Ce numéro est dédié
à la mémoire d’Alain Brunet (13 mars 2005)
Sommaire
Yves
Avril : Chers
amis…………………………………………………………………... |
5 |
Colloque
de Lyon
(21
–24 avril 2004)
Première
partie
Alain
Gérente : Mot
de bienvenue…………………………………………………….…... |
9 |
Yves Avril : Péguy à Lyon……………………………………………………………..…... |
10 |
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Christine Trifot : La voie spirale chez Péguy……………………………………………... |
13 |
Violaine Dupré La
Tour : L’audace dans Le
Mystère de la charité de Jeanne d’Arc……. |
17 |
Ludmila Chvédova : Péguy
et la prière des pierres…………………………………………..…… |
22 |
Romain Vaissermann : Tentative
d’élucidation de la
« Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres »…………………………………………………………………………… |
27 |
Katarzyna Kern R. Pereira : La méditation (tefilla) de Charles
Péguy………………….. |
38 |
Pauline Bernon-Bruley :
Un arrêt du temps chez Péguy
et Bérulle………………………. |
42 |
Elena Djoussoïéva : Le mystère comme élément de la foi chez Péguy et les écrivains russes
de la fin du XIXe siècle…………………..…………………..…………………... |
48 |
Elena Boulychéva : La prière comme genre littéraire dans la littérature du Siècle d’argent |
53 |
Anna Vladimirova : La Jeune fille Violaine et L’Annonce faite à
Marie de Paul Claudel, Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc de
Charles Péguy : Présence du mystère…………………..…………………..…………………..………………………. |
59 |
Tatiana Taïmanova :
Le Mystère de l’histoire chez Péguy et chez
Berdiaev……….……. |
64 |
Tatiana Victoroff : Consonance de deux mystères modernes : le Mystère des Saints
Innocents de Péguy et Les Sept Coupes de mère Marie (Skobtsoff)
…………………… |
70 |
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Catalogue des numéros 1 à 17 du Porche (1996-2004)………………….………...……..... |
76 |
Dans le numéro 19 du Porche
(juillet 2005)
vous pourrez lire
Colloque de Lyon
(21-24 avril 2004)
Deuxième partie
Pierre Deruaz : Prier
avec Péguy
Nina Kalitina :
Prière et mystère dans la sculpture commémorative française du XIXe
siècle
Ekaterina Kondratieva :
La prière au Jardin des Oliviers, porte vers la liberté
Igor Taïmanov : L’oratorio
de Honegger, Jeanne au bûcher, sur la scène russe
Maria Żurowska : La
traduction : mystère et prière
Antoine Assaf : Le
Verbe et le Martyre
Osmo Pekonen : « Les
bourgeons qui s’ouvrent » : confluence de trois destins
Didier Dastarac :
Prier avec Jeanne d’Arc
Chers
Amis,
Notre première intention avait été de publier les Actes du colloque de Lyon en un seul volume. Malheureusement, d’une part, nous n’avons pas reçu toutes les communications qui y ont été faites[1], d’autre part nous aurions obtenu un bulletin de plus de 140 pages, ce qui était excessif. Nous avons donc décidé de consacrer à ces Actes deux numéros, ce 18 et le 19 qui paraîtra au mois de juillet. Il faut avouer que nous commençons à prendre un sérieux retard : nous n’avons pas achevé la publication des Actes du colloque de Saint-Pétersbourg d’avril 2003, nous avons en chantier ceux de la session-retraite de Varsovie de septembre 2004 et notre amie Katarzyna prévoit pour cette année trois rencontres polonaises qu’organise sa fondation « L’Europe de l’espérance » (Centre Jeanne d’Arc – Charles Péguy de Varsovie) et dont nous devrons, au moins partiellement, rendre compte. Les contraintes de notre modeste budget nous obligent pour l’instant à nous borner à ces trois numéros par an. Pardonnez-nous ces retards qui ne sont dus qu’à ces contraintes et à l’abondance de textes à publier.
Notre prochain colloque, organisé par le Centre Jeanne d’Arc – Charles Péguy de l’Université d’État de Saint-Pétersbourg, aura lieu dans cette ville du 19 au 21 avril 2005 sur le thème « le Poète et la Bible ». Une cinquantaine de communications sont prévues.
Pensez
à notre projet de rencontre à Turku en Finlande (juin 2006) sur le sujet
« Témoins de l’espérance ».
Vous
trouverez à la fin de ce volume le Catalogue des articles
publiés dans le Porche depuis la création de l’Association en mai 1996.
Nous devons l’essentiel de ce catalogue à notre secrétaire général Romain
Vaissermann.
L’assemblée
générale de l’Association s’est tenue le 5 février 2005 : le rapport
d’activités et le rapport financier ont été approuvés à l’unanimité. Le budget
est très modeste, mais nous n’avons plus de dettes ; nous peinons toujours
à recouvrer les cotisations, mais ce n’est pas ce point qui fait l’originalité
du Porche par rapport aux autres associations.
D’autre part, nous mettrons à profit les observations qui nous ont été faites
quant à la gestion de nos stocks, en recensant les exemplaires en excédent,
destinés soit à la propagande soit à la vente au détail. Enfin il faudra très
probablement prévoir pour le début de l’année 2006 une Assemblée générale
extraordinaire pour le renouvellement du Conseil d’administration (changement
de président, de vice-président, de secrétaire général et de trésorier).
Nous
terminions la mise au point de ce numéro lorsque nous avons appris la mort de
notre ami Alain Brunet. La discrétion d’Alain, son humour, sa culture, sa
passion pour la littérature et sa rigueur professionnelle faisaient que ses
conseils et ses encouragements étaient pour nous inappréciables. Nous lui
dédions, en toute humilité, conscients de nos imperfections au regard de ses
exigences, ce numéro du Porche.
Merci
de votre fidélité.
Yves
Avril
Président
de l’Association
Colloque
de Lyon
(21
–24 avril 2004)
Première
partie
Mot de bienvenue
Alain Gérente
Institution des Chartreux
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Ami(e)s
venu(e)s de Finlande, ami(e)s venu(e)s de Pologne, ami(e)s venus de Russie,
ami(e)s venu(e)s de France, ferventes et fervents de Jeanne d’Arc et de Charles
Péguy.
Au
nom du chef d’établissement empêché et qui vous prie de l’excuser, au nom de
tous les membres de la communauté éducative de l’Institution des Chartreux, et
en mon nom personnel, soyez les bienvenu(e)s chez nous ! Soyez les
bienvenu(e)s parmi nous !
Terve tuloa ! Witame serdecznie ! Priviet !
Jeanne
la Lorraine, en sabots, est une résistante. Des marches du royaume, elle a dit
« non possumus » et a bouté hors des
frontières l’ennemi. L’Église en a fait, tardivement, une sainte et pour tous
les Français, elle est devenue une icône dans tous les sens du terme, entre
Astérix et le général de Gaulle.
Charles
Péguy, lui aussi est un résistant. Alors qu’un officier de l’armée française était
accablé par sa hiérarchie et par une grande partie de l’opinion publique, il a
dit « non possumus » et a défendu l’honneur du
capitaine Dreyfus.
Que
ces deux rebelles, la sainte et le socialiste, stimulent vos travaux au cours
de ces trois journées d’étude et d’amitié et, n’en doutons pas, de
communion !
En
vous accueillant et en vous accompagnant nous remplissons une des missions d’un
établissement scolaire, a fortiori catholique : être un
lieu-relais de la culture, être un lieu où l’on passe – dans toute la polysémie
du terme –, être un lieu où l’on éveille, être un lieu où l’on initie, somme
toute être un lieu d’échange !
Merci
à vous toutes et à vous tous d’être les artisans de cette patrie commune à tous
les hommes de bonne volonté, de cette seule et unique patrie qui transcende les
frontières : la pensée, au service de l’homme. À proprement parler :
une passion, certes, mais une passion fécondante…
Je
déclare ouvert le colloque « Autour de Jeanne d’Arc et de Charles
Péguy : prière et mystère » organisé par l’Association « Le
Porche » et je passe la parole à son président Yves Avril.
Priviet !
Witame serdecznie ! Terve tuloa !
Péguy à Lyon
Yves Avril
Orléans
Nous accueillons nos amis de Lyon, de France, de
Finlande, de Pologne, de Russie. Merci d’être venus pour ce douzième colloque
auquel participe notre association : sept à Saint-Pétersbourg, deux et
bientôt trois en Pologne, un et bientôt deux en Finlande, deux en France, celui
d’Orléans en 2001, celui de Lyon aujourd’hui. C’est bien le cas, personne ne me
contredira, de reprendre ces mots de Péguy : nous sommes « une sorte
de foyer, une société naturellement libre de toute liberté, une sorte de
famille d’esprits, sans l’avoir fait exprès, justement : nullement un
groupe, comme ils disent ; cette horreur ; mais littéralement ce
qu’il y a jamais eu de plus beau dans le monde : une amitié ; et une
cité ».
Et nous sommes accueillis ici, à Lyon, aux
Chartreux ; merci au père Jean-Bernard Plessy qui a accepté avec
enthousiasme, ce sont ses propres mots, notre projet ; merci à
l’Institution des Chartreux qui nous reçoit ; merci à Alain Gérente qui a
disposé sur cette table une gerbe de fleurs aux couleurs de nos différents
pays : du bleu (France, Finlande, Russie), du blanc (France, Finlande,
Pologne, Russie), du rouge (France, Pologne, Russie) ; merci à Danièle
Cacheux, mon ancienne collègue d’Orléans avec qui j’ai d’excellents souvenirs
de théâtre, non aux armées, mais au lycée. Ils ont pris tous de leur temps et
de leurs loisirs pour nous aider, sans jamais froncer le sourcil devant telle
ou telle de nos propositions, allant au-devant même.
Merci à toutes les familles qui accueillent nos
invités et aussi à celles qui auraient bien voulu les recevoir si elles en
avaient eu la possibilité ; merci au Bulletin des Lettres et à son
rédacteur en chef Bernard Plessy, qui est aussi le père du directeur de cet
établissement, et ce n’est pas une coïncidence, bien sûr ; merci au Père
René Marichal qui m’a si souvent reçu pour préparer ce colloque et qui a trouvé
le temps, entre deux voyages en Russie, de venir nous écouter ; merci aux
associations alliées, l’Amitié Charles Péguy en particulier, au Centre Jeanne
d’Arc d’Orléans, à la Municipalité d’Orléans qui nous a aidés une fois de plus
en éditant affiches et programmes ; merci à la famille Péguy qui en la
personne de Michel Péguy et de Geneviève Péguy-Chassagne nous fait l’honneur
d’assister à nos travaux.
Merci enfin aux absents, ceux qui auraient tant
voulu être ici et ne l’ont pu. Leur présence absente nous entoure.
Baudelaire a passé à Lyon quatre ans de sa vie. Il y
a exactement 110 ans cette année, Péguy y est venu, ou plutôt y a passé, deux
ou trois jours seulement. Il allait à Orange assister aux premières chorégies
où Mounet-Sully et la Bartet donnaient Œdipe-roi et Antigone. Il
part d’Orléans le 9 août 1894, arrive à Montluçon le vendredi à 13 h 50 ;
repart pour Lyon où il arrive vers six heures du matin. Au retour, il séjourne
à Lyon chez la tante de Léon Deshairs, l’auteur du portrait que vous voyez au
dos du programme de notre colloque. Il est de retour à Orléans le 17 août.
Le 8 septembre 1894, Péguy écrit à Léon Deshairs,
qui habitait alors 7, rue Saint-Charles à Montplaisir : « La veille
de mon départ, comme tu me l’avais dit, je pris le tramway pour l’Île Barbe. Je
débarquai au pont. Je traversai. Sur le quai je demandai la rue de la
Sparterie. Des ouvriers me répondirent : " C’est la seconde rue
à gauche ; vous demanderez chez Colin. " Colin, son père, tient ce
café-restaurant de l’Industrie, dont je t’ai parlé. Le restaurant ouvre en pan
coupé sur la rue de la Sparterie et fait en même temps face au quai, qui est au
bout de la rue. J’entrai. Je vis au milieu de la salle une jeune fille en rose
– avec un tablier blanc – et je fus ébloui ».
Cette jeune fille en rose était Pauline. André
Bourgeois, le fidèle condisciple et collaborateur de Péguy, l’avait rencontrée
deux ans auparavant dans le train qui le menait quotidiennement de
Saint-Georges de Reneins à Lyon, où il faisait son droit. Il avait parlé à
Péguy de ses scrupules : il devait partir au régiment, puis aux colonies
et était allé voir la mère de Pauline pour lui dire qu’il ne pouvait s’engager.
Mais la blessure amoureuse était restée. Et Péguy, sans le dire à son ami,
profita de son court séjour à Lyon pour aller voir de qui il était question.
La rue de la Sparterie a disparu. Mais chez les amis
de Péguy, le souvenir de Lyon, d’André Bourgeois, de Léon Deshairs et de
Pauline est resté vivant. Pauline qui fut, le temps de l’éblouissement, en quelque
sorte l’Yvonne de Galais ou la Madame Arnoux de Péguy.
