésie, Lasse Heikkilä a produit des pièces de théâtre, des essais, des critiques littéraires… Pour le biographe, le personnage reste énigmatique. Il continue à éveiller des passions. Sur la place qui lui revient dans l’histoire de la littérature finlandaise, les opinions sont très divisées. On reconnaît son talent, mais le message marial et johannique de ses derniers poèmes reste peu compris de la plupart des lecteurs. « Le Finlandais français » reste isolé dans son pays natal.


 

Lasse Heikkilä

 

Suomi

 

I

 

Ystäväni Péguy, ymmärrän hyvin, että ylistät maatasi.

Harvoin on kukaan puhunut yhtä kauniisti maasta kuin sinä.

Todellakin asia on ylistämisen arvoinen :

oraalla olevat pellot, vihertävä viini, kypsyvät hedelmät...

ja kyntömies ja elonkorjaaja ja oman leipänsä syöjä.

Me muut syömme ostamaamme leipää,

   emme kylvämäämme ja leikkaamaamme.

Me muut ymmärrämme sangen pinnallisesti koko asian.

Mutta et ole nähnyt koskaan meidän peltojamme,

jos olisit ne nähnyt ja niiden värikkyyden kesällä

ja maiseman pohjoisen kauneuden, verrattoman,

   mitähän olisit sanonut?

Tuskin olisit voinut olla varma asiastasi,

olisit empinyt ennenkuin olisit sanonut :

”Isä Jumala rakastaa eniten tätä maata...”

Meillä on luonnollisesti toiset ajatukset

ja uskomme, että Hän on tyytyväinen ranskalaisiisi,

mutta emme ole varmat, tulisiko Hän toimeen ilman meitä.

Sillä ranskalaisten rajoja on suuruus suojellut

ja valtaherruus on sieltä yltynyt yli Euroopan.

Täällä on toisin: tänne on moni ryöstöherruus kurkottunut

ja kuristanut lujasti eikä vain kerran tai kahdesti,

vaan jatkuvasti ja yhä;

maamme on pieni ja ikävällä niemellä

kuin kahden maailman raja, kuin kahden ajattelun raja.

Täällä on yhtä ja toista, jonka ansiosta

 

Lasse Heikkilä

 

 

Finlande

 

I

Ami Péguy, je comprends bien que tu fasses l’éloge de ton pays.

Rarement on a parlé d’un pays aussi bien que toi.

De fait : les éloges sont mérités :

voici les blés qui lèvent, le vert des vignobles, les fruits mûrissant…

et l’homme qui laboure et l’homme qui moissonne

            et l’homme qui mange son propre pain.

Nous autres nous mangeons un pain que nous avons acheté,

que nous n’avons ni semé ni coupé.

Nous autres nous comprenons tout très superficiellement.

Mais tu n’as jamais vu nos champs,

si tu les avais vus, et leurs riches couleurs en été

et la beauté des paysages du nord, incomparable,

   alors, qu’aurais-tu dit ?

Tu aurais sans doute été moins sûr de ton fait,

tu aurais hésité avant de dire :

« C’est ce pays que Dieu préfère… »

Nous, naturellement, pensons autrement

et nous croyons qu’Il est content de tes Français,

mais nous ne sommes pas sûrs qu’il puisse rien faire sans nous.

Car les frontières des Français ont été protégées par leur étendue

et leur souveraineté a dominé l’Europe.

Ici il en va autrement : notre terre a vu des empires de pillards

            étendre leurs mains avides

et serrer sa gorge jusqu’à l’étouffer, et non pas une fois ou deux fois,

mais sans cesse et toujours ;

car notre pays est petit, en morne promontoire

comme la frontière de deux mondes, la frontière de deux pensées.

   ranskalaisetkin voivat hyvin,

josta he eivät mitään aavista: tämä on rajamaa.

Rajamaa, rajamaa, rajamaa.

   Ja jotkut ylpeilevät siitä.

Minä en todellakaan, silla vaikeuksista on ruma kerskata.

Lyö liian usein kylväjän ja korjaajan,

tekee elämän kovin raskaaksi ja ahdistavaksi.

 

Olet puhunut kauniisti Jeanne d’Arcista,

   ja on aivan oikein mitä hänestä sanot.

Hän pelasti Ranskan ja kruunasi Reimsissä Kaarlen

    (aika joutavan),

Jeanne poltettiin ja hänestä on kirjoitettu paljon

ja kaikki länsimaan runoilijat ovat häneen hulluina.

Tuo on oikein.

Suomea ei tunneta, meillä ei ole Jeannea ollut.

Mutta et ole ajatellut

että länsimaisen ajatuksen ja uskon Neito on olemassa

kokonaisena kansana.

 

Sinua hämmästyttää kun ajattelen näin.

Mutta en liioittele, päinvastoin.

Mitä kerskaat ranskalaisista?

   Ylistät oikein heitä.

Maasi on kaunis, kansasi rohkea ja uuttera,

   runoilijain kansa.

Meidän kansamme on myös rohkea ja uuttera,

myös runoilijain kansa: mitenkähän kävisi ilman meitä?

Toisinaan on maamme säilynyt runoutensa vuoksi.

Näyttää siltä, että Isä Jumala on erityisesti huolehtinut

tästä maasta ja sen kansasta:

   tulisikohan Hän toimeen ilman meitä?

Miksi rajamme ovat pysyneet,

   miksi väkivallan kourat ja voudit
Ici il y a l’un et l’autre, grâce à quoi les Français se portent bien,

ce dont ils n’ont aucun soupçon : c’est un pays-frontière.

Pays-frontière, frontière, frontière.

   Et certains en tirent vanité.

Moi certes pas, car il est laid de se vanter de ses difficultés.

Si on frappe trop souvent le semeur et le moissonneur,

on rend la vie bien difficile, oppressante.

 

Tu as magnifiquement parlé de Jeanne d’Arc

   et tout ce que tu dis est parfaitement juste.

Elle a sauvé la France et à Reims couronné Charles

   (absolument insignifiant),

Jeanne fut brûlée et sur elle on a beaucoup écrit

et tous les poètes d’Occident en sont fous.

C’est justice.

La Finlande, on ne la connaît pas, nous n’avons pas eu de Jeanne.

Mais tu n’as pas songé

que pour la pensée et la foi la Pucelle pouvait être

un pays tout entier.

 

Tu t’étonnes de mes pensées.

Mais je n’exagère pas, au contraire.

Pourquoi es-tu si fier des Français ?