Nos amis lyonnais auront l’indulgence de lui pardonner ce
qu’il écrivait l’année suivante à Léon Deshairs et qui, je le sais par
expérience, est d’une criante injustice. Jeudi 15 août 1895 :
« Décidément Lyon t’est malsain. Tu vas y retourner après-demain. Je t’en
prie, laisse les Lyonnais tranquilles. Tu perds ton temps et ton courage à
faire des enquêtes sur ce qu’ils peuvent bien penser. Ils n’en valent pas la
peine. »
Aurait-il dit cela soixante-sept ans plus tard quand
le Lyonnais Victor-Henry Debidour, fondateur du Bulletin des Lettres,
créa avec quelques amis dont certains sont ici présents un « Cercle
Charles Péguy » et prononça une conférence où il montrait l’actualité du
poète et du prosateur et la nécessité d’écouter sa voix ? « Quand je
cherche sur l’échiquier politique, moral, spirituel, quelqu’un aujourd’hui
vivant pour nous donner leçon, à nous et à eux [nos enfants], je ne découvre
pas de voix plus haute que celle qui s’est tue voici bientôt cinquante ans, et
qui est si vivante : il dépend de nous de la faire vivre, plus rayonnante
encore, et non pas comme une nostalgie, mais comme une promesse ; et non
pas en esprit de regret vers hier mais d’espérance et de fidélité pour demain –
il nous l’a demandé : une fidélité sans deuil. »[2]
La voie spirale chez Péguy
Lyon
« Il
radote, il ressasse, il rumine »… Voilà ce que répètent à l’envi les
détracteurs de Charles Péguy. Pour un peu, ils lui reprocheraient d’être
gâteux, bredouillant et borné ! Et pourtant son choix esthétique et son
originalité profonde résident justement dans cette particularité qui pour les lecteurs
superficiels peut paraître à première vue un défaut. Ce choix permet de
comprendre Péguy à la fois en tant qu’homme, en tant que poète et en tant que
mystique, car cette forme de foi qui l’habite est une forme de mysticisme.
Le
style d’un écrivain, c’est son être-même, sa chair et son sang transcrits dans
ses mots, et dans la manière de les agencer. C’est à proprement parler son code
génétique assumé, transfiguré, transmuté dans la langue des hommes, et plus
particulièrement dans sa langue maternelle…
Or
la langue de Péguy est une lente appropriation d’un message originel, un lent
cheminement depuis un éblouissement créateur vers une lumière éternelle ;
il ne se répète pas, il avance à petits pas, humblement, sans sauter une étape,
sans rompre la trame de son évolution. Il avance sans jamais se renier, sans
jamais s’arrêter, sans se décourager, comme les pèlerins, avec les pèlerins.
Pèlerin lui-même, il se présente comme le porte parole de tous ceux qui ont
peiné pour créer la France, et le français qu’il emploie évoque cette longue
marche dans la « Présentation de la Beauce à Notre Dame de
Chartres » :
Vous nous voyez marcher, nous sommes la
piétaille
Nous n’avançons jamais que d’un pas à la
fois.
Mais vingt siècles de peuple et vingt siècles
de rois,
Et toute leur séquelle et toute leur volaille
Et leurs chapeaux à plume avec leur
valetaille
Ont appris ce que c’est que d’être familiers,
Et comme on peut marcher, les pieds dans ses
souliers,
Vers un dernier carré le soir d’une bataille.
Il
fait partie de la « piétaille », de cette humanité en marche depuis
des millénaires, et qui s’avance vers la lumière, malgré la peur et la
violence, avec un courage incroyable et incompréhensible… si l’on n’y voit pas
l’œuvre de la Grâce.
À
l’aube de ce vingtième siècle si terrible, si absurde, si sanglant, si
persécuteur, si inhumain, il écrit des vers destinés à nous entraîner, par leur
rythme régulier, inébranlable et lent, sur le chemin paradoxal de l’Espérance.
Cette
petite fille Espérance – et Dieu lui-même n’en revient pas – guide les hommes
malgré tout, et donne à ses vers le souffle apparemment ténu, fragile,
insignifiant, mais en réalité têtu, agile, hautement signifiant, de la vie en
marche…
Voilà
pourquoi il fait l’éloge du bourgeon, si tendre et si fragile, dans le Mystère
des Saints Innocents :
La rude écorce a l’air d’une
cuirasse, en comparaison de ce tendre bourgeon. Mais la rude écorce n’est rien,
que du bourgeon durci, que du bourgeon vieilli.
Et, c’est pour cela que le
tendre bourgeon perce toujours, jaillit toujours dessous la dure écorce.
[…]
Sans ce bourgeon, qui n’a
l’air de rien, qui ne semble rien, tout cela ne serait que du bois mort.
[…]
Ce qui vous trompe, c’est que
cette rude écorce vous écorche les mains ; et ni de l’épaule vous ne
faites bouger le tronc d’un millimètre, ni du pied vous ne pouvez faire bouger
une de ces grosses racines d’un millième de millimètre ; ni de la main une
seule de ces grosses branches ; et c’est à peine si vous ébranleriez
quelques unes de ces petites branches ; et si vous les feriez balancer; au
lieu que le bourgeon ne résiste pas sous le doigt et d’un coup d’ongle le
premier venu vous fait sauter un bourgeon ; qui développé vous ferait une
branche plus grosse que la cuisse ;
[…]
Or, je vous le dis, dit Dieu,
sans ce bourgeonnement de fin avril, sans ces milliers, sans cet unique petit
bourgeonnement de l’espérance, qu’évidemment tout le monde peut casser, sans ce
tendre bourgeon cotonneux, que le premier venu peut faire sauter de l’ongle,
toute ma création ne serait que du bois mort…
Cette
voix prophétique au sens propre du terme fait vibrer la prose et la transforme
en poésie, pour nous tracer une voie à suivre, un chemin à parcourir, qui a la
Parole comme origine et comme aboutissement, comme Alpha et comme Omega. Mais
ce n’est pas une voie directe, une route à grande vitesse, une voix express.
La
voie que nous trace Péguy, celle sur laquelle il engage ses vers et son
existence, évoque sans se lasser un processus qui me paraît être celui de la
Voie Spirale.
Sur
ce chemin, on croit qu’on revient en arrière, ou qu’on se répète en faisant du
sur place. Mais non. En fait, on n’est jamais à la même hauteur que
précédemment, on s’élève un peu, pas bien haut, juste un peu, comme dans un
escalier en colimaçon, ou dans un sentier de montagne. On s’élève
progressivement, insensiblement, en tournant, d’étage en étage, d’étape en
étape. Ce sont les mêmes mots qui reviennent, mais ils n’ont plus la même
portée que dans la strophe précédente, que dans la phrase précédente.
Le
mot « portée » me paraît convenir ici, car la poésie de Péguy est
musique et chant intérieur, elle exprime une forme d’ascension, elle nous élève
doucement mais avec la ténacité sans faiblesse d’une Jeanne d’Arc, d’une sainte
Geneviève, d’une petite fille Espérance…
Quand
une boucle est bouclée, quand une strophe est terminée, on retrouve la même
idée, mais on voit plus large et plus haut. Quand Jeanne d’Arc dit adieu à sa
Meuse natale, ce n’est pas pour rompre avec elle, c’est pour mieux lui être
fidèle.
Adieu, Meuse endormeuse et
douce à mon enfance,
Qui demeures aux prés, où tu
coules tous bas.
Meuse, adieu : j’ai déjà
commencé ma partance
En des pays nouveaux où tu ne
coules pas.
Rester
près de la Meuse, c’est s’endormir, demeurer dans l’enfance, limiter son
horizon, régresser vers le bas. Or, il faut cheminer, avancer, progresser.
Voici que je m’en vais en des
pays nouveaux :
Je ferai la bataille et
passerai les fleuves ;
Je m’en vais m’essayer à de nouveaux
travaux,
Je m’en vais commencer là-bas
les tâches neuves.
Mais
le chant intérieur de Jeanne gardera pour toujours le rythme doux et berceur de
l’eau maternelle.
Et pendant ce temps-là, Meuse
ignorante et douce,
Tu couleras toujours, passante
accoutumée,
Dans la vallée heureuse où
l’herbe vive pousse,
O Meuse inépuisable et que
j’avais aimée.
Un silence
Tu couleras toujours dans
l’heureuse vallée ;
Où tu coulais hier, tu
couleras demain.
Tu ne sauras jamais la bergère
en allée,
Qui s’amusait, enfant, à
creuser de sa main
Des canaux dans la terre, – à
jamais écroulés.
La bergère s’en va, délaissant
les moutons,
Et la fileuse va, délaissant
les fuseaux.
Voici que je m’en vais loin de
tes bonnes eaux,
Voici que je m’en vais bien
loin de nos maisons.
Et c’est à cette eau toujours vivante que l’héroïque
jeune fille viendra puiser pour ressourcer son énergie, pour évoluer vers le
grand feu du sacrifice après avoir tout donné, et sauvé son pays tout entier,
donc sauvé aussi cette Meuse à laquelle elle a, pour toujours, lié sa fidélité…
Les
vers de Péguy témoignent de cette fidélité à la source, de cette marche
obstinée vers ce qui lui paraît être la grandeur de l’être humain : ce
constant appel à se dépasser, à se donner, non pour mourir mais pour vivre,
même s’il faut passer par la mort…
En
même temps, on en revient sans cesse aux mêmes thèmes, aux mêmes mots, aux
mêmes faiblesses, aux mêmes fragilités – mais c’est pour mieux les approcher,
les accepter, les dépasser.
Ainsi,
toutes nos contradictions sont intégrées dans ce patient cheminement, tous les
obstacles sont progressivement levés, non pas contournés, mais traversés ;
retrouvés régulièrement, mais un peu mieux aplanis à chaque fois, pour être
intégrés dans le parcours. Voilà pourquoi Marie est aux yeux de Péguy notre
guide par excellence, elle qui résume et intègre toutes les contradictions,
comme le proclame Le Porche du mystère de la deuxième vertu :
Celle qui est infiniment grande
Parce qu’aussi elle est infiniment petite,
[…]
Celle qui est infiniment droite
Parce qu’aussi elle est infiniment penchée
Celle qui est infiniment joyeuse
Parce qu’aussi elle est infiniment
douloureuse
[…]
Celle qui est infiniment au-dessus de nous
Parce qu’elle est infiniment parmi nous…
La
poésie de Péguy ne nous propose pas seulement une voie horizontale, elle nous
élève dans une verticalité qui n’est pas vertigineuse, mais humaine, lente et
tenace ; cette voie spirale inclut le pas du laboureur et du semeur, le
pas du fantassin, du combat intérieur, le pas du pèlerin. C’est aussi le geste
du tapissier qui est naturellement évoqué dans les fameuses Tapisseries (de
Sainte Geneviève, de Jeanne d’Arc et de Notre Dame) ; or ce geste de
la main marie lui aussi l’horizontalité à la verticalité, avec la chaîne et la
trame, dans le processus créateur que symbolise la fabrication d’une
tapisserie, et qui redonne à la poésie son sens étymologique puisque le grec
poieïn signifie « faire », « fabriquer », « créer ».
Cette
élévation progressive que j’appelle la voie spirale me paraît donc bien
convenir au style de Péguy, et à son être même. D’après lui nous sommes en
pèlerinage sur cette terre, mais ce pèlerinage est aussi une ascension. Dans la
« Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres », à l’Étoile de
la mer, vers Marie se portent les regards humains, d’abord à ras de terre,
depuis « la lourde nappe, et la profonde houle et l’océan des blés »,
les hommes avancent dans cette lourde plaine, dans leur horizontalité terrestre,
et parfois si désespérante :
Nous sommes nés au bord de
votre Beauce plate
Et nous avons connu dés nos
premiers regrets
C e que peut receler de
désespoirs secrets
Un soleil qui descend dans un
ciel écarlate
Et qui se couche au ras d’un
sol inévitable
Dur comme une justice, égal
comme une barre,
Juste comme une loi, fermé
comme une mare,
Ouvert comme un beau socle et
plan comme une table.
Mais par la Grâce l’homme
est libéré de cette horizontalité oppressante, appelé à s’élever vers l’Etoile
en suivant le mouvement vertical de la flèche de la cathédrale :
Tour de David voici votre tour
beauceronne,
C’est l’épi le plus dur qui
soit jamais monté
Vers un ciel de clémence et de
sérénité,
Et le plus beau fleuron dedans
votre couronne.
Un homme de chez nous a fait
ici jaillir
Depuis le ras du sol jusqu’au
pied de la Croix
Plus haut que tous les saints,
plus haut que tous les rois
La flèche irréprochable et qui
ne peut faillir.
Le
chemin de croix que nous propose Péguy nous élève un peu plus après chaque
vers, mais n’oublie aucune des souffrances, des épreuves, des douleurs de
l’existence humaine.
Simplement,
ce n’est pas un chemin qui s’enfonce dans le noir, mais qui monte malgré tout
vers la lumière. Comme le dit si bien le poète dans Le Porche du mystère de
la deuxième vertu, en évoquant la nuit de la Passion :
C’est alors, o nuit, que tu
vins, et dans un grand linceul tu ensevelis le Centenier et ses hommes romains
La Vierge et les Saintes
Femmes,
Et cette montagne et cette
vallée, sur qui le soir descendait,
Et mon peuple d’Israël et les
pêcheurs et ensemble celui qui mourait, qui était mort pour eux.
Et les hommes de Joseph
d’Arimathée qui déjà s’approchaient
Portant le linceul blanc.
Ce
linceul blanc se détache sur le grand linceul sombre de la nuit, qui
l’ensevelit pour le moment… Mais le blanc l’emportera, la clarté de Pâques
l’emportera, l’Espérance, la petite fille Espérance, conduira la Foi et la
Charité sur le chemin de la Vie.
Ainsi
la voie spirale de Péguy, mine de rien, nous arrache à nos habitudes, à nos
prisons intérieures, nous ouvre à la lumière et à la Grâce. Ce mystère de la
Grâce, qui vient nous prendre où nous nous trouvons pour nous entraîner
progressivement dans la voie spirale du Salut, me paraît particulièrement évoqué
dans le texte célèbre sur la morale, l’habitude et la Grâce… Si vous le voulez
bien, c’est sur ce texte que je terminerai cette participation à l’approche
d’une œuvre si riche et si foisonnante :
Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est
d’avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une
mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute
faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. C’est
d’avoir une âme habituée.
On a vu les jeux incroyables de la grâce et les grâces incroyables de la
grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce
qui paraissait perdu. Mais on n’a pas vu mouiller ce qui était verni, on n’a
pas vu traverser ce qui était imperméable, on n’a pas vu tremper ce qui était
habitué.
[…]
Sur cette inorganique cuirasse de l’habitude
tout glisse, et tout glaive est émoussé.
[…]
La charité même de Dieu ne
panse point celui qui n’a pas de plaies. C’est parce qu’un homme était par
terre que le Samaritain le ramassa. C’est parce que la face de Jésus était sale
que Véronique l’essuya d’un mouchoir. Or celui qui n’est pas tombé ne sera
jamais ramassé ; et celui qui n’est pas sale ne sera pas essuyé.
Violaine Dupré La Tour
Lyon
Jeanne d’Arc, petite
paysanne lorraine a bouté les Anglais hors de France au XVe siècle
pendant la guerre de Cent ans. Cette action, surprenante, imprévisible est un
événement. Un impossible qui arrive, qui fait irruption dans une histoire,
celle du royaume de France. L’action de Jeanne est un événement qui fait
irruption dans une histoire, celle du royaume France. Cet événement implique
une audace folle. L’audace, disposition qui porte à des actions difficiles au
mépris des obstacles, n’est pas le propre de notre époque, si frileuse à
l’égard de l’engagement, qu’il soit politique, religieux, associatif,
matrimonial. Aujourd’hui, on préfère le libre engagement, comme les forfaits d’internet
« libre durée », qui n’engage pas dans le temps ni dans l’être. Or,
être audacieux, c’est oser déployer une inventivité et une force au service
d’un but jugé plus grand que soi. L’audace, c’est le contraire de la
résignation. Mais ce qui intéresse Péguy dans cette deuxième version de la
pièce, celle de 1910, est la période qui précède les voix de Jeanne,
c’est-à-dire la période préparatoire à l’engagement de Jeanne. La période
d’adolescence où Jeanne s’interroge sur le mystère du mal, où Jeanne s’insurge
contre la damnation, où Jeanne se révolte contre la tiédeur des chrétiens. Une
tiédeur dont Péguy avait horreur. Dans le Mystère, rien n’est donc
encore joué pour Jeanne. Mais qui se joue dans ce dialogue entre Hauviette,
Jeanne et Madame Gervaise est bien un combat pour la sainteté. Il y a comme une
urgence d’être saint. Un ami de Péguy, Joseph Lotte, exprime cette urgence du
choix en commentant la pièce : « Jeanne ne peut rester en suspens. Il
faut qu’elle se décide. Sera-t-elle une désespérée ou une impuissante ?
Sera-t-elle la sainte qui réussisse ? » On peut alors se demander quelles
voies Charles Péguy propose dans le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc
pour sauver du « désespoir et de la perdition ».
Le parcours personnel,
politique et religieux de Péguy n’est pas limpide. Il est sinueux comme un
chemin de campagne, laborieux comme le travail du cultivateur qui laboure,
douloureux de la douleur d’un accouchement jamais achevé. Mais à travers ces
difficultés se dessine, se creuse une parole engagée, risquée même, qui engage
sa vie. Trois temps majeurs rythment son parcours.
Les conversions au
socialisme et au catholicisme
Cette conversion est vécue
comme une vocation par Péguy. Péguy est très choqué par la misère. Son adhésion
au Parti Socialiste en 1895, alors qu’il est étudiant à l’École Normale est
donc une réponse généreuse à l’injustice, par ce qu’il nomme déjà la charité.
Il est séduit par le marxisme dont l’ambition est de transformer le monde par
l’action. Péguy entame alors un voyage à Domrémy et à Vaucouleurs, en Lorraine,
sur les pas de cette héroïne qui le hante, Jeanne d’Arc. Il commence alors à
rédiger sa première Jeanne d’Arc, socialiste, drame qu’il publie en
1897.
Cette conversion au socialisme
s’accompagne d’un engagement politique par la plume. En 1898, Péguy fait
campagne pour Dreyfus, avec Zola et Jaurès. Et par l’action, puisque Péguy
quête même pour les ouvriers de Carmaux.
L’expérience socialiste lui
a laissé, selon l’expression de sa Jeanne d’Arc, « sa vie toute
creuse au-dedans de lui ». Il se voit désarmé en face de la misère et du
mal. Il reconnaît l’échec d’un salut qui serait seulement basé sur une réforme
économique. De plus, Péguy se met à dénoncer l’anticléricalisme de ce début de
siècle, après la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État. L’année
1907 est celle du retour « officiel » de Péguy à la foi catholique.
Péguy hésite, tergiverse. Il l’annonce à quelques amis, Jacques Maritain, puis Joseph
Lotte. En 1910, la publication du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc
rend publique l’évolution spirituelle de Péguy. Mais Péguy, malgré son retour à
la foi, reste au seuil de l’Église, comme un pénitent. Il n’a pas baptisé ses
enfants, n’est pas marié à l’Église, donc ne peut communier. Péguy éprouve une
grande difficulté à un engagement décisif et public. Pourtant, il affirme sa
totale adhésion aux dogmes catholiques. Face à un monde catholique qu’il juge
tiède et mou (excepté les deux ailes actives du catholicisme, à gauche le
Sillon de Sangnier, et à droite l’Action Française, mais dans lesquels il ne se
reconnaît pas), il veut opposer un catholicisme militant, combattant.
L’audace de réécrire Jeanne
d’Arc
La première Jeanne d’Arc,
socialiste, se présente comme un manifeste militant. Comme l’indique sa
dédicace : « À toutes celles et à tous ceux qui seront morts pour
tâcher de porter remède au mal universel ». Le projet humanitaire de
remédier au mal universel s’inscrit tout à fait dans la veine socialiste. La
pièce retrace la vie entière de Jeanne : depuis sa vocation à Domrémy
jusqu’au procès et au feu. Cette première Jeanne d’Arc est un échec, mal
comprise et accueillie. Dix ans après, Péguy réécrit Jeanne d’Arc, mais
cette fois-ci le visage à découvert, comme un accomplissement de la première Jeanne
d’Arc. Il y développe le visage d’une Jeanne non plus militante mais
souffrante. C’est une œuvre très attendue, d’autant plus que Péguy n’a pas
écrit depuis deux ans, et qui est d’emblée un succès. André Gide y voit un
christianisme nouveau dans un style neuf, tandis qu’un Maurice Barrès se
félicite de retrouver les vieilles valeurs chrétiennes de courage et de
catholicisme patriote. Mais cet engagement de chrétien militant est douloureux.
Sur le plan politique : la droite nationaliste de Barrès et monarchiste de
Maurras tentent de récupérer Péguy en laissant entendre qu’il serait revenu sur
son dreyfusisme et qu’il aurait rallié le traditionalisme de droite. Par
ailleurs, ses anciens camarades socialistes le raillent : « Péguy a
mis de l’eau bénite dans son pétrole », dit Ernest Lavisse. Le Mystère
de la charité de Jeanne d’Arc fut-il une tentative de sanctifier son
socialisme humanitaire ?
Ainsi, Péguy se sent menacé,
assiégé de toutes parts, à droite comme à gauche. Il se lance alors dans
l’écriture militante.
« On
est toujours de quelque part, on est toujours de quelque chose et de quelqu’un
dans la chrétienté », dit Jeanne, qui ne cesse de rappeler son
enracinement dans l’espace, la Lorraine, et dans le temps, le XVe
siècle. Être de quelque chose et de quelque part, c’est s’inscrire dans un lieu
et dans une lignée qui précède sa propre existence. Contrairement à Madame
Gervaise, qui semble être hors du temps. Cette question de l’enracinement
rejoint les transformations sociales et économiques du XIXe
siècle, contemporaines de Péguy : les révolutions industrielles ont
entraîné exode rural et croissance urbaine. Péguy saisit ici l’importance
d’être de quelque part. Est-ce une condition pour l’action ?
L’inscription dans une terre
Péguy, dans le paratexte initial, déploie un luxe de
précision pour décrire le paysage, comme un tableau composé, analysé plan par
plan :
Le matin, Jeannette, la fille à Jacques d’Arc, file en gardant les
moutons de son père, sur un coteau de la Meuse. On voit au second plan, de la
droite à la gauche, la Meuse parmi les prés, le village de Domrémy avec
l’église, et la route qui mène à Vaucouleurs. À la gauche, au loin le village
de Maxey. Au fond les collines ; en face : blés, vignes et
bois ; les blés sont jaunes.
Le lecteur est d’emblée placé
face, ou plutôt plongé dans un paysage ordinaire de campagne, alliant cultures,
bois, village et cours d’eau, la Meuse, qui creuse un relief. Ce qui confère au
lieu sa particularité, la singularité et nous le rend familier. Alors qu’il
ressemble à n’importe quelle campagne française. Il y a une générosité dans
cette terre qui porte du fruit, qui se donne d’elle-même simplement.
Dans ce décor posé, les
personnages de Péguy sont des êtres de chair et d’os, des personnages de la
terre, généreux aussi. Ils parlent un langage simple, direct, vrai. Nous sommes
bien en présence d’êtres ordinaires qui respirent, aiment, soufrent, rient,
s’emportent, se disputent, s’invectivent même.
Mais leur terre est extraordinaire. Jeanne établit un parallèle entre le pays de Jésus et la Lorraine : « Et toi, Bethléem, petit bourg de Juda, le plus brillant des bourgs de Juda, tu brilleras éternellement au-dessus de tous les bourgs de la chrétienté, éternellement au-dessus de nos bourgs obscurs, de nos petites paroisses chrétiennes ».
C’est
comme si la bourgade la plus petite, la plus humble, la plus cachée devenait,
par l’accueil de l’événement, celui de la naissance d’un enfant-Dieu, la plus
universelle, la plus éternelle. « Vous vous attardez, paroisses, dit Péguy
en s’adressant à toutes les paroisses de France, à produire des saintes et des
saints les plus grands. Et pendant ce temps là, sans prévenir personne, une
petite paroisse de rien du tout avait enfanté le saint des saints ». La
terre la plus ordinaire devient le lieu de l’extraordinaire.
L’appartenance à une
communauté
Jeanne
s’inscrit dans une terre, mais aussi dans une famille : « On est
toujours de quelqu’un dans la chrétienté ». On est dépositaire de quelque
chose qui nous précède, transmis par sa famille et qui soude la famille face au
mal : « Jamais mon père, jamais ma mère nous ne l’aurions
livré ; mon père, ce grand homme fort, ma mère, qui a fait des
pèlerinages, jamais mon oncle Lassois, jamais mon parrain, jamais mes trois
frères, jamais ma grande sœur ». C’est une famille au sens large, certes
biologique mais spirituelle, puisqu’elle inclut les parrains et marraines.
C’est une famille au sens large, à la fois terrestre et céleste. Jeanne
s’inscrit dans une communauté, celle de sa paroisse : « Moi qui suis
de saint Rémy, et de saint Jean et de sainte Jeanne. De saint Rémy pour ma
paroisse; et de saint Jean et de sainte Jeanne pour mon baptême ». Jeanne
s’inscrit dans un lieu, par sa paroisse, par son nom, et donc aussi dans une
histoire.
L’inscription dans le temps
Il y a chez Péguy plusieurs
temporalités qui forment comme des strates, et d’abord un temps historique.
« 1425. En plein
été ». Ainsi commence Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc,
par une brève indication de temps qui situe le récit dans l’Histoire. En 1425,
la guerre de Cent Ans (1337-1453) oppose Français et Anglais depuis presque un
siècle, entre Charles VII et les Anglais alliés aux Bourguignons. Le récit se
déroule trois ans après l’avènement de Charles VII. Ce temps est relié à celui
de l’Incarnation, à celui du Salut par l’avènement du Christ :
« quatorze siècles, quatorze siècles depuis le rachat de nos âmes ».
C’est le temps de la chrétienté, dont Péguy porte la nostalgie.
Il
y a encore un temps humain : la jeunesse. C’est un temps lié au
développement des êtres : celui de l’adolescence. Péguy indique l’âge de
Jeanne (13 ans et demi), d’Hauviette, qui n’a que dix ans et quelques mois, et
de Madame Gervaise, qui est la figure de la maturité puisqu’elle a 25 ans et
qu’elle est religieuse franciscaine.
Immédiatement
après les indications historiques précises, Péguy inscrit la pièce dans un
temps immobile, qui se répète, lié au rythme des saisons, de la course du
soleil. Comme l’indique la première didascalie : « Jeanne continue de
filer, puis elle se lève, se tourne vers l’église, dit le signe de la croix
sans le faire ». Le lecteur s’enfonce dans un tableau figé qui s’anime.
Entre la notation « 1425 » et l’activité de Jeanne, filer, le temps
se modifie. Il passe plus lentement. Le rythme des phrases, ainsi que les
répétitions en sont la trace, comme le paysan creuse son sillon, passe et
repasse la charrue.
Mais c’est surtout Hauviette
qui incarne ce temps cyclique : « Il y a un temps pour tout. À chaque
heure suffit sa peine. Et son travail. Chaque chose en son temps. ».
Hauviette récite ces phrases toutes faites qui illustrent sa docilité au
temps qui se répète. « Moi, je suis une bonne chrétienne comme tout le
monde, reprend Hauviette. Je fais ma prière tous les matins et tous les soirs,
mon Notre Père et mon Je vous salue Marie pour commencer et pour
finir ma journée. Et puis ça m’emplit toute une journée ». La prière comme
commencement et terme de la journée. La prière comme sas, comme temps réservé à
Dieu, toujours à la même place. Temps cyclique ne signifie pas que tous les
moments de la journée aient la même valeur. Certains moments sont plus
importants, plus sacrés au sens de l’instauration d’une rupture, d’une limite
qui fait sens. « Il faut que le dimanche ressorte de la semaine et que
l’Angélus et l’heure de la prière sorte de la journée ». Hauviette reproche
à Jeanne de faire sa prière continuelle, sans donner à ce moment son juste
poids, son aspect rituel, sa mesure.