   Tu les combles de louanges.

Ton pays est beau, ton peuple vaillant et laborieux,

peuple de poètes.

Notre peuple à nous est aussi vaillant et laborieux,

aussi peuple de poètes : et comment se passer de nous ?

Parfois notre pays a été sauvé par sa poésie.

Il semble donc que Dieu se soit particulièrement préoccupé

de ce pays et de ce peuple :

comment donc ferait-Il sans nous ?

Pourquoi nos frontières se sont-elles maintenues,

pourquoi la poigne brutale des baillis

eivät ole voineet siemenineen juurineen kaikkea tuhota?

Siinä on miettimistä.

Sillä minusta tuntuu, että tämä kansa on pysynyt

ilman pyhimystyttöstä ja muita ihmeitä

– joista sinun maasi on niin rikas –

vain yhdestä ainoasta ihmesyystä.

Minusta näyttää

että maamme on kokonaisuutena yhtä ja samaa Neitoa:

tämä maa on koko Lännen ja kaiken mikä maailmassa on, pyhämaa.

Tämä maa on Euroopan ja Amerikankin,

tämä maa on ajatuksiltaan nopean ja toimeltaan

   hyvän maailman

rajapaikalla – pysyvästi haarniskassa vieläpä aseettomassa

   nyt –

tämä maa on kansojen keskellä – oletko jo todennut?

Tämä maa on kansojen keskellä seisova

rohkea ja nöyrä, viaton ja toimelias Jeanne d’Arc.

Eikä tämä kansa ole poltettu vain kerran,

   vaan kymmenet kerrat.

Eikö ole ihme, että se on aina noussut?

Eikö ole kumma, että tämänkaltainen kansa on siten seissyt?

Isä Jumala on varmasti ajatellut hyviä asioita tästä Neidosta,

joka kesäisin on vihreässä metsän haarniskassa,

talvisin hangen valkeassa haarniskassa,

kilpenä koko sinisenkuulas taivaan jättiläisrauta:

kuka sellaisen kilven voisi antaa, paitsi...?

Kuka kaiken tämmöisen voisi luoda, paitsi...?

Mutta en minä tästä kansasta voi ylpeillä,

en voi vuolaasti sitä ylistää ja kehua,

en voi iskeä rintoihini ja sanoa kuin roomalainen

muita halveksien.

   Sellainen ei sovi minun näylleni.

Ei sellainen sovi kenellekään, joka tietää kuten minä

että tämä kansa on maailman kaikkien kansojen seassa
n’a-t-elle pas tout détruit, tout arraché avec semences et racines ?

Il y a là matière à réflexion.

Car il me semble que ce peuple a résisté

sans sainte petite fille et autres miracles

– dont ton pays est si riche –

mais par un seul et unique miracle.

Il me semble

que c’est notre terre tout entière qui est la Pucelle :

cette terre est, pour tout l’Occident et pour tout ce qui existe au monde, terre sainte.

Cette terre est d’Europe et d’Amérique aussi

cette terre est d’un monde, rapide dans ses pensées, dans ses œuvres

   efficace

lieu-frontière – constamment sous l’armure même désarmée

   pour un moment –

cette terre est au milieu des peuples – l’as-tu bien remarqué ?

Cette terre se tient au milieu des peuples, debout,

vaillante et humble, Jeanne d’Arc innocente et énergique.

Et ce peuple n’a pas été brûlé seulement une fois,

   mais des dizaines de fois.

N’est-ce pas miracle qu’il se soit toujours relevé ?

N’est-ce pas merveille qu’un tel peuple soit toujours debout ?

Dieu a sûrement eu de belles pensées sur cette Pucelle,

qui est en ses étés sous la verte armure de la forêt,

sous la blanche armure de la neige que l’hiver durcit, avec

pour bouclier le géant métal d’un ciel d’azur limpide :

qui pourrait, sinon, donner semblable bouclier… ?

Qui pourrait, sinon, créer semblable création… ?

Mais je ne peux, moi, tirer orgueil de ce peuple,

je ne peux me répandre en louanges ni me vanter,

je ne peux bomber le torse, le frapper de mes poings et clamer tel un Romain

mon mépris des autres.

   Cela ne me convient pas.

Cela ne convient à personne qui sait comme moi

que ce peuple est, entre tous les peuples du monde,

käsittämättömästä ihmeestä johtuen tehtävässään rohkea.

Ehkäpä tämä kansa sitten kruunaa jonkun Kaarlen,

yhtä laiskan ja pelkurin kuin ranskalaisten Kaarle,

joka antoi Jeanne d’Arcin palaa ja englantilaisten huudon

kuuluessa säikähtäneenä juoksi karkuun ja lymyyn.

Nämä ajatukset eivät sovi lainkaan,

ei ole syytä kysellä ja arvostella joutavia,

on tärkeämpi jatkaa tätä tehtävää:

olla läntisten kansojen rintavarustus ja ohje,

niinkuin ylempää halutaan ja käsketään,

   sieltä ylhäältä,

josta myös Jeanne d’Arc sai käskyt.

Kuten tuo tyttö Domremyn kylästä, siten tämäkin kansa haluaisi

mieluummin pysyä arkisen työn parissa

   omassa päivän-rauhaisessa työnkierrossaan.

Mutta kuten tuo tyttö, tämäkin on valmis, kun niin on.


par un incompréhensible miracle, ardent à faire son devoir.

Peut-être que ce peuple couronnera quelque Charles

aussi veule et lâche que le Charles des Français,

qui livra Jeanne au bûcher et qui, aux cris des Anglais,

épouvanté, prit la fuite et alla se cacher.

Ces idées-là ne conviennent absolument pas,

il n’y a pas lieu de faire des questions et des jugements inutiles,

il est plus important de poursuivre cette tâche :

être le rempart et le modèle des peuples d’Occident,

comme, là-haut, on le veut et l’ordonne,

   ce là-haut

d’où Jeanne d’Arc aussi reçut sa mission.

Comme cette fille du village de Domremy, il aimerait mieux, ce peuple,

demeurer à son travail de tous les jours

   dans la ronde laborieuse et paisible des jours.

Mais comme cette fille, il est prêt, quand il le faut.


II

 

Ystäväni Péguy, jos olisit nähnyt Suomen kesällä.

Jos olisit vaeltanut järvillämme, jos olisit yöpynyt

   valkean kesäyön kaipuu-täydellisyyteen.

Jos koivumme olisit nähnyt, pitkäriippaiset ja sorjat

   valkotuohineen, harmaan kivikon luota

   yksinäisistä laajoihin metsiin...