Jeanne,
contrairement à Hauviette, rompt avec la logique cyclique. Elle laisse place à
l’événement d’arriver. L’événement, l’impossible qui devient réel, l’inattendu
qui s’incarne dans le temps. En revanche, madame Gervaise ne donne pas son
poids à l’événement.
Jeanne est révoltée contre
le mal qui est une tentation de désespoir : « Rien ne coule sur la
face de la terre qu’un flot d’ingratitude et de perdition ». Tout d’abord
le mal particulier. Celui qui est proche d’elle. Jeanne rapporte, dans la
première partie de la pièce, sa rencontre d’enfants orphelins affamés.
« Ils criaient : Madame j’ai faim, madame j’ai faim. Ça
m’entrait dans le ventre et le cœur, ça me broyait comme si des cris pouvaient
broyer le cœur. » et plus loin « Je leur ai donné tout mon pain, mon
manger de midi et mon manger de quatre heures. Ils se sont jetés dessus comme
des bêtes » Et Jeanne ajoute immédiatement la dimension universelle :
Leur joie m’a fait mal, encore plus mal, parce que tout d’un coup, malgré moi, ça m’a saisi, ça m’a travaillé dans ma tête, et malgré moi j’ai pensé ; j’ai compris ; j’ai vu ; j’ai pensé à tous les autres affamés qui ne mangent pas, à tant d’affamés, à des affamé innombrables ; j’ai pensé aux pires de tous, aux derniers, aux extrêmes, aux pires, à ceux qui ne veulent plus être consolés, à tant et tant de malheureux, à des malheureux innombrables ; j’ai pensé aux pires de tous, aux derniers, aux extrêmes, aux pires, à ceux qui ne veulent pas qu’on les console, à tant et tant qui ne veulent pas qu’on les console, […] qui désespèrent de la bonté de Dieu.
Cet épisode semble être un
retournement pour Jeanne, qui la jette dans la révolte. Quelle solution
apporter à la famine, puisque la charité est insuffisante, qu’elle remédie au
cas par cas, provisoirement, aux détresses innombrables ? Qu’est ce qu’un
morceau de pain donné dans l’océan de détresses humaines ? Jeanne a compris que
celui qui n’a pas tout donné n’a rien donné.
Mais malgré tout Jeanne donne.
Elle donne son pain. Elle donne son désir du salut pour tous. Elle donne sa
révolte. Sa révolte est donc intimement liée à l’espérance, même pour les plus
désespérés, ceux qu’elle appelle les « pires de tous ». On peut
aisément rapprocher l’attitude de Jeanne de celle de Thérèse de Lisieux qui
écrit « Moi si j’avais commis tous les crimes possibles, je garderais
toujours, la même confiance, car je sais bien que cette multitude d’offenses
n’est qu’une goutte d’eau dans un brasier ardent ». La révolte de Jeanne
est donc en même temps l’assurance de savoir que Dieu est juste.
Trois voies singulières
Péguy, à travers les trois
personnages du Mystère, dessine trois réponses différentes à la question
du mal. Trois chemins propres à chacune :
- la voie d’Hauviette, petite
paysanne qui conseille l’abandon dans la confiance, enracinée dans le labeur
villageois communautaire. La sainteté d’Hauviette est une sainteté qui ne
cherche pas à faire des exploits. Elle s’enracine dans une fidélité au
quotidien, dans un abandon à la volonté du Père.
- la voie de Madame
Gervaise, une jeune religieuse qui ne parle que de la paix du cœur dans la
retraite de la vie monastique. Madame Gervaise est présentée comme un modèle,
par son âge, sa maturité, sa vie de religieuse en retrait du monde. Madame
Gervaise est une chrétienne raisonnable, qui entre dans le cadre de l’Église.
- la voie de Jeanne. Jeanne
qui doute. Jeanne qui souffre. Jeanne l’orgueilleuse qui ne se satisfait pas de
ces solutions tièdes pour elle. Au cours de la confrontation
Jeanne / Madame Gervaise, Jeanne semble bien se rendre compte
que son désir, celui de sauver de la famine, de la guerre et de la damnation
non pas un homme mais tous, est une folie. Surtout face à Madame Gervaise qui a
l’expérience, l’âge, la sagesse.
L’orgueil de Jeanne, une
forme d’humilité
« Le vieil orgueil
veille… le vieil orgueil ne meurt jamais », répète Madame Gervaise,
déstabilisée par l’obstination de Jeanne (« Je ne l’aurais pas
renié »). Jeanne est orgueilleuse. Elle est obstinée. Sa révolte la pousse
jusqu’au blasphème : « O s’il faut pour sauver de la flamme
éternelle, Les corps des morts damnés s’affolant de souffrance, Abandonner mon
corps à la flamme éternelle, Mon Dieu donnez mon cœur à la flamme
éternelle ». Jeanne blasphème car elle fait le vœu d’être elle-même
damnée, si c’était pour sauver quelqu’un. Jeanne est complètement engagée par
sa parole. Si l’on comprend que s’engager, c’est mettre soi-même comme gage.
Mais cet orgueil en une forme d’humilité. L’audace d’oser avoir l’humilité
d’avouer ses grands désirs, déraisonnables aux yeux des hommes. Mais Jeanne est
obligée de renvoyer son discours : « Je ne peux pas mentir, je ne
peux pas mentir », dit Jeanne à la fin de leur dialogue. Il y a en elle
une vérité impérieuse qui la pousse. Jeanne porte en elle un absolu qu’on ne
retrouve ni chez Hauviette ni chez Madame Gervaise. Jeanne est donc obligée
de s’opposer à elles. D’où son obstination. Jeanne est confrontée à
l’incompréhension, même celle de personnes saintes. Mais le chemin de Madame
Gervaise n’est pas son chemin. Jeanne est pauvre et seule. Son audace est celle
de faire un choix unique qui lui correspond, tout comme Hauviette et Madame
Gervaise, mais en prenant le risque de la solitude et de l’incompréhension.
Péguy met dos à dos l’orgueil et la vanité, qui serait s’attacher au jugement
d’autrui. Jeanne est la figure d’un esprit libre, qui ose s’opposer. En ce sens
elle est une guerrière qui remplit une vocation semblable à celle d’une
religieuse.
Quelle est la meilleure voie
proposée par Péguy ? La question n’est pas de savoir qui a raison. Madame
Gervaise, dans sa fidélité à l’union au Christ, dans son sens de l’Église,
n’est-elle pas aussi audacieuse que Jeanne l’intransigeante ? Hauviette
n’incarne-t-elle pas la confiance totale en Dieu ?
Chacun des personnages correspondrait ainsi à une facette du Christ. Mais Jeanne est celle qui ose prendre le risque d’être isolée. Sa réponse envers et contre tout, avec obstination, à l’absolu qui l’habite fait d’elle une sainte. Une sainte enfoncée dans son temps et dans sa terre natale, et non déconnectée du réel dans un universalisme désincarné. À la fin de la pièce, Jeanne est au seuil de la foi. Sa parole est risquée : s’opposer à Madame Gervaise, oser blasphémer devant cette religieuse respectable. Son orgueil est alors une préparation à la sainteté. Jeanne l’orgueilleuse est donc à la fois une héroïne et une sainte.
Péguy et la prière des
pierres
Ludmila Chvédova
« La prière des pierres » prend plusieurs significations dans l’œuvre de Péguy. Avant de parler de ces significations, je voudrais faire une petite introduction sur les pierres qui constituent les constructions médiévales, introduction indispensable pour comprendre comment réunir ces deux éléments : la prière qui a une nature spirituelle et caractéristique surtout pour les êtres vivants, qui la créent grâce à leur âme, grâce à leur esprit ; et la pierre, matérielle de par son essence.
Joris-Karl Huysmans a évoqué
les pierres animées de la cathédrale de Chartres. Après avoir été travaillée
par le maçon, la pierre, qui est un rude matériau, se transforme en quelque
chose d’animé, de vivant. En analysant la symbolique des différentes parties de
la cathédrale, Huysmans montre dans son roman La Cathédrale que les
pierres qui se joignent symbolisent l’union des âmes, la foule des
fidèles ; les pierres les plus fortes sont les âmes les plus avancées dans
la voie de perfection et les petites pierres sont les âmes faibles, mais les
grosses pierres les soutiennent et les empêchent de tomber.
En évoquant les pierres
vivantes, Huysmans était très influencé par Guillaume Durand de Mende, évêque
du XIIIe siècle, qui parlait de la symbolique des pierres dans son Manuel
pour comprendre la signification symbolique des cathédrales et des
églises. Citons un passage de ce Manuel :
Car l’église matérielle dans laquelle le peuple
se rassemble pour louer Dieu représente la sainte Église qui est construite
dans les cieux, de pierres vivantes, comme nous l’avons déjà dit. C’est la
maison du Seigneur bâtie solidement, dont le fondement est le Christ, qui est
la pierre angulaire ; fondement sur lequel a été placé celui des apôtres
et des prophètes… Mais les fidèles, prédestinés à la vie éternelle, sont les
pierres employées à la structure de ce mur, qui sera toujours élevé et
construit jusqu’à la fin de ce monde. Et une pierre est posée sur une pierre,
quand ceux qui enseignent dans l’église se chargent avec zèle des enfants pour
les enseigner et pour les fortifier dans la foi. Et dans la Sainte Église,
celui qui porte du secours à son frère dans ses peines est chargé de pierres
qu’il porte pour l’édifice de la maison spirituelle de Dieu. Et les pierres
plus grosses que les autres, et celles qui sont polies ou unies que l’on place
au dehors de l’édifice, et entre lesquelles on met les pierres qui sont plus
petites, représentent les hommes plus parfaits que les autres, et qui, par
leurs mérites et par leurs prières, retiennent leurs frères plus faibles dans
la sainte Église.[3]
Ainsi,
selon Guillaume Durand de Mende, la pierre symbolise-telle premièrement le
Christ, qui est la pierre angulaire, deuxièmement les fidèles qui se
soutiennent dans la foi, élèvent les enfants en leur enseignant la foi,
participant ainsi à la construction du bâtiment de la foi en contribuant à
intégrer les jeunes âmes ou les âmes faibles à faire partie de ce bâtiment.
Commentant cette image des pierres animées, Alain Néry, professeur à l’Université d’Angers, évoquait, dans son article « Rouen, Bruges et Chartres : pierres poreuses des cathédrales chez Flaubert, Rodenbach et Huysmans », l’épiderme des pierres. Les pierres selon lui ont des pores comme des êtres humains, ce qui leur permet de respirer. « Le thème de la porosité de la pierre, écrit-il, est assurément présent chez Huysmans, comme chez Rodenbach. Durtal le suggère notamment au sujet de la patine des murs de Notre-Dame de Chartres, « façonnée avec des vapeurs d’âme » »[4]
Dans l’œuvre de Péguy il
s’agit non seulement des pierres animées, mais de la prière des pierres. Citons
d’abord un texte qui permet de comprendre la vision qu’il en a. Commençons par
citer un passage du Mystère de la vocation de Jeanne d’Arc qui est
fondamental pour s’imprégner de cette prière :
J’aimais l’église là ; d’un seul geste elle porte
Sa prière de pierre ascendante et solide,
Prière de bâtisse et de vaillance forte,
S’appuyant ici-bas pour monter plus solide.
Prière bâtie, prière construite, prière carrée, prière
en pierre.
Bien carrée, bien droite.
Bien faite.
Prière édifiée.
Prière de pierre.
Vaillance verticale et remontant de terre,
Église créature,
Église créée.
Doublement créature.
Doublement créée.
Créée de l’homme, créature de l’homme, prisonnière de l’homme.
Du travail de l’homme.
Créée de Dieu, créature de Dieu, par le ministère de l’homme.
Par le singulier, par le mystérieux ministère de l’homme.
Par la perpétuelle intercalation de l’homme.
Église la double création, la double créature, la double créée.
Doublement créée.
Création de création, créature de créature, créée de créée.
La plus belle créature que l’on puisse voir.
La plus belle créature que l’on puisse contempler.
Prière de maçons ; (et vous, cloches, prière de fondeurs).
Prière de bâtisse et de taille de pierre.
Prière de charpente ; à l’intérieur, pour vous soutenir, vous Cloches ;
Pour vous habiller. Pour vous porter comme des bras.
Prière de bâtiment. Prière de maison.
Prière de bâtisse ascendante et valide.
Prière de carrure assise au cœur des terres,
S’appuyant sur le sol pour monter plus solide :
J’aimais le geste au ciel de l’église de pierre.[5]
Comme
nous le voyons, la prière des pierres chez Péguy est associée à l’image de
l’église. L’architecture religieuse est une expression matérielle de la prière
spirituelle. Pour Péguy, l’église représente un geste vers le ciel, la
verticale est sa ligne dominante. L’ascension, l’élévation vers le ciel de
l’église est comparable au mouvement ascendant de la prière. Les voix des
fidèles lancent un appel au ciel. La prière s’appuie sur le sol, elle part de
la terre et monte au ciel. Et les pierres suivent le même mouvement et aident à
la prière spirituelle. C’est la terre qui donne la source à la prière qui
s’élance vers le ciel comme les pierres de l’église :
La voix qui monte au ciel par un chemin de peine.
La voix qui monte au ciel par un chemin de pierres,
De pierrailles et de cailloux.[6]
En même temps, cette prière
dont parle Péguy est une prière solide, forte et vaillante. C’est une prière
carrée, bien bâtie, bien faite, édifiée, crée, construite. Le vocabulaire riche
et varié se rapporte au champ lexical de l’architecture, mais Péguy l’emploie
par rapport à la prière qui est pour lui proche d’un bâtiment. Les fidèles construisent,
bâtissent leur prière ensemble.
La prière des pierre est une prière de chaque fidèle, de chaque paroissien, car chaque individu peut être associé à une pierre de l’église. Dans ce sens il est intéressant de mentionner la sculpture d’Auguste Rodin intitulée « La Cathédrale » (1908) qui représente deux mains jointes en prière. On peut dire que chaque pierre de la cathédrale incarne ce geste vers le ciel que fait chaque âme qui prie. Chaque fidèle participe à la construction de la maison spirituelle de Dieu. En même temps, il soutient les fidèles plus faibles et assure l’enseignement spirituel des enfants qui deviendront plus tard les pierres solides de cette construction commune.
Péguy évoque également la
prière des maçons car c’est eux qui ont érigé l’église, en posant pierre après
pierre, pierre sur pierre, pour créer une construction ascendante vers le ciel,
incarnant un flot de prière. Selon Huysmans, les cathédrales sont remplies de
l’âme des artistes, des architectes, qui s’incorpore dans la pierre sculptée.
Comme il y avait toujours beaucoup de maçons qui participaient à la
construction, il y avait toute une profusion d’âmes qui animaient la pierre.
Sans ce souffle mystérieux la cathédrale aurait été une ébauche sans âme.
« Pour obtenir un tel résultat, il fallut que l’âme de ces multitudes fût
admirable, car ce labeur si pénible, si humble, de gâcheur de plâtre et de
charretier, fut considéré par chacun, noble ou vilain, ainsi comme un
honneur »[7].
Ainsi, l’Église de Péguy
prie dans son geste ascendant : les pierres, les fidèles, les maçons –
tous participent à cette prière commune et font partie de la même construction
matérielle et spirituelle à la fois. Plus loin dans Le Mystère de la vocation
de Jeanne d’Arc nous lisons ceci :
Et depuis quatorze siècles tant de cloches et tant d’églises,
Tant de regards et tant de voix.
Tant de prières de cloches et d’églises, tant de prières de regards et de voix.
Quatorze siècles de cloches parlent, chantent, sonnent.
Prient.
Quatorze siècles d’églises montent.
Prient.
Quatorze siècles de voix sonnent, chantent, parlent.
Crient.
Prient.
Quatorze siècles de regards montent.
Crient.
Prient.[8]
Dans ce passage tout participe à la prière, c’est une prière à l’unisson : l’église prie avec ses pierres, les cloches prient avec leurs voix, les fidèles prient avec leurs yeux et leurs paroles. Le verbe « prier » est ici mis en relief par le rejet à la ligne suivante.
Il est important d’analyser
encore une signification de la prière des pierres dans l’œuvre de Péguy. Nous
pouvons dire que ses œuvres poétiques représentent en quelque sorte des prières
de pierre. Et c’est surtout valable pour La Tapisserie de Notre-Dame qui
était construite, selon les propres mots du poète, « point après
point » (ou pierre après pierre). Son texte poétique est comme une
construction architecturale constituée de pierres. Chaque mot de sa
construction littéraire est associé à une pierre.
Parlant de la structure du
poème de Péguy, de la construction de son oeuvre, on peut également parler du
processus de la construction des cathédrales, car c’est un travail presque
analogue. En construisant son poème « point après point », Péguy fait
comme les constructeurs des cathédrales qui posaient pierre après pierre.
La construction des
cathédrales a duré plusieurs siècles. C’est un produit de plusieurs époques, et
Péguy en souligne le caractère anonyme. Nous ne pouvons l’attribuer à un auteur
concret. C’est le résultat des efforts de plusieurs personnes.
L’homme se retourne vers sa race et aussitôt après son père et sa mère il voit s’avancer ce front de quatre et aussitôt derrière il ne voit plus rien qu’une immense masse et une innombrable race, aussitôt après, aussitôt derrière il ne distingue plus rien. Pourquoi ne pas le dire, il s’enfonce avec orgueil dans cet anonymat. .... Ainsi notre homme ne veut être qu’un arbre dans cette forêt, un épi commun dans cette immense moisson. Un citoyen de l’espèce commune, un chrétien de la commune espèce. Le citoyen dans le bourg; le chrétien dans la paroisse. Et un pécheur de la plus commune espèce...[9]
La
« construction » de la prière ressemble beaucoup à la construction
des cathédrales et des églises. La prière est également une construction
collective. Elle est construite par les paroles de multiples fidèles, elle
n’est pas le fruit d’une seule personne, mais le résultat de multiples efforts
qui participent à la même tâche. Les fidèles prononcent les paroles, les mots
de la prière comme les architectes posent les pierres l’une sur l’autre pour
ériger une église. Ainsi la prière est un fruit de l’effort collectif. Et ce
sont des simples gens « des hommes de chez nous » qui font cet
effort.
En même temps, La
Tapisserie de Notre-Dame est construite comme une prière, nous pouvons y
relever un mouvement ascendant. Le poème commence par le cheminement linéaire
du pèlerin vers la cathédrale de Chartres qui se transforme petit à petit en
cheminement vertical vers le ciel, vers le salut, vers Notre Dame et se termine
par les cinq prières dans la cathédrale de Chartres (prière de résidence,
prière de demande, prière de confidence, prière de report, prière de déférence)
qui sont comme le sommet de ce poème-prière. Le style même de Péguy rempli de
répétitions, d’anaphores rappelle le style d’une prière, d’autant plus que,
pour ce poème, le poète puisait son inspiration dans les litanies de la Vierge.
En lisant le poème de Péguy et surtout les cinq prières, le lecteur voit apparaître les belles images de la liturgie, la beauté des litanies. Le poète s’est visiblement inspiré de la prière chrétienne, car on remarque chez lui la même organisation de texte, presque les mêmes expressions qui se répètent. L’effet que produit le poème et surtout les cinq prières est tout à fait semblable à celui que fait naître la litanie, cette forme liturgique qui comprend à la fois répétition et progression. La lente imprégnation de l’esprit favorise la contemplation et lui permet de suivre son cours en s’approfondissant. Ainsi grâce aux parallélismes et aux répétitions, aux innombrables reprises le poème possède un étonnant pouvoir de suggestion.
En parlant de la cathédrale
de Chartres, Péguy écrit :
C’est la pierre sans tache et la pierre sans faute
La plus haute oraison qu’on ait jamais portée,
La plus droite raison qu’on ait jamais jetée,
Et vers un ciel sans bord la ligne la plus haute.[10]
Ainsi la pierre de la
cathédrale de Chartres est-elle « la plus haute oraison », « et
vers un ciel sans bord la ligne la plus droite ». La cathédrale de
Chartres est pour Péguy la ligne la plus haute qui symbolise une prière en
pierre. Et cette prière qui monte le plus haut possède une force salutaire
suprême.
Et quand se lèvera le soleil de demain,
Nous nous réveillerons dans l’aube lustrale,
À l’ombre des deux bras de votre cathédrale,
Heureux et malheureux et perclus du chemin.[11]
Les deux bras de la cathédrale
de Chartres ce sont les deux tours de pierre qui prient pour le pèlerin, qui le
protègent, qui le bercent comme la mère berce un enfant dans ses bras. Cette
métaphore des deux tours comme deux bras nous fait penser à la sculpture de
Rodin que nous avons déjà citée.
Ainsi, nous avons repéré plusieurs sens de la prière des pierres chez Péguy. Premièrement c’est la représentation de l’église comme construction architecturale qui s’élance vers le ciel avec ses pierres, qui est une expression de la prière spirituelle. Deuxièmement la prière des pierres est construite par chaque fidèle, par chaque âme qui prie, car chaque pierre peut être associée à un paroissien. Troisièmement, c’est la prière des maçons qui incarnent l’âme des artistes qui s’incorpore dans la pierre sculptée. Et finalement la prière des pierres c’est l’œuvre de Péguy et plus particulièrement La Tapisserie de Notre-Dame qui est construite pierre après pierre et qui d’après sa structure rappelle le mouvement vertical, ascendant de la prière. Tous ces multiples sens créent un ensemble de prière commune qui était vivante pour Péguy et qui sera toujours vivante et apportera ses fruits.
Tentative d’élucidation
de la
« Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres »
En remerciement à la famille Yvon qui m’a amplement documenté sur le sujet |
Romain
Vaissermann Université de Nice |
Péguy annonce à son fidèle ami Lotte la
« Présentation » en termes tantôt humbles, tantôt fiers : ce
poème est à la fois « un papier de 360 vers » et « à beaucoup
près ce que j’ai fait de mieux ». Or jusqu’ici ces deux pages poétiques –
deux pages dans la disposition du Bulletin des professeurs catholiques de
l’Université édité par Lotte (20 janvier 1913), davantage aux Cahiers de
la quinzaine (11 mai 1913) – n’ont pas bénéficié des notes seules à même
d’en éclairer l’aspect biographique. Marcel Péguy, pour ne citer que lui, ne
donne au texte, dans l’édition de la Pléiade, qu’une seule note, anecdotique et
floue. Il s’agit – en cette présentation fille de la Présentation – de
présenter le texte au lecteur, d’amener le lecteur pour la première fois au
Temple du texte, afin d’y contempler, sur de fermes assises biographiques et
intertextuelles[12], la hauteur des sens symboliques que l’on pourra
dégager à l’avenir.
À la recherche des liens entre la
« Présentation » et la Bible, nous venons après Marie Gil-Boyer qui
identifia un « palimpseste évangélique dans les Tapisseries »[13], de façon parfois rapide : le rapprochement des
termes « gerbe », « tige » et « ligne » (v. 73,
77 et 84) de la « souche de Jessé »[14] et du « Salve radix » de l’Ave
Regina cœlorum[15], l’allusion à la parabole de l’ivraie aux vers 1-4,
105-108[16] et à la mort vaincue au vers 297[17], l’idée que Péguy refoule un vif désir de sacrement
(voire d’ordination sacerdotale) au vers 301[18] ou veuille imiter le Christ d’après le vers 326[19] semblent sinon surdéterminer le texte, du moins le
tirer vers des références scripturaires qui obscurcissent singulièrement des
références plus simples, dont il est par ailleurs dommage qu’elles restent
obstinément tues[20], loin d’être même corrélées aux textes vétéro- et
néotestamentaires. En revanche, cet article récent est utile à la compréhension
d’un passage de la « Présentation »[21] et a révélé le « palimpseste de la
passion » présent dans tout le poème[22] – et, selon nous, en contrepoint de la
« Tristesse d’Olympio ».
En effet, la halte de Dourdan dut rappeler cette
recherche nostalgique qu’Hugo mit en vers en utilisant la rime
« sombre » / « ombre » (v. 19-24) : « Il chercha
le jardin, la maison isolée, / La grille d’où l’œil plonge en une oblique
allée, / Les vergers en talus. / Pâle, il marchait. – Au bruit de son pas grave
et sombre / Il voyait à chaque arbre, hélas ! se dresser l’ombre / Des jours
qui ne sont plus. » Péguy précise de la maison des Yvon : « Le
jardin était clos » (v. 157), là où Olympio erre « Regardant, sans
entrer, par-dessus les clôtures » (v. 44) et note : « Un mur
clôt la fontaine où, par l’heure échauffée, / Folâtre, elle buvait en
descendant des bois (v. 61-62). Les parallèles se multiplient. Péguy :
« Voici votre regard » (v. 4) et le refrain « Vous nous voyez
marcher » (v. 25 et 33) ; Olympio : « Ma maison me
regarde » (v. 80). Péguy : « Un sanglot rôde et court par-delà
l’horizon » (v. 13) ; Olympio : « Vers quelque source en
pleurs qui sanglote tout bas » (v. 124). Péguy : « D’autres
viendront vers vous du noble Vermandois, / Et des vallonnements de bouleaux et
de saules. / D’autres viendront vers vous des palais et des geôles. / Et du
pays picard et du vert Vendômois. » (v. 117-120 ; cf. v.
93-96) ; Olympio : « D’autres vont maintenant passer où nous
passâmes. / Nous y sommes venus, d’autres vont y venir » (v. 81-82).
Douterait-on encore du rapprochement qu’un quatrain
emporte l’adhésion (v. 145-148) : « Toutes les passions s’éloignent
avec l’âge, / L’une emportant son masque et l’autre son couteau,
/ Comme un essaim chantant d’histrions en voyage / Dont le groupe décroît
derrière le coteau. » explique suffisamment « Quand nous aurons joué
nos derniers personnages, / Quand nous aurons posé la cape et le manteau, /
Quand nous aurons jeté le masque et le couteau, / Veuillez
vous rappeler nos longs pèlerinages. »[23]
Mais revenons aux références
religieuses. Imprègnent le poème les Litanies de la Vierge Marie dites de
Lorette[24], les Hymnes mariales[25],
le vocabulaire
religieux, comme dans :
- l’« immense chape » (v. 4) – ce long manteau de cérémonie, agrafé par devant et sans plis, porté par les dignitaires de l’Église pour célébrer certains offices[26] –,
- le « reposoir » (v. 24), endroit où l’on fait halte, voire
cet abri aux voyageurs sur le bord de la route, mais surtout cet autel orné de
fleurs et de feuillages, dressé sur le parcours d’une procession et sur lequel
le prêtre expose le Saint-Sacrement, notamment lors de la Fête-Dieu (et non
l’autel où est exposé le Saint-Sacrement dans l’église après la messe du Jeudi
saint),
- l’« indulgence » (v. 304) prêtée à Marie comme cette attitude d’une personne qui pardonne les fautes d’autrui, mais comme cette rémission, par l’Église, des peines temporelles dues aux péchés déjà pardonnés, et même aussi comme le pèlerinage qui entraîne cette rémission (au sens où l’on parle de l’indulgence du chemin de la Croix, ou de celle de la Terre sainte).