Vaikka vain lepikot, laidunten ruostuvat puut.

Ja saaret järvillä, kalasaunat, kuovin laulu öisin.

Miten olisit silloin laulanut?

Turha sitä pohtia, hyvin olisit laulanut.

Katsokaa kuinka kaunis voi olla maa, sanoo Herra,

minä olen sen teille antanut,

kuinka se ei olisi kaunis.

Miten puhdas on taivas, kuultava tai pilvinen,

teille annettu. Katsokaa sitä ja hengittäkää ilolla,

sanoo Herra, riemuitkaa tästä maasta

sillä sitä varten se on teillä.

Riemuitkaa, sanoo Herra.

Sillä ilon minä olen luonut.

En ole pannut sitä piiloon, en kätkenyt.

Ruis kohoaa ja huojuu niin keltaisen kypsänä,

timotei matalana on niin vihreän täyteistä, hyvää.

Kuuset, tummanvihreät, kuolemattomuuden puut,

nimenomattain tämän maan puut,

itse olen ne alkuun istuttanut,

sanoo Herra. Tämän maan puiksi kuten koivut.

Mutta kuuset enemmän kuin koivut,

sillä kuolemattomuus minusta puhuu,

laakeri ja palmu voitosta ja rauhasta,

mutta kuolemattomuudessa ne ovat kaikki tyynni,

sanoo Herra.

 

II

 

 

Ami Péguy, si tu avais vu la Finlande en été.

Si tu avais parcouru nos lacs, si tu avais connu

   la clarté de la nuit d’été, nostalgique autant que parfaite.

Si tu avais vu nos bouleaux, leurs longs pleurs délicats

   et leur écorce blanche, dans le chaos des rochers gris,

   solitaires ou en vastes forêts…

Ou seulement la rouille des aulnes dans les pâtures.

Et les îles sur les lacs, les huttes des pêcheurs, le cri des courlis dans la nuit.

Quel chant alors eût été le tien ?

Il est vain d’en discuter, ton chant eût été beau.

Regardez comme le pays peut être beau, dit Dieu,

c’est moi qui vous l’ai donné,

comment ne serait-il pas beau.

Qu’il est pur le ciel, limpide ou nuageux,

qui vous a été donné. Regardez-le et respirez dans la joie,

dit Dieu, réjouissez-vous de ce pays.

Puisqu’il est à vous.

Réjouissez-vous, dit Dieu,

car j’ai créé la joie,

Je ne l’ai pas enfouie, je ne l’ai pas cachée.

L’orge se dresse et ondule, si jaune, si mûr,

la fléole des prés basse et saturée de vert est si belle.

Les sapins, vert sombre, arbres de l’immortalité,

arbres par excellence de ce pays,

c’est moi-même qui les ai plantés, à l’origine,

dit Dieu. Pour être arbres de ce pays comme les bouleaux.

Mais les sapins plus que les bouleaux,

car l’immortalité parle de moi,

lauriers et palmes de la victoire et de la paix,

mais dans l’immortalité ils y sont tous, sans exception,

dit Dieu.

Entä sitten kirkkoveneet,

älkää niitä piiloittako, ne ovat kauniit

pyhäaamuin vesillä.

Ne minä haluan säilyttää,

sanoo Herra.

Sillä kirkkoveneet ovat matkalaisten voimalliset laivat,

rakentajat niitä soutavat ja niillä on päämäärä.

Ei minkään veneen tuhdot ole yhtä hyvät.

Viikinkilaivat minä murskasin raudalla ja myrskyllä,

näitä ei murskata ja puusta ovat niiden kyljet.

Hyvin hyödylliset.

Niiden liike kesävedellä on niin kaunis,

etten halua tämän elävän kulkemisen loppuvan.

Ja kaikki laiturit, puiset ja kiviset.

Mitä kaikkea on järvienne selillä ja rannoilla,

mitkä muistot ja mitkä reitit ja mitkä unelmat.

Todella olen antanut teille hyvin.

Kaikkein innokkaimmille marisijoille maan päällä,

jotka heittävät heti nurinan kun on tärkeätä tehtävää

ja minä kutsun.

Silloin suomalaiset ovat kaikkein nopeimmat

niin käymään taisteluun kuin sitten palaamaan sieltä.

Kyllä heillä on nopeat jalat molempiin suuntiin,

sen olen nähnyt.

Ja ketkä sitten olisivat sen omahyväisemmät kuin suomalaiset?

Ja ketkä yhtä vaatimattomat?

Tämä kansa on yhtä hyvä kuin sille annettu maa on hyvä.

Riemuitkaa tästä kauniista maasta, sanoo Herra.


Et puis les longues barques des paroisses,

ne les cachez pas, elles sont belles

sur les eaux des matins des dimanches et des fêtes.

Il me plaît de les protéger,

dit Dieu.

Car les barques des paroisses sont de puissants bateaux de voyages.

Ceux qui les ont construites les mènent à la rame, elles ont leur tâche à remplir.

Nulle part je n’ai vu bancs de nage aussi beaux.

Les bateaux des Vikings je les ai fracassés dans le fer et la tempête,

eux ne se brisent pas et leurs flancs sont de bois.

Fort efficaces.

Leurs évolutions sur les eaux de l’été sont si belles

que je ne veux pas que finissent ces vivants mouvements.

Et les pontons, ou de bois, ou de pierre.

Que ne voit-on pas sur les biefs, sur les rives de vos lacs,

que de souvenirs, que de routes et de songes.

Oui, je vous ai bien donné tout cela.

A vous les plus râleurs de tous les râleurs du monde,

qui savez aussi quitter vos grognements dès qu’il y a importante besogne

et que je vous appelle.

Alors les Finlandais sont les plus rapides

pour aller au combat, et pour en revenir.

Oui, ils sont des pieds rapides dans les deux sens,

je l’ai vu.

Et y a-t-il gens plus suffisants que les gens de Finlande ?

Et y a-t-il gens plus humbles ?

Ce peuple est aussi bon que la terre qui lui a été donnée.

Réjouissez-vous de ce beau pays, dit Dieu.


Terra Mariana

 

I

 

Purteni on törmännyt tuhatsata ja kaksisataa luvuille.