- le terme « moqueur » (v. 321 : « la lèvre du moqueur » ; cf. v. 162 de la « Tristesse d’Olympio » : « Loin des objets réels, loin du monde rieur ») fréquent notamment dans les Proverbes (IX-7-8, XXI-11…) et les prophètes (Es XXVIII-14, 22 et XXIX-20),
- le « premier Adam » (v. 342 ; II Esdras III-21 : « Cor enim malignum baiulans primus Adam transgressus et victus est, sed et omnes qui ex eo nati sunt. » et I Co XV-45-47),
- ou encore le « Purgatoire » (v. 354), étrangement marial mais « vraiment un purgatoire » où Péguy se plaignait en mai 1912 de devoir « tendre le dos et attendre qu’il ne pleuve plus »[27].
Au total, il semble que les allusions aux dévotions à
la Vierge dominent les rappels testamentaires. Le « ô reine des
douleurs » du vers 240 se souvient ainsi du « Stabat mater
dolorosa » et désigne la manière de couronne que forment les sept
glaives plantés dans la poitrine de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, représentée
parfois comme portant sur sa tête une
véritable couronne à rayons. La suite du « Stabat mater » :
« Juxta Crucem lacrimosa » et le graduel de la fête Septem Dolorum Beatae Virginis qui commence par
confesser : « Dolorosa et lacrimabilis es, Virgo Maria »
expliquent le premier hémistiche de ce même vers 240 : « Et la sèvère
larme ». Quant aux vers 72, 81 et 272, leur
« irréprochable », « pierre sans tache »[28] et « sans faute »,
leur « flèche sans péché » est bien sûr, prosaïquement,
« impeccable », mais réfère aussi au dogme de l’Immaculée Conception. « Vous êtes reine et mère » (v. 302) reprend
clairement « Salve Regina, mater misericordiae, vita, dulcedo, et spes
nostra, salve » Pourtant, « Et nunc
et in hora, nous vous prions pour nous » (v. 333 ; cf. l’« ora
pro nobis » des Litanies) rappelle davantage la « Doxologia Minor » : « Glória
Patri, et Fílio, et Spirítui Sancto. / Sicut erat in princípio, et nunc, et
semper, et in sæcula sæculórum. Amen. » (par exemple présente à la fin
du « Magnificat ») que l’« Ave Maria »[29], même si les paroles répétitives chantées dans celui
de Schubert[30] contiennent les mots donnés par Péguy. Le Christ ne
peut bien entendu pas être absent ; le vers 43 : « Et ce fleuve
de sable et ce fleuve de gloire », paraissant ne faire que jeu de mot avec
« Loire »[31], renvoie à Jn VII-37-39, où
du sein de Jésus jaillissent « des fleuves d’eau vive » parce qu’il a
été glorifié[32] et a quitté son « premier
caveau » (v. 297), c’est-à-dire où il a premièrement été enseveli.
Quelques autres saints,
souvent locaux, n’ont pas été oubliés. Anglais, saint Clair, fêté le 18 juillet, arpenta le Beauvaisis à la fin du IXe
siècle et finit martyr : décollé mais céphalophore ; le prieuré et
l’église de Gometz-le-Châtel se placent sous l’invocation de ce saint dont une
fontaine à Gometz est fréquentée pour y voir « clair » (v. 127). Romain, saint Chéron, canonisé à Chartres vers
l’an 800 et fêté le 28 mai, est encore plus proche du pèlerin Péguy (v.
343) : martyr contemporain de saint Denis, il faisait route d’Ablis à
Chartres quand il tomba dans une embuscade à trois lieues de la ville ; la
source de « La Rachée », à Saint-Chéron[33], était aussi connue – coïncidence ? – pour guérir les
yeux. Quant à Arnould de Chartres, fêté aussi le 18 juillet, sa vie est mal
connue : il prêcha la foi parmi les Francs après le baptême de Clovis et
finit, lui aussi, martyr dans une forêt, celle d’Yveline entre Chartres et
Paris. Et voici l’histoire de sainte Mesme, vierge et martyre honorée en pays
chartrain le 7 mai[34] (v. 170) : à la fin du Ve siècle,
furieux de savoir que sa fille reniait les dieux païens, le comte de Dourdan
demanda à son fils Mesmin qu’il tranchât la tête de sa sœur, la vierge Maxima.
Mais comme une source miraculeuse jaillit à cet endroit précis (deux fontaines
rappelant ce souvenir dans la Sainte-Mesme actuelle), il se convertit, fit
pénitence et fonda l’abbaye de la Chapelle Saint-Mesmin, près d’Orléans.
Les doubles jeux frappent aussi les références poétiques. « Vers un dernier carré le soir d’une bataille. » (v. 40) rappelle aussi bien Leconte de Lisle[35] que Victor Hugo[36]. Les réminiscences purement littéraires font nombre égal aux rappels bibliques : défilent André Gide[37], Heredia[38], Homère[39], Horace[40] et Hugo[41], Lamartine[42], Musset[43], Novalis[44], Sully-Prudhomme[45] sont tour à tour convoqués, peut-être même Érasme[46], Marivaux[47] ou Virgile[48], et cette liste semble close[49].
Les archaïsmes sont peu nombreux au total : l’emploi prépositionnel de « dedans » [50] est devenu aussi rare que le sens temporel de « devant » ou « devers »[51] ; « Comme un rang de châteaux sur la barque amirale. » (v. 20) renvoie à ces constructions élevées à la proue (« château d’avant ») ou à la poupe (« château d’arrière ») des anciens navires de guerre à voiles, accastillage qui faisait autrefois office de défense et de protection (« chastel » est attesté depuis le XIIe siècle en ce sens ; cf. v. 116) ; « Vingt ans de souvenirs étaient notre échanson. » (v. 143) rappelle cet officier chargé de verser à boire, à la table d’un seigneur ; « séquelle » (« suite de personnes attachées à quelqu’un » depuis le XIVe siècle et ici, spécialement, « suite formée par les courtisans d’un roi ») est à peine un archaïsme (latinisme – de sequor), puisque le néologisme sémantique désignant une pathologie ne date que de 1904. À côté d’« égal comme une barre » – qui ne pose pas de problème puisque c’est une pièce étroite et longue, de section régulière, de rigidité et résistance variables selon la matière –, « Dur comme une justice » (v. 58) est difficile à interpréter. Sont-ce des « (fourches de) justice » où les seigneurs faisaient pendre les malfrats, un « (Sceptre de) justice » aux côtés de la « Main de merci » et de la « Verge d’équité », le sens vieilli de jugement rendu ou le sens métonymique d’« instance chargée de rendre la justice », ou encore une représentation allégorique de la Justice ?
Mais l’« appareil » du vers 30 (« Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours ») doit-il même être pris au sens classique de « magnificence extérieure » ? Voire. L’appareil photographique (voir les modernistes vers 222-223 : « Nous marchons dans le vent coupés par les autos. / C’est ici la contrée imprenable en photos ») n’est pas à exclure… Le néologisme n’est pas toujours extrême : « et toute leur volaille » (v. 36) renvoie bien, par la marque du singulier désignant un groupe de personnes, à une bande de femmes faciles, et ce depuis le début du XIXe siècle ; le nouveau sens argotique, alors tout récent (1900), qui désigne la « police », semble ignoré. « Comme un rang de châteaux sur la barque amirale. » (v. 20) utilise une expression rare synonyme du plus usité « bateau amiral » mais ni très nouvelle ni très ancienne : le T.L.F. repère « barque amirale » chez Hugo et Châteaubriand[52], outre Péguy.
Péguy invente donc à faible
dose : le T.L.F. après Le Vocabulaire, la syntaxe et le style
des poèmes réguliers de Charles Péguy par Joseph Barbier citent le
vers 327 et considèrent qu’« amendement » est ici un néologisme de
sens, pour « une grâce de pardon et de perfectionnement intime »
La nouveauté, c’est plutôt de relancer l’ancien
pèlerinage de Chartres[53] et de relater son propre voyage accompli et les
marches à venir. Car tout est « vrai », « réel » dans ce
poème.
L’« océan » du vers 2 (métaphore
filée ; mot repris aux v. 12 et 105) s’accorde avec
l’« ondulation » notée par Péguy prosateur et marcheur[54]. Les « greniers comblés » (v. 3) le sont
bien au mois du pèlerinage de Péguy à travers cette région de grosse production
céréalière qu’est la Beauce : c’est du 14 au 17 juin 1912, accompagné le
premier jour d’Alain-Fournier, que Péguy fit son premier pèlerinage à
Notre-Dame de Chartres en action de grâce après la guérison de son fils Pierre
atteint de paratyphoïde (février 1912), ainsi que pour résister à une passion
adultère. Péguy a donc effectivement quitté pour peu de temps – trois nuits et
trois jours si l’on compte les heures (du 14 juin 9 heures au 17 juin 13
heures) – Paris, la capitale où grouillent les habitants (« Là-bas vous
commandez un océan de têtes », v. 106) et dont le centre, universitaire,
oppose la « Boutique des Cahiers » du 16, rue de la Sorbonne
(v. 90) à la Sorbonne où règnent (v. 91) soit deux disciplines distinctes soit
les philologies classique et moderne (la seconde étant née en 1897 avec
la parution de l’Essai de sémantique. Science des significations par
Michel Bréal chez Hachette).
Les cloches qu’on entend sonner puis resonner au
« clocher » d’une « épaisse église » (v. 5, 15-16)
pourraient provenir de l’église d’Orsay, si la chronologie était exacte et s’il
s’agissait du matin (v. 9), peu après le départ de Lozère à neuf heures ;
mais le quatrain précédent évoque déjà le « plateau » qui s’offre
après la célèbre « côte » de Gometz, « sur le ras de la plaine
et sur Gometz-la-Ville » (v. 130) au début de la Beauce (cf. le
« coteau » qui finit la Beauce au vers 48)… Aussi l’église de
Champseru convient-elle, mieux que celle de Sainte-Mesme dont le chevet est plat et dont la nef et le bas-côté sont
flanqués au sud d’une chapelle.
Parmi les « amis absents » du vers 6 doivent
figurer Eddy Marix mort en 1908 et pour qui Maritain voulait dès cette année-là
que Péguy prenne la route de Chartres[55], Pierre Marcel Lévi, ami en dépression et avec qui
Péguy désirait faire la route de Chartres, le compagnon Alain-Fournier, Henri
Yvon bien sûr dont l’absence permettra à Péguy de dormir dans sa chambre et
enfin René Bichet, mort à la date d’achèvement du poème.
Étrangement, Péguy semble réduire à l’ère chrétienne
la période de mise en œuvre des ressources agricoles de la Beauce. Mais
« Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre / Un réservoir sans fin
pour les âges nouveaux. » (v. 21) doit se comprendre avec emphase sur
« fin » et « nouveaux » : le travail de la terre a
obtenu de la Nouvelle alliance qu’il produise en suffisance et de façon
pérenne. Quant à l’autre décompte « Mille ans de votre grâce »
(v. 23), il envoie à l’histoire à rebondissements de la construction de la
cathédrale de Chartres. Dotée de la tunique de la Vierge en l’an 876, la ville
s’opposa grâce à elle victorieusement aux assiégeants normands en 911. La
cathédrale, consacrée par Fulbert en 1030, vit ses voûtes s’achever en 1215.
À travers la Beauce donc, Péguy peut écrire :
« La route nationale est notre porte étroite. » (v. 28). La R.N. 10
(dénomination datant de 1875) mena Péguy d’Ablis au Gué-de-Longroi[56] et de là à Saint-Chéron-du-chemin puis à Chartres.
Mais ce sont des départementales qui conduisirent Péguy autrement : R.D.
988 « des faubourgs d’Orsay par Gometz-le-Châtel » (v. 126), dont il
prend la route de Chartres, « au bord d’une route en biseau » (v.
128) qui, elle serpente dans le village même. R.D. 988 de Chartres à Limours
par Gometz-le-Châtel puis R.D. 838 jusqu’à Dourdan par Angervilliers puis
Saint-Cyr-sous-Dourdan ; R.D. 116 de Dourdan à Sainte-Mesme et R.D. 168
jusqu’à Ablis ; puis de nouveau R.N. 10 pour finir. Et pourtant, Péguy
n’avait pas de carte, il allait « sans aucun appareil, sans fatras, sans
discours » (v. 30) et consultait « les poteaux aux coins des
carrefours » (v. 136). Il allait comme le soldat d’infanterie qu’il était
lors des manœuvres : « nous sommes la piétaille » (v. 33 et Victor-Marie
comte Hugo). Il suivait les platanes des routes parmi les champs (v.
209 : « le profil connu d’un arbre interchangeable »).
Mais dans Péguy parfois l’on se perd : « Dans l’antique Orléans sévère et sérieuse » a résisté à nos recherches[57]. Aucune certitude non plus que « l’enclos dans le bourg et la bêche » (v. 52) renvoient au grand-père Jean-Louis Péguy, jardinier dans Orléans, ville natale de Charles Péguy (v. 41). Et « la fosse » apparue « dès nos plus jeunes ans » (v. 50) ? La tombe du père mort quand Péguy n’avait pas un an ? Outre l’église de Champseru, « les beaux châteaux et les longues allées » du vers 116 et peut-être plus encore le « château sans un coin et sans une oubliette » du vers 331 posent problème… Faut-il compter à même enseigne le château de Baville, celui du Marais – propriété de la duchesse de Talleyrand –, celui de Dourdan, celui de Sainte-Mesme ? Les deux derniers nous convainquent. Seul Gometz-le-Châtel, qui, malgré son nom, « n’est pas un castel » (v. 127), est exclus. Pourtant, Gometz fut à l’origine le domaine du château, dont il reste vestiges de tours et de murailles, par opposition avec Gometz la « villa ».
Seule domine les doutes la cathédrale. « Un homme
de chez nous » (v. 61) ne désigne sans doute pas, par figure de style, l’ensemble
des hommes ayant contribué à faire lever de terre Notre-Dame de Chartres mais le maître maçon Jean Texier, dit Jean de Beauce, né à Vendôme,
architecte de la flèche septentrionale achevée en 1513, et non du clocher roman au sud, s’élevant à près de
106 mètres de hauteur. Jusqu’ici, les exégètes ont plutôt attribuer
l’appellation laudative de « flèche irréprochable » (v. 72) au
clocher roman, mais l’identification de Jehan de Beauce va contre cette
tradition. De fait, d’aucuns témoignent au Clocher
Neuf, culminant à 115 mètres, leur préférence, en raison des ornements
et des dentelles qui l’enrichissent, dans le plus pur style gothique
flamboyant. Quoi qu’il en soit, tous deux s’élevent
« plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois » au-dessus
du portail royal et même de la galerie des rois (v. 71). Au-dessus des vitraux
? « Voici l’axe et la ligne et la géante fleur. » (v. 237) peut
désigner les trois rosaces de Chartres ou encore les trois verrières préservées
par l’incendie de 1194 : ligne de la Passion, axe de la vie du Christ et
arbre fleurissant de Jessé.
Même le trajet de Péguy dans le « gros bourg très riche » de Dourdan[58] est connu : après la descente sur Dourdan[59], il a pris à gauche la rue de Chartres, a franchi la porte de Chartres, a « longé » (v. 139) « les fossés du château coupés comme un redan »[60], pour rejoindre la rue Basse foulerie et, après avoir passé le pont sur l’Orge, entre dans « la maison amie, hôtesse et fraternelle » au 2, rue du Puits-des-Champs (v. 141) : une maison construite en 1865 par la famille Yvon. Mère de la famille, Marie Yvon était originaire d’Orléans et amie de la mère de Péguy, à la paroisse Saint-Aignan. « On nous a fait coucher dans le lit du garçon. » (v. 142). Il ne s’agit pas de n’importe qui. Henri Yvon est né à Paris le 10 juin 1873 et fit ses études au lycée Saint-Louis (1882-1890), Henri-IV (1890-1893), à l’École normale supérieure (reçu en 1893) – où il rencontre Péguy qui écrira en 1913 (v. 143) : « Vingt ans de souvenirs étaient notre échanson. ») –, avant d’être agrégé de grammaire en 1897. Il enseigna comme professeur de lettres au collège d’Abbeville brièvement (1897), au lycée d’Angoulème (1897-1903), au lycée de Marseille (1903-1907), au lycée Lakanal (1907-1912) puis au lycée Henri-IV (1912-1935), tout en enseignant la grammaire française à l’École normale d’instituteurs de Saint-Cloud (1922-1926) puis à l’École normale d’institutrices de Fontenay (1926-1935) et, en Sorbonne, à l’École de préparation des professeurs de français à l’étranger (1922-1935). Il est, avec Maxime Lanusse, l’auteur d’un Cours complet de grammaire française à l’usage de l’enseignement secondaire classique chez Belin[61], muni de volumes d’Exercices des mêmes auteurs chez le même éditeur[62] et avec la collaboration de Léon Garinot[63]. Ces livres eurent un certain succès, comme en témoignent la douzaine de rééditions du « Lanusse et Yvon ». Mais Henri Yvon ne s’arrêta pas là : avec Maxime Lanusse et Roger Thabault, il publie chez Delagrave (« Nouvelle Bibliothèque des écoles primaires supérieures et des cours complémentaires »), un Cours de langue française. Vocabulaire, grammaire, composition française, à l’usage des cours complémentaires, des écoles primaires supérieures, des écoles pratiques de commerce et d’industrie[64] et Méthode et exercices de langue française[65] et même Mon premier livre de français[66].
Intéressé aussi par la
littérature française, il écrivit avec Gustave Dulong des Morceaux choisis
des auteurs français. Classes de sixième, cinquième et quatrième[67]. Bon latiniste, il rédigea
avec Abel Bourgery une Grammaire latine élémentaire avec exercices puis
avec le même une Grammaire latine complète, rapidement assortie d’Exercices
latins. Application des règles et méthodes de traduction[68]. Mais Henri Yvon n’est pas
seulement d’ouvrages pour les classes : il commit un Imparfait de
l’indicatif en français, un commentaire de La Nomenclature
grammaticale de 1910 avec l’aide de Maxime Lanusse, ainsi qu’un Dictionnaire
des antonymes ou contraires avec indication des synonymes avec l’aide de
Marcel Rameau[69]. Président de la Société de
Linguistique de Paris en 1929, Henri Yvon écrivit dans de nombreuses
revues : Romania, la Revue de philologie française, la Revue
universitaire, Le Français moderne…Chevalier de la Légion d’honneur,
médaillé de la Croix de guerre 1914-1918 (guerre qu’il fit comme lieutenant
puis capitaine d’infanterie territoriale), officier des Palmes académiques, il
décéda le 27 novembre 1963 dans la maison où sa mère avait accueilli Péguy lors
de ses pèlerinages à Chartres.
Ont été reçues par les Cahiers de la quinzaine
treize lettres d’Henri Yvon de 1901 à 1907 et deux lettres de sa mère en 1912,
qui reçut plusieurs lettres de Péguy lui-même – dont celles, fameuses, des 18
juin 1912 et 21 juillet 1913. Henri Yvon a échangé une correspondance non
seulement avec Charles Péguy mais aussi avec les péguistes Daniel Halévy
(1919-1952), Auguste Martin (1943-1963) et René Johannet (1948-1950).
Au vers 160, « un maréchal, et l’enclume, et la
forge » font un bel enjolivement épique : ce voisin d’en face était
un savetier sourd-muet qui battait le cuir sur son pied de fer ! Jusqu’où
pousse la concurrence avec Hugo ! « Booz s’était couché de fatigue
accablé ; / Il avait tout le jour travaillé dans son aire ; / Puis avait fait
son lit à sa place ordinaire ; / Booz dormait auprès des boisseaux pleins de
blé. // Ce vieillard possédait des champs de blés et d’orge ; / Il était,
quoique riche, à la justice enclin ; / Il n’avait pas de fange en l’eau de son
moulin ; / Il n’avait pas d’enfer dans le feu de sa forge. » (Légende des siècles, « Booz endormi », v. 1-8). Or, chez
les Yvon, « le jardin était clos dans un
coude de l’Orge » (v. 157), ce que la famille fit d’ailleurs visiter
à Péguy : « On nous fit visiter le jardin potager » (v. 154),
dont toutes les précisions sont exactes : « Il donnait sur la treille
et sur un beau verger » (v. 155) et « vers la droite il donnait sur
un mur bocager » (v. 158). La famille Yvon a même sa spécialité : le
« bœuf en daube » pris à dîner[70] et au petit-déjeuner (v. 164).
Le tournant du poème est sans doute au vers 181, dont
la « haute terrasse » annonce le début d’Ève[71] et qui correspond à ce lieu de la route où – ainsi
que Péguy l’affirme lui-même – « On voit le clocher de Chartres à 17
kilomètres sur la plaine. » et où Péguy eut une expérience mystique :
« Dès que je l’ai vu, ç’a été une extase. Je ne sentais plus rien, ni la
fatigue, ni mes pieds. Toutes mes impuretés sont tombées d’un coup. J’étais un
autre homme… »[72] Révélation d’autant plus surprenante pour Péguy que
les manœuvres de 1900 le firent « marcher devant vous [à 7 km] sans vous
apercevoir » (v. 195). Un vers exprime cet oubli des années d’oubli de la
foi et cet oubli des kilomètres à accomplir encore : « D’ici vers
vous, ô reine, il n’est plus que la route. » (v. 213), et même des montées
à gravir. Car venant de l’Orge, on voit clairement que que la cathédrale est
sur un « coteau » (v. 212). Même si le Hurepoix se trouve coupé
« plus souvent par des rideaux de bois » (v. 112), il reste encore
des arbres : « On voit le clocher de Chartres à 17 kilomètres sur la
plaine. De temps en temps, il disparaît derrière une ondulation, une ligne de
bois. » Avant lui, il faut préciser le chemin de Péguy dans Chartres. Son
« Nous passerons ce soir par le pont et la voûte » (v. 220) donne une
indication précieuse : parmi les nombreux petits ponts chartrains (ils
sont quatorze en à peine plus d’un kilomètre), Péguy a passé par le pont
Saint-Hilaire (vert), les rues du faubourg, de la Porte Guillaume, du Bourg et
Saint-Éman, pour déboucher sur le parvis sud.
« Et ce fossé profond qui cerne le rempart »
(v. 221), creusé en 1357, devant les menaces anglaises, ne fut pas un
obstacle : le pont de bois qui le franchissait a été remplacé par un pont
de pierre en 1747. Après avoir « prié une heure de prière dans la
cathédrale le samedi soir »,
Péguy descendit à l’Auberge du grand cerf, au premier étage dans la chambre de
gauche (en regardant la façade) : « Dans cette vieille auberge où
pour quarante sous » (v. 227) on loge et on mange « dans la
salle en bas » (v. 268). Certes, le public de l’hôtel est bruyant (v. 267)
et plus encore « les rouliers venus pour le jour du marché », le
dimanche matin (v. 269) au moment de partir prier dans la cathédrale « une
heure […], avant la grand’messe »[73].
Ce « pauvre garçon » du vers 285 est un
camarade de Lakanal d’Alain-Fournier depuis 1905, né en 1888[74] dans le Gâtinais où son patronyme est fréquent (v.
293), ami de Jacques Rivière et André Lhote, René Bichet, 1er ex-æquo
à l’agrégation de lettres en 1910, écrivain prometteur, collaborateur de la N.R.F.,
traducteur du hongrois, mort le 20 décembre 1912 à la suite d’une piqûre[75] de morphine faite par jeu au sortir d’une fête des
Anciens Élèves de Normale. Les journaux titrèrent à l’annonce de sa mort :
« Mort d’un jeune professeur morphinomane », ce qui est
calomnieux. Il n’eut pas une conduite suicidaire mais imprudente vis-à-vis de
la drogue (v. 299).
On comprend à la lecture des
poèmes de Bichet qu’Alain-Fournier ait pu lui faire part, le 17 septembre 1911,
de la satisfaction de Péguy lisant « le petit B. ». Voici cette
lettre :
Je profite d’un jour de repos dans une petite maison
perdue au bord des bois, comme celle de Jean-le-Rouge, pour te dire enfin
l’opinion de ce paresseux de Péguy sur ton drame [Le Livre de l’Église, N.R.F.,
août 1911].
Il m’a dit : « Eh ! bien, ça va, ça va très
bien ! » De ce ton qui signifie : « C’est un des nôtres. Il n’y
a pas besoin d’en dire plus. L’effort qu’il fait est bon. Il tire bien sur
notre corde. »
« La seule chose qui me gêne, a-t-il dit, c’est
exactement comme chez Claudel, ce mélange et cette espèce de confusion entre le
profane et le sacré. »
Il y aurait là-dessus beaucoup à répondre et pour
Claudel et pour toi. Mais Péguy n’écoute guère.
D’ailleurs il a vite laissé cela pour me montrer
comment certaines montées lyriques chez toi étaient au moins aussi belles que
celles de Claudel.