Ruotsalaiset ledung-purret, Eerik, Henrik-piispa,

Nikolaus Albanolaisen juhlava viitta

levittyy yli Satakunnan ja Hämeen

se kohottaa kirkot, luo legendat,

tämä pohjoinen maa joka on minulle isänmaa

kirjoitettiin Ristin tunnustuksella

Läntisiin maihin, Rooman piiriin,

oi hyvää tekevä kuri joka saapui Englannin kautta

muttemme tunne enää Nikolaus Albanolaista

tunnemme pyhän Henrikin tarinat.

 

Dominikaanien valkeat puvut, mustat takit,

nuo hilpeät miehet, kerjäläiset,

hiljaiset vakavat katseet, opettajat:

hekö ristivät tämän maan nimellä

Terra Mariana?

Purteni on tämän maan rantaan saapunut.

Pohjoisesta laukkapää lumituuli myrskyää peiton

valkean kaikialle : Marian puku.

Sinisenä kohoo taivas : Marian viitta.

Terra Mariana,

en olisi voinut saapua ihanampaan rantaan

kuin tämän maan

nimensä vuoksi, monet sen ovat unohtaneet.

Kuivat, kuihtuneet viran vuoksi oppineet

nuo kieltävät, viisastelun ikäneitoa kosivat suut,

ovat kaiken lämpöisen ja hellän

viiman ja kylmän sylissä hukanneet.

Terra Mariana

 

I

 

Ma barque a heurté les années mille cent, mille deux cents.

Les bateaux-recruteurs des Suédois, Éric, l’évêque Henri,

la chape blanche de Nicolas d’Albano

s’étend sur Satakunta et Häme

bâtit les églises, crée les légendes,

et voici ce pays du nord, la terre de mes pères,

inscrit dans la confession de la Croix

dans les terres d’Occident, dans l’orbe romain,

ô règle bienfaitrice qui partit d’Angleterre

Nicolas d’Albano nous ne le connaissons plus

nous connaissons la légende de saint Henri.

 

Robes blanches des Dominicains, habits noirs,

ces gens allègres, ces mendiants,

au regard calme et grave, ces maîtres :

est-ce à eux que ce pays doit son baptême et son nom

Terra Mariana ?

Ma barque a abordé aux rives de cette terre.

Du nord, accourt la vague écumante d’un vent de neige 

couvrant tout d’un voile blanc : la robe de Marie.

Le bleu envahit le ciel : le manteau de Marie.

Terra Mariana,

Vraiment je ne pouvais aborder plus beau rivage

que ce pays

pour son nom, mais combien l’ont oublié.

Ces érudits secs, usés par leur office

ces bouches négatives, flattant cette vieille fille, la chicane,

ont perdu toute chaleur, toute tendresse

dans les étreintes de la bise et du froid.

Terra Mariana –

kuka tuon nimen on unohtaa voinut?

Miten lempeä

kuitenkin pohjoisen tuulet

miten suloinen

kuitenkin syksyn kuolettavat pimeät.

Myös syntymä ja kuolema

nuo molemmat tuskaiset ilot

Neitsyen puvussa, viitassa suojatut

kuten elämä ja sen mahdollisuudet.

Entä mahtavuuksien salatut näyt

joita ei koe silmä eikä käsi kirjoita?

 

Entä...

Terra Mariana...

Miten hämmentävän suloinen...

Miten ovatkaan onnelliset nämä asukkaat...

Terra Mariana, peittävä myös kaiken kristillisen

ja epäkristillisen muslimien buddhistien marxistien

ties mitkä luulot ja tiedot missäkin ja kenet ja minkävuoksi

vain yhtä voi rukoilla : Neitsyt vaipallasi peitä meidät kaikki

meidät ihmiset eri ajoissa, rukoile puolestamme

myös Novgorodin myös Miklagårdin myös Kiinan Dynastiain

meidät kaikki missä lienemmekin, poljemme Terra Marianan

pyhitetyt tiet, luo kallion kenties, luoksesi...

Purteni kosketti kotimaan rantaa kauan sitten

Pyhän Eerikin ja marttyyripiispan veneitten kanssa

kenties vasta äsken – mikä on ranta nimeltään ”äsken”?

Mitä rantaa voi kutsua ”kauan sitten”?

Hupaisa tuuli luo sanoja ja säitten tuntijat

ottavat ne kiinni, hassut tärkeät ilmeet

vie tuuli reiteilleen ja sirottaa joutavat

niinkuin kaikki on kohdallaan ja hyvin.

Sittenkin tämä etäinen kolkka

Terra Mariana –

qui a pu oublier ce nom-là ?

Quelle douceur

malgré les vents du nord

quelle grâce

malgré les ténèbres mortelles de l’automne.

Et aussi la naissance et la mort

ces deux joies douloureuses

dans le pli de la robe, dans le pli du manteau de la Vierge, à l’abri,

comme la vie et tout ce qu’elle rend possible.

Et que dire des puissances, de leurs visions secrètes

que l’œil ne peut voir, que la main n’écrit pas ?

 

Que dire…

Terra Mariana…

Quelle douceur confondante…

Qu’ils sont heureux ses habitants…

Terra Mariana, refuge aussi de tout chrétien

et de tout non-chrétien musulman bouddhiste marxiste

je ne sais quelle croyance quel savoir où qu’ils soient quels qu’ils soient je ne sais

mais on peut toujours dire cette prière : ô Vierge prends-nous tous dans ton manteau

nous tous hommes de temps différents, prie pour nous

de Novgorod et de Ville-Saint-Michel et des dynasties de la Chine

nous tous où que nous soyons, nous foulons les routes sacrées

de Terra Mariana, jusqu’au rocher peut-être, jusqu’à toi…

Ma barque a touché la terre natale son rivage il y a bien longtemps

avec les bateaux de saint Eric et de l’évêque martyr

ou peut-être à l’instant – quel rivage porte ce nom, « à l’instant » ?

Quel rivage peut-on appeler « il y a longtemps » ?

Un vent d’allégresse crée les paroles et les connaisseurs des temps

les saisissent, quant aux sages à leurs mines drôles et graves

le vent les porte sur les routes et balaie leur vanité

comme tout est à sa place et bien en ordre.

Pourtant ce coin lointain

entisellä nimellä hyvin unohtuneella

lähteen lailla alati solisevalla kauniilla nimellä

Terra Mariana

on monien rantojen joukossa sangen hyvä

miksi unelmoida Välimerestä,

lammikko se on

aivojen karttoihin talletettu

lämpöinen lammikko sangen hyvä.

Ajatusten pursi kantakoon isänmaansa nimeä

sidottu rantaan joka on yltäisen yksin

joka rannalla, kylässä, kaupungissa

kaikkialla missä suloisin hymyin...

 

Terra Mariana.


au nom ancien bien oublié

au nom toujours jaillissant comme une source

Terra Mariana

il est entre tous les rivages singulièrement beau

pourquoi rêver de la Méditerranée

ce n’est qu’une mare

déposée dans les atlas de nos cerveaux

une mare bien chaude singulièrement bonne.

Que la barque des pensées porte le nom de sa patrie

amarrée au rivage qui est absolument seul

sur chaque rivage, dans chaque village, dans chaque ville

partout avec un doux sourire…

 

Terra Mariana.


II

 

Mikä kaupunki, mikä maa, mikä valtakunta?

 

– Gaude Virgo gloriosa…

 

Kuka on äitimme, ken vapaa nainen on, kenen lapset olemme?

 

– Ave Regina cœlorum...

 

Mikä Neitsyt, kuka kuningatar, mitkä taivaat?

 

– Ave Domina Angelorum....

 

Enkeleitten herratar, hilpeät lempeät suloiset kasvot,

ole tervehditty, uudelleen meidät synnyttänyt,

ole ylistetty, emme ole Eevan lapsia emme Haagarin

vaan Marian, kirkkauden,

ketkä me, kuka minä, hetkä he?

Mikä Maria, mikä Neitsyt, kuka Herratar, mikä Kuningatar?

Mitkä Jerusalemit: orjatar ja vapaa, orjuuden ja vapauden lapset?

 

Veljet, emme ole orjattaren, vaan vapaan lapsia.

 

Ken on äitimme, kuka isämme, ketkä veljemme, keitä sisaret?

Entä vaimot, entä tyttäret?

Mitä perhettä, mitä kansaa, mitä rotua, mitä heimoa?

Kuka olen katseesi kohdussa, henkeni äiti?

Mitä perheitä on hengessäni, mitä kansoja, mitkä enkelit?

Äitini, mikä olet Sinä minussa?

Sydämeni kätketyssä katedraalissa ken hymyten rukoilee?

”Poikansa ja Herransa ruumiissaan

synnytti taivaissa kruunattu Neitsyt.”

 

II

 

Quelle ville, quel pays, quel État ?

 

– Gaude Virgo gloriosa…

 

Qui est notre mère, qui la femme libre, de qui sommes-nous les enfants ?

 

– Ave Regina cœlorum…

 

Quelle Vierge, quelle reine, quels cieux ?

 

– Ave Domina Angelorum…

 

Dame des anges, joyeux doux adorable visage,

sois saluée, toi qui nous a donné à nouveau naissance,

sois glorifiée, nous ne sommes pas les enfants d’Ève ni d’Agar

mais de Marie, de la lumière

Quels nous, quel moi, quels eux?

Quelle Marie, quelle Vierge, quelle Dame, quelle Reine ?

Quelle Jérusalem : esclave et libre, enfants de l’esclavage et de la liberté ?

 

Frères, nous ne sommes pas les enfants de l’esclave mais de la femme libre.

 

Qui est notre mère, qui est notre père, qui nos frères, qui nos sœurs ?

Et les épouses, et les filles ?

De quelle famille, de quelle nation, de quelle race, de quelle tribu ?

Qui suis-je dans les entrailles de ton regard, mère de mon esprit ?

Quelles familles dans mon esprit, quels pays, quels anges ?

Ô ma mère, quelle es-tu en moi ?

Dans la cathédrale enfouie de mon cœur qui prie en souriant ?

« À son Enfant et son Seigneur dans son corps

donna naissance la Vierge couronnée aux cieux. »

 

– sero Te amavi, Pulchritudo, tam antiqua et tam nova,

sero Te amavi.

Augustinus, Monican poika, Hippon piispa, kuollut...

Augustinus, Marian poika, opettaja ja ystävä, elävä...

Pyhä Augustinus yhäti puhuva

Jumalan tyttärestä

Kauneudesta

Olisiko kaksinaisuus:

Kenellä on kaksi äitiä?

Veljet, olemmeko orjattaren ja vapaan lapset?

Eeva, lait ja sen tuomitsemat?

Kivisinettiset lait, hautapatsaat, jykevät, armottomat.

– Ad te, regina cœli, clamamus exules filii Hevæ...

 

Mikä kaupunki, mikä maa, mikä valtakunta,

mikä hilpeys, mikä kirkkaus, mikä lempeys,

kuka olen katseesi kohdussa, henkeni äiti?

 

– Ave Regina cœlorum...

 

Jumalan tytär, sydämeni kätketyn katedraalin

kuinka rakensit

Jumalan äiti kuinka henkeeni synnytit

nämä suloiset vaikeudet kuin kasvosi ihanat

ajatusten ylistyksen

kiitävät kautta jokaisen nurkan läpi sielun

aivojen.

 

”Niin me siis, veljet, emme ole orjattaren lapsia, vaan vapaan.”


– sero Te amavi, Pulchritudo, tam antiqua et tam nova,

sero Te amavi.

Augustin, fils de Monique, évêque d’Hippone, mort…

Augustin, fils de Marie, maître et ami, vivant…

Saint Augustin toujours parlant

De la fille de Dieu

De la beauté

Y aurait-il dualité :

Qui a deux mères ?

Frères, sommes-nous les enfants de l’esclave ou de la femme libre?

Eve, les tables de la loi et ceux qui sont condamnés ?

Les tables gravées dans la pierre, stèles funéraires, massives, sans pitié.

– Ad te, regina cœli, clamamus exules filii Hevæ…

 

Quelle ville, quel pays, quel royaume,

quelle allégresse, quelle clarté, quelle douceur

qui suis-je dans les entrailles de ton regard, mère de mon esprit ?

 

– Ave Regina cœlorum…

 

Fille de Dieu, la cathédrale enfouie de mon cœur

comment l’as-tu bâtie

Mère de Dieu comment as-tu fait naître dans mon esprit

ces douces difficultés et ton visage adorable

pensées de louange

filant pénétrant tous les recoins de l’âme

du cerveau.

 

« Ainsi, frères, ne sommes nous pas enfants de l’esclave, mais de la femme libre. »


 

Jeanne

 

 

 

I

 

 

 

On helppo rakastaa Jeanne d’Arcia.

On unelmaa, kuvitelmaa, fantasiaa?

Hän on ajat sitten kuollut – kenties?

On helppo rakastaa – kenties?

 

Nouse ja ratsasta hänen seurassaan,

hän on nuori ja yksinkertainen tyttö,

hän tuoksuu köyhyydelle ja lampaille.