Puis il a dit qu’il fallait beaucoup attendre de toi.[76]
Il y a beaucoup à répondre pour Péguy aussi : ne
s’est-il pas fait une spécialité de mélanger profane et sacré, y compris dans
notre « Présentation » ? Joignons donc au dossier, pour répondre à la
triple accusation lancée contre Bichet (par Charles Péguy, par des gens qui ne
le connaissaient pas puis par Marcel Péguy qui le prend pour « un jeune
imbécile, mort d’un abus de stupéfiants »), deux poèmes comme autant de
pièces justificatives :
« Il pleut. Le soir s’en
va » Il pleut. Le soir s’en va dans le
penchant des plaines. Il pleut. L’ondée est lourde aux
vieux manteaux de laine Abrités sous les haies, dans la
chute des faînes – Les bœufs qui labouraient dans les
pentes jaunies Sont rentrés. Les chevaux se
gonflent sous la pluie Tandis que l’Homme, en attendant
une éclaircie, Tourné le dos au vent pour allumer
sa pipe, Écrase, dans la boue vague où elles
crépitent, Des flaques d’eau comme une motte
qui s’effrite. C’est le soir des retours muets
dans les charrettes, Des mains lassées qui vont, lorsque
l’âne s’arrête, Cogner contre le bois comme un
fardeau qu’on jette. Il pleut. Tous les sentiers vont
aux champs. C’est le soir Des crucifix surgis au bord des
chemins noirs Et allongés parmi les remous de
l’ornière ; L’angoisse de la pluie traîne au
fond du soir mou, Dans les abois des chiens qui
s’accrochent à vous, Un long miserere venu on ne
sait d’où. |
Quand la nuit sortira des joncs enquenouillés Je ne vous dirai rien, de peur que ma voix chaude Ne s’effraie elle-même à s’entendre parler. Maintenant que l’écho dormira dans les herbes, Un seul nuage rose éclairera les champs, Les arbres trembleront comme les tuiles peintes ; On entendra les pas merveilleux des amants Dans l’ombre des pommiers et l’odeur des jacinthes. Je ne vous dirai rien – mon geste fatigué Vous montrera le ciel posé sur les champs lisses, Et le rayonnement des fleurs de cerisier Tiédir comme le soir dans un dortoir d’hospice. Et votre âme sans voix, sans rire et sans chanson Au souvenir du jour vibrera en silence, Comme un arbre d’où s’est envolé un pinson Vibre de tous ses fruits et de toutes ses branches. |
Par la suite, les 25-28 juillet 1913, Péguy,
accompagné le premier jour de son fils Marcel, fit un deuxième pèlerinage à
Chartres en accomplissement d’un vœu pour la guérison de son fils Pierre
atteint de diphtérie (20 août 1912) ; le 14 avril 1914, accompagné de la
mère, de la sœur et de la nièce de Maritain, il fit un troisième et dernier
pèlerinage à Chartres, en train. Restait ce poème majeur, que nous espérons
n’avoir pas vidé de sa substance spirituelle. C’est au contraire seulement
après avoir éclairé ces points de vie que se peuvent envisager l’étude
théologique et esthétique du poème. Péguy ne l’a-t-il pas voulu, lui qui
s’accordait dans son Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle avec
la pensée de Pascal voulant que « qui veut faire l’ange fait la
bête » :
Il faut se garder surtout, il faut se
garder comme du feu d’entendre un texte, un grand texte, de le lire dans des
sens de littérature, dans des sens littéraires, d’élégance littéraire, dans des
sens de tropes et de métaphores […]. Il faut donc prendre un texte, il faut
donc lire un texte dans toute sa pureté, dans toute sa littéralité. […] l’homme
et le christianisme, l’homme et le chrétien font une sorte de renforcement, de
recoupement extrêmement singulier ; un point de recoupement où il faut se
tenir, d’où il ne faut glisser ni vers en haut ni vers en bas, ni vers le haut
(et ainsi vers en bas, vers le bas), ni (directement) vers le bas. Vous
entendez, il faut prendre ce texte, il faut prendre ces mots ange, bête
dans leur plus grande, dans leur plus pure littéralité. Ange ne signifie
pas ici, il ne signifie pas du tout, il ne signifie aucunement homme très pur,
ou homme très haut, homme très sage, homme très bon : ce seraient
généralement des niaiseries, des fadaises. […] Parce que c’est un bon texte, un
grand texte, un texte enfin, digne de ce nom, un texte propre, du langage
propre, parce que c’est écrit en bon français, en français littéral, en
français propre, en français enfin.[77]
Une lecture figurée, une lecture désincarnée de la
« Présentation », si faire se peut, ne serait pas éthérée mais, bel
et bien, brûlée au soleil de Dieu, « abîmée » peut-être et tournée
vers les Cieux mais perdue pour nous autres pécheurs.
La méditation (tefilla) de
Charles Péguy
Katarzyna Kern R. Pereira
Varsovie
Le
symbole, c’est ce qu’on peut – de la plénitude infinie de l’Esprit, dans
laquelle participe chaque connaissance humaine – saisir et exprimer. Et cela
d’une telle manière que cette plénitude, qu’aucune connaissance ne peut jamais
épuiser, en lui transparaît mystérieusement (Edith
Stein)
Charles Péguy se révèle comme un homme qui vivait en
profondeur le dialogue et l’interaction entre les mondes juif et chrétien.
Étant doté, comme il l’était, d’une sensibilité morale extrême, il pressentait
aussi le prix de ce dialogue : dans sa vie, il en éprouvait déjà certains
aspects[78]. Ayant retrouvé la foi
chrétienne de son enfance, il rentre dans l’Église enrichi de son
expérience : la traversée du désert[79]. Ce passage douloureux le rapproche,
en tant qu’homme quotidiennement affamé de Dieu et d’espérance, de tous ceux
qui éprouvent une « inquiétude » constante, un « manque
chronique » de Dieu :
Pour le plus commun des juifs Moïse
a rapporté les tables de la loi. Et pour le chrétien de l’espèce la plus
ordinaire Jésus est mort. Il n’y a que deux sortes de juifs : ceux qui
sont dévorés de l’inquiétude judaïque et qui jouent tant de pauvres comédies
pour le nier ; (et pour se le nier à eux-mêmes) ; ceux qui sont dévorés de
l’inquiétude judaïque et qui ne songent pas même à le nier. Et il n’y a que
deux sortes de chrétiens : ceux qui sont dévorés de l’inquiétude
chrétienne et qui jouent tant de pauvres comédies pour le nier ; (et pour se le
nier) ; ceux qui sont dévorés de l’inquiétude chrétienne et qui ne songent pas
même à le nier : Ni l’une ni l’autre de ces deux fois, ni la foi judaïque
ni la foi chrétienne ne sont des sortes d’apparaux réservés aux êtres
extraordinaires. Elles sont en un sens, et Pascal l’avait fort bien dit, tout
ce qu’il y a de plus commun. Le même débat éternel et le même débat capital se
joue dans la vie de tous les jours, dans l’homme de tous les jours. Moïse est
tous les jours pour le juif. Jésus est tous les jours pour le chrétien[80].
Nous ignorons à quel point Péguy était
conscient de vivre et de prôner une relation dialogique entre les deux Testaments,
l’Ancien et le Nouveau, mais il semble bien qu’il savait de quoi
il parlait :
Le mystère du premier et le mystère
du deuxième Testament, le mystère de Dieu le Père et le mystère de Dieu le Fils
jouent l’un sur l’autre et directement comme les deux pièces essentielles de
notre mécanisme spirituel central[81].
Rien que par sa terminologie
(les « premier » et « deuxième » Testaments),
l’auteur se révèle comme un annonciateur du dialogue, mais il s’avère beaucoup
plus que cela : en mystique, il pressent la dimension profondément
trinitaire de celui-ci. Les deux Testaments, en tant que deux pièces
d’une même unité, deviennent eux-mêmes de véritables « symboles » (symbolus
en latin ou sumbolon en grec signifiant à l’origine « morceau
d’un objet partagé entre deux personnes pour servir entre elles de signe de
reconnaissance »[82]).
Il paraît nécessaire de
préciser ici le terme de symbole, dont l’usage est devenu ambigu. Tout au long
de notre analyse, il sera pour nous le porteur d’une signification
« méta-physique » (au sens propre)[83] et sacramentaire. Il s’agit
donc d’un signe visible (étant lui-même une réalité palpable, un événement)
qui rend réellement présente une réalité, d’un événement
voilé, invisible. Dans cette compréhension du terme de symbole, il n’y a
que deux pièces, soudées entre elles, d’une unique et même réalité. Nous nous
situons ainsi dans la ligne des traditions (sur ce point convergentes) judaïque
et chrétienne. Dans les deux cas, le symbole diffère essentiellement de
l’allégorie. Celle-ci n’est qu’une représentation de quelque chose d’exprimable
par une autre chose, elle aussi exprimable, avec un nombre infini de signifiés[84]. L’auteur du Porche du
mystère de la deuxième vertu se révèle, dans son écriture, non seulement
comme l’homme du dialogue entre deux Alliances, l’Ancienne et la Nouvelle, mais
encore comme leur héritier. Cela transparaît sans cesse dans son œuvre. Il
semble se mouvoir, à travers ces deux réalités selon un certain « code
intuitif ».
Il y a un vieil adage juif à
propos de l’Écriture Sainte : « Tournez-la et retournez-la encore et
vous verrez qu’il y a tout en elle »[85]. Tourner et retourner
la Parole de Dieu, c’est la ruminer. On rencontre ce verbe dans le
langage biblique où il signifie l’action de méditer. La Vierge Marie,
par exemple, « ruminait » les événements et les paroles
de sa vie, sa propre « histoire biblique » :
Quant à Marie, elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur (...)[86].
Et encore :
Et sa mère gardait fidèlement toutes ces choses en son
cœur[87].
Péguy aussi ne fait que
ruminer la Parole de Dieu et sa propre expérience, en rendant vivants et
nutritifs leurs éléments, ne fût-ce que les plus petits et apparemment
insignifiants. Dans tous les Mystères de Péguy
on assiste aux rentrées de Madame Gervaise. Dans le judaïsme, la prière
biblique, la méditation (tefilla) signifie « jugement »,
« débat ». Prier, c’est donc rentrer en soi-même, « se
juger », « faire le point »[88]. Nous en avons un exemple
dans la parabole du Fils prodigue, tellement signifiante dans le cas de
Péguy :
Rentrant alors en lui-même, il [le Fils
prodigue] se dit : ‘Combien de mercenaires de mon père ont du pain en
surabondance, et moi je suis ici à périr de faim ! Je veux partir, aller
vers mon père (...)’. Il partit donc et s’en alla vers son père[89].
Par ses méditations, Péguy
nous laisse entrer à l’intérieur d’un « jugement » personnel et
vital. Le terme de rentrée fait en même temps étrangement écho à
l’interprétation mystique juive de l’acte de la création, selon laquelle Dieu éternel
et omniprésent, pour « céder la place » à la matière créée et au
temps (créé lui aussi), s’est retiré (« si l’on peut dire »,
comme disent prudemment les juifs pieux dans ce genre de considérations) chez
Lui. Nous sommes ici devant un paradoxe sur lequel Le Porche du mystère
de la deuxième vertu peut projeter une lumière intéressante.
Dans les toutes premières
pages du livre, le Dieu de Péguy nous laisse entendre son propre étonnement
devant la vertu théologale de l’espérance. En revanche, Il ne s’étonne pas des
deux autres, la foi et la charité, les considérant d’une certaine façon comme
« allant de soi ». Remarquons : d’abord la foi qui semble liée à
la transparence de la beauté de la création, à son éclatement lumineux,
donc – à la sortie de soi de Dieu :
La foi ça ne m’étonne pas.
Ça n’est pas étonnant.
J’éclate tellement dans ma
création.
Dans le soleil et dans la lune et
dans les étoiles.
Dans toutes mes créatures[90].
La charité est aussi liée à
une « expiration divine », à son acte de Se donner Soi-même,
à sa sortie hors de Soi, à son abandon total :
La charité, dit Dieu, ça ne
m’étonne pas.
Ça n’est pas étonnant.
Ces pauvres créatures sont si
malheureuses qu’à moins d’avoir un cœur de pierre, comment n’auraient-elles
point charité les unes des autres.
Comment n’auraient-ils point
charité de leurs frères.
Comment ne se retireraient-ils
point le pain de la bouche, le pain de chaque jour, pour le donner à de
malheureux enfants qui passent.
Et mon fils a eu d’eux une telle
charité.
Mon fils leur frère.
Une si grande charité[91].
Or, seule la vertu de
l’espérance provient d’un retrait de Dieu, de sa propre attente à
l’égard de l’homme, de son apparente absence derrière une porte à laquelle il
faut frapper, de sa rentrée chez Lui et sa « disparition »
derrière le voile[92] :
Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce
qui m’étonne.
Moi-même.
Ça c’est étonnant.
Que ces pauvres enfants voient
comme tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux.
Qu’ils voient comme ça se passe
aujourd’hui et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin.
Ça c’est étonnant et c’est bien la
plus grande merveille de notre grâce[93].
Dans la vertu de la foi
comme dans celle de la charité, l’intervention de Dieu dans le monde créé est directe.
Seule l’espérance passe par l’intermédiaire de la grâce, qui n’est
qu’« une flamme tremblante »[94]. L’action de Dieu Lui-même
est indirecte, elle est une inaction apparente. C’est Dieu le premier
qui espère, donc attend, retiré :
C’est Dieu qui nous a fait crédit,
qui nous a fait confiance.
Qui nous fait créance, qui a eu foi
en nous.
Cette confiance sera-t-elle mal
placée, sera-t-il dit que cette confiance aura été mal placée[95].
Nous pouvons entrevoir ici
un mystère singulier. Nous l’avons évoqué en parlant de l’intuition juive quant
au fait d’un nécessaire « retrait » ou d’un « exil » du
Créateur, au fur et à mesure que les choses et le temps se déployaient. En
fait, pour que l’homme puisse occuper et l’espace et le temps (et donc vivre),
Dieu doit l’attendre, lui « faisant confiance ». Ainsi
le terme de rentrée, utilisé par l’auteur pour introduire le
porte-parole de « Dieu espérant » et de la théorie péguyste de
l’espérance, n’est guère accidentel. Il relie symboliquement la prière de l’homme
(qui seulement dans une attitude de rentrée en soi, peut scruter son for
intérieur et ses raisons d’espérance[96]) et la
« situation » de son Dieu qui, retiré, rentré chez Lui, attend,
espère l’homme.
Nous avons déjà évoqué
l’intuition et la sensibilité bibliques de Péguy, qui lui ont permis une
lecture à la fois « spirituelle » et « charnelle » de la
Parole de Dieu. Celle-ci étant pour lui (en tant que chrétien) la Parole faite
Homme, ne peut être approfondie véritablement qu’à la lumière du mystère
central de la foi chrétienne, celui de l’Incarnation, de la Vie et de la
Passion du Christ. C’est cette vérité vécue en profondeur et en toutes ses
conséquences qui l’amène à Jésus, Juif de Nazareth, aussi bien le Fils du Père
que le fils de son peuple. L’Incarnation de Dieu éternel dans l’histoire
temporelle des hommes lui paraît tellement importante qu’il crée un néologisme
à son sujet. En effet, il l’appelle l’« encharnement » ou
l’« encharnellement » et la lie étroitement à la kénose[97] du Christ :
Ses trente ans de travail et ses
trois ans de prédication et ses trois jours de passion et de mort, [...]
Sa mise en chair et en charnel, sa
mise en homme et sa mise en croix et sa mise au tombeau,
Son