Hän on kaunis. Rakastat häntä.

 

Asetu iltaisin levolle hänen kanssaan.

Pelkureitten keskellä tuo tulisuus

nuori ja kaunisrintainen tyttö

asettuu levolle viereesi.

Mitä sinä ajattelet, joka sanot:

”On helppoa rakastaa Jeanne d’Arcia?”

 

Nouse ja ratsasta aamulla hänen kanssaan.

Mikä saa sinut seuraamaan häntä?

Mikä himo? Et tiedä. Lähde pois.

Et voi. Miksi? Hän on vain nuori tyttö.

 

Hän ratsastaa Compiègnen metsässä.

Hän vain katsoo sinua, hänen silmänsä näkevät

niinkuin hänen korvansa kuulevat

mitä et ole nähnyt, kuullut, seuraat...

 

Nouse ja seuraa häntä englantilaisten luo.

Älä eksy tunteellisiin: seuraa pyövelin luo.

Hän riisutaan, hän on roviolla, tuo kaunis.

Mikä hänessä on kaunis? Kuolla, toteutua.

Jeanne

 

I

 

 

Jeanne d’Arc, il est facile de l’aimer.

Est-ce rêve, illusion, fantaisie ?

Morte il y a plusieurs siècles – qui sait ?

Il est facile de l’aimer – qui sait ?

 

Lève-toi et chevauche à sa suite,

c’est une jeune et simple fille,

elle sent la pauvreté et les moutons.

Elle est belle. Tu l’aimes.

 

Aux soirs, va prendre ton repos avec elle.

Dans ce cercle de pleutres voici ce feu, cette ardeur,

cette fille si jeune, aux seins si beaux

qui prend son repos à tes côtés.

Que penses-tu, toi qui dis :

« Qu’il est facile d’aimer Jeanne d’Arc» ?

 

Lève-toi et chevauche avec elle au matin.

Qui te pousse à la suivre ?

Quelle passion ? Tu ne sais. Quitte-la.

Tu ne peux. Pourquoi ? Ce n’est qu’une jeune fille.

 

Elle galope dans la forêt de Compiègne.

Elle te regarde seulement, ses yeux voient

autant que ses oreilles entendent

ce que tu n’as pas vu, entendu,  tu suis

 

Lève-toi et suis-la jusqu’aux Anglais.

Ne t’égare pas dans les sentiments; suis-la jusqu’au bourreau.

On la dépouille, elle est sur le bûcher, cette fille si belle.

Qu’y a-t-il en elle de beau? De mourir, de s’accomplir.

 

 

 


 

II

 

 

Kirkko, varovainen äiti, ei pelkää tottelevaisiaan.

Luuletko tietäväsi  jotain tuollaisesta varovaisuudesta?

Kieltää uskomasta ääniin ja kuuloihin.

Viisas äiti.

Olen nähnyt paholaisen, myös helvetin;

epäilyksettä niiden alkuperä.

Olen nähnyt myös – mutta siinä oli hiljainen tuska

en puhu tuosta hiestä, huokauksesta.

Kyyneleet? Ei niitä ollut.

 

Danten opas...

Mutta Dante ei milloinkaan ratsastanut

Jeanne d’Arcin rinnalla kun taistelu oli turha,

kukaan ei uskonut,

ja hän sai voiton.

Kirkko, hiljainen äiti, pyhien kyyneleet,

nämä pyhäinmuistot jotka putosivat maahan.

Nämä. Ja Jeannen hiukset, leikatut.

Palaneet.

Mihin turvaan hakeutuisin etsiessäni

olleeksi sanotulle oikeutta?

 

Jeanne,

on helppo rakastaa sinua liekkien vuoksi.

Niiden vuoksi en voi sinua rakastaa

enkä niitä voi kadehtia: ne ovat sinun.

Ratsasta köyhän ja nöyrän tytön seurassa

tuskien teillä. Tulisuutesi sytyttää jotkut,

ohjaat heidät ja he taistelevat ja Ranska on vapaa.

Mikä Ranska? Tunnen monta.

Ei sinulla ole perusteita, paitsi usko.

Rakkaus on ratsastamisessa eteenpäin,

ei ehdi ajatella. Edetkäämme toteutuaksemme, Jeanne. Siksi.


 

II

 

 

L’Eglise, mère prudente, ne craint pas ceux qui lui sont soumis.

Penses-tu savoir quelque chose de cette prudence-là ?

Elle défend de croire aux voix, à ce que l’on entend.

Mère très sage.

J’ai vu le Malin, j’ai vu aussi l’enfer ;

sans aucun doute l’origine de ceci.

J’ai vu aussi – mais c’était là douce souffrance

je ne parle pas de la sueur, des soupirs.

Les larmes? Il n’y en avait point.

 

 

Le guide de Dante…

Mais Dante jamais ne chevauchait

aux côtés de Jeanne d’Arc quand la lutte était vaine,

que personne n’y croyait,

et qu’elle eut la victoire.

Eglise, mère sereine, larmes des saints,

ces reliques saintes qui tombaient à terre.

Celles-ci. Et les cheveux de Jeanne, coupés.

Brûlés.

Quel secours pourrais-je trouver quand je cherche

à rendre justice à ce qui a été dit ?

 

Jeanne,

il est facile de t’aimer à cause des flammes.

Ce n’est pas pour elles que je puis t’aimer

et ne peux non plus les envier: elles sont à toi.

Chevauche à la suite de la pauvre et humble fille

sur les routes de douleur. En voici quelques-uns qu’enflamme ton ardeur,

tu les conduis, ils livrent bataille, la France est libre.

Quelle France ? J’en connais plusieurs.

Tu n’as pas d’arguments, sinon la foi.

L’amour, c’est de chevaucher toujours plus avant,

pas de temps pour penser. Avançons pour nous accomplir, Jeanne. Pour cela.


 

III

 

 

Jeanne d’Arc. Minä joka rauhaa rakastan

näin haarniskan tytön yllä ja

näin kuinka hän ratsasti metsän rinteellä.

Jeanne d’Arc, tämä kaunis tyttö,

hän vakava ja hyvä,

ranskalaisten suojelijatar

ja minä olen suomalainen jos joku.

”Ja minä olen ranskalainen”, sanoo minussa joku.

Ehkä tämä on uusi rakkaus, jokin runollinen kuva,

ja pääsy jostakin joka ahdistaa?

Jeanne d’Arc – sinä ratsastat

Compiègnen metsätiellä odottavat englantilaiset,

oi orleansilaisten neito, he ottavat sinut.

Näen jotakin joka ahdistaa

kun he tuomitsevat sinut ja polttavat.

Ei pyhimyksen liha, jänteet ja hermot

koe vähemmin tuskaa kuin minun,

ja kuolemisen ilo – siihen

en lainkaan usko,

ei ihminen kuole roviolla enkeleitten saattamana

vaan pyövelin ja tuomarin käsi saattoivat sinut.

Jeanne d’Arc – minä näen kasvosi kun ratsastat,

ne ovat kalpeat ja vakaat ja varmat, koska päämäärä.

Ja taivaan suunnitelmat ovat käsittämättömät,

ne tarjoavat kärsimystä, ja niiden yllä on kirkkauden ilo.

Jeanne d’Arc – tätä kertoen vaieten ratsastat

mielen maisemassa? Näen haarniskasi ja kasvot eteen katsovat.

Olet kaunis ja tämä hellyys on julmaa

näin heikoille kuin minä.


 
III

 

 

Jeanne d’Arc. Moi qui aime la paix,

j’ai vu une fille sous les armes et

j’ai vu son cheval au galop à l’orée des forêts.

Jeanne d’Arc, cette fille si belle,

si grave et si bonne,

patronne des Français

et moi, plus qu’aucun autre, je suis de la Finlande.

« Et moi je suis de France », dit une voix en moi.

Peut-être est-ce nouvel amour, quelque image poétique,

délivrance d’une angoisse qui m’étreint?

Jeanne d’Arc – tu galopes

dans les layons de Compiègne où les Anglais t’attendent,

ô pucelle des gens d’Orléans, ils s’emparent de toi.

Je vois, je vois l’angoisse 

quand ils te jugent et te brûlent.

Non, la chair, les muscles et les nerfs d’un saint

ne souffrent pas moins que les miens,

et la joie de mourir – à cela

je ne crois aucunement,

non, l’homme ne meurt pas sur le bûcher accueilli par les anges

mais c’est la main du bourreau et du juge qui t’ont accueillie.

Jeanne d’Arc – je vois ton visage quand tu chevauches,

il est pâle et grave et ferme, car c’est le terme.

Et les desseins du ciel sont imprévisibles,

ils offrent la souffrance, et au-dessus d’eux il y a la joie de la lumière.

Jeanne d’Arc – en faisant ce récit en silence tu chevauches,

dans le paysage de mon âme ? Je vois ton armure et ton visage qui regardent vers l’avant.

Tu es belle et cette tendresse est cruelle

pour les faibles, comme moi.

 


 

Etene

 

– Johanna, miksi minua katselet?

– Aurinkoonpuettu hymyilee sinulle

ja minä ratsastan kanssasi.

– Johanna, Johanna, minne?

– Älä kysy, tiet näet, hymyn valaisemat,

ja minä ratsastan takanasi.

– Johanna, olen valmis.

– Älä puhu,

etene toteutuaksesi.


 

     

Avance

 

– Jeanne, pourquoi me regardes-tu ?

– Celui qui est vêtu de soleil te sourit

et moi je chevauche avec toi.

– Jeanne, Jeanne, où aller?

– Ne questionne pas, tu connais les chemins, que le sourire illumine,

et moi je chevauche derrière toi.

– Jeanne, je suis prêt.

– Ne parle pas,

avance pour t’accomplir.

 

***


 


Aale Tynni

 

 

Osmo Pekonen

 

L’œuvre d’Aale Tynni (1913-1997), très importante, comprend des dizaines de recueils. Son inspiration est classique et trouve sa matière dans les mythes, les légendes et les gestes héroïques. Elle connaissait fort bien  toutes les traditions poétiques de l’Europe. Son ouvrage le plus connu est en effet Tuhat laulujen vuotta [Mille ans de poésie] (1957), vaste anthologie de poèmes traduits de toutes les langues. Péguy hélas n’y figure pas. Aale Tynni est aussi connue pour sa traduction de l’Edda en finnois.

Aale Tynni est née à Kolppana en Ingrie, province russe proche de Saint-Pétersbourg dont la population, avant les déportations staliniennes, était largement finlandaise. Son père était journaliste, sa mère institutrice. Après la révolution russe, sa famille s’enfuit en Finlande, en 1919. Aale Tynni a commencé à composer des poèmes dès l’enfance. On l’a appelée « le dernier chantre » de l’Ingrie, dont la culture a été presque entièrement anéantie par les communistes.

En 1939, après des études à l’Université d’Helsinki, elle voyage en France et en Italie. Elle en retient les figures de sainte Jeanne d’Arc et de saint François d’Assise. Elle épouse en 1940 Kauko Pirinen, un historien de l’Église, auquel elle donne trois enfants. Elle divorce et   se lie avec Martti Haavio, académicien et grand poète. Elle est elle-même devenue académicienne en 1982. Entre autres distinctions, mentionnons la médaille d’or qu’elle a reçue au concours de poésie des Jeux Olympiques de Londres en 1948.

 


Aale Tynni

 

 

Reimsiin

 

Rovio auki rävähti kuin kukka

ja paloi, vaan ei tapahtunut mitään:

odotan yhä lampaitteni luona.

Maat tallatut ja tuulenpesät puissa.

Ja lampaat määkivät ja vaikenevat.

Ja pyhät vaikenevat, puhuvat.

Monissa tuulissa on tuiverretttu

lapsuuden usko yksinkertainen,

vaan yhä lampailla on pyhäin ääni

ja pyhilläni ääni lampaiden.

Maat tallatut, ja viisisataa vuotta.

– Johanna, nouse! Reimsiin vie dauphin!

Johanna, Reimsiin! – Niinpä nousin, vein.

Ja päivät hulmusivat valkeat,

sinersi Ranskan taivas,

ja lilja verestämme punertui,

kun dauphin kruunattiin.

Hän oli väärä.

Niin myytiin isänmaa.

Rovio kukki, lilja lakastui,

ja kuinka jaksavatkaan viisastella

punainen, sininen ja valkoinen!

Maat tallatut ja viisisataa vuotta,

vaan vieläkin voin Reimsiin ratsastaa.

Jo ratsut, miekat, mielet ovat valmiit.

Erehdyin kerran –

paremmin täytyy korvan erottaa

nyt äänet lampaiden ja pyhäin äänet.

Aale Tynni

 

 

À Reims

 

Le bûcher allumé a éclaté comme une fleur

il a flambé, mais rien n’est advenu :

j’attends toujours auprès de mes moutons.

Terres piétinées et loupes dans les arbres

Et les moutons bêlent et se taisent

Et les saints se taisent et parlent.

À tous les vents s’est tordue

la foi simple de l’enfance,

mais toujours les moutons ont la voix des saints

et mes saints la voix des moutons.

Terres piétinées, et cinq cents ans.

– Jeanne, lève-toi ! Mène le dauphin à Reims !

Jeanne, à Reims ! – Eh bien, je me suis levée, je l’ai mené.

Et les jours ont filé, blancs,

bleu est devenu le ciel de France,

et le lys s’est rougi de notre sang,

quand le dauphin a été couronné.

Faux dauphin.

C’est ainsi qu’on a vendu la patrie.

Le bûcher a fleuri, le lys s’est fané,

et pourquoi ces chicanes

entre le rouge, le bleu et le blanc !

Terres foulées et pendant cinq cents ans,

mais je peux bien encore chevaucher jusqu’à Reims.

Déjà chevaux, épées et cœurs sont prêts.

Je me suis bien trompée une fois –

mon oreille doit mieux distinguer

maintenant les voix des moutons et celles des saints.

 

Kysyä tahdon: kirjain vaiko henki?

Sekö on kuningas, ken kruunataan?

Soturit, vastatkaa: – vai kruunataanko

se, ken on kuningas?

 

 

 

***


 

Simple question : la lettre ou l’esprit ?

Est-il roi, celui qu’on couronne ?

Soldats, répondez : – ou couronne-t-on

celui qui est roi ?

 

 

 

***

 



[1] « L’esprit du gothique – projet non réalisé de M.Volochine » in Rousskaja literatoura i zaroubejnoije iskousstvo [Littérature russe et art étranger], Léningrad, Naouka, 1986, p. 317-346.

[2] Maximilien Volochine, Izbranniyé stikhotvoryéniya [Poèmes choisis], Moscou, 1988, p. 136.

[3] O. Mandelstam, Kamen’ [La Pierre], Léningrad, 1990, p. 166.

[4] Valéry Brioussov, Sobranniyé sotchinyéniy [Œuvres choisies], t. II, Moscou, 1973, p. 157.

[5] M. Кузмин, Собрание стихотворений [Recueil de poèmes], t. III, Munich, 1977, p. 461-462.

[6] Il existe plusieurs guerriers célèbres prénommés Omar. Il semble s'agir ici du chef toucouleur Omar Saidou Tall, dit el-Hadj (Fouta Toro, Sénégal, 1797 – Bandiagara, Mali, 1864). Voici sa notice dans « Le Petit Mourre » (Dictionnaire de l'histoire, 1990, p. 641) : « Dès 1850, il commença la guerre sainte pour imposer à l'islam noir et aux paiens la confrérie Tidjaniya. Après avoir soumis facilement les Mandingues et les Bambaras du Kaarta, il se heurta au fortin français de Médine, dans le haut Sénégal. Orientant alors sa marche vers l'est, il vainquit les Bambaras de Ségou, détruisit le royaume peul du Macina, dont il massacra tous les chefs sauf un qui souleva les Peuls. Omar dut se réfugier dans une grotte, et les Peuls le firent sauter en mettant le feu à sa réserve de poudre. Son œuvre […] marque l'implantation durable de l'islam dans les populations soudanaises. »

[7] « Я знаю только радости отдачи / Чтобы собой тушить людскую скорбь... », Mère Marie, Poèmes, éd. de la Société des amis de Mère Marie, 1949, p. 45 (en russe).

[8] Les lecteurs français peuvent faire connaissance avec Mère Marie grâce aux publications suivantes : revue Contacts, 1965, n° 51, p. 178-232 (publication préparée par É. Behr-Sigel et O. Clément) ; Élisabeth Behr-Sigel, Un moine de l’église d’Orient, Cerf, 1993 (lire notamment le chapitre sur Mère Marie, p. 279-286) ; Mère Marie, Le Sacrement du Frère, Sel de la Terre, 1re éd. : 1995, éd. utilisée : 2e éd., 2001 (recueil de textes et biographie spirituelle de Mère Marie réunis par Hélène Klepinine-Arjakovsky) ; Laurence Varaut, Mère Marie, Saint-Pétersbourg – Paris – Ravensbrück, Perrin, 2002.

[9]Lire « Les Dernières Romains » in : Volya Rossii, n° XVIII-XIX et « Rencontres avec Blok » in Mère Marie, Essais, articles, prose autobiographique, YMCA-Press, 1992, vol. 1 (en russe).

[10] Voir, en français, « Le second commandement de l’Évangile », « Mystique des relations humaines », « Vers un nouveau monachisme » et d’autres articles in Le sacrement du Frère, op. cit.

[11] Lettre au père Serge Hackel (archives privées, Angleterre).

[12] Cette citation et les suivantes sont tirées des poèmes que nous publions ici.

[13] « Sans cesse je perçois un grondement secret », cycle Messagers.

[14] « Sous la signe de la perte » in Mère Marie, Vers, poèmes, mystères, souvenirs de l’arrestation et du camp de Ravensbrück, 1947, p. 114-115 (en russe).

[15] Publié en français dans Le Messager orthodoxe, III-1998, n° 99, p. 3-42 et repris dans Le Sacrement du Frère, op. cit., p. 73-122.

[16] « La Garde de la Liberté » in Mère Marie. Essais, articles…, op. cit., vol. II, p. 267 (en russe).

[17] Mère Marie, Poèmes, Berlin, Petropolis, 1937. Nous publions ici plusieurs poèmes tirés de ce recueil.

[18] « Je mourrai et je ressusciterai de nouveau. » in Ruth, 1916.

[19] « Tout s’est confondu, la joie et la souffrance […] mais au-dessus de tout résonne la jubilation », dans Poèmes, 1937, op. cit., p. 55.

[20] Voir par exemple la chanson de Bertrand dans le drame de Blok La Rose et la Croix : « La joie et la souffrance sont une même chose ».

[21]Mère Marie. Poèmes, éd. de la Société des amis de Mère Marie, 1949 (en russe). Traduction française d’Élisabeth Behr-Sigel et Olivier Clément in Contacts, n° 51, 1965, p. 220-226.

[22] Mère Marie, Poèmes, Berlin, Petropolis, 1937. Traduction française d’Hélène Arjakovsky-Klépinine in Le sacrement du frère, Cerf, 2001, p. 299-305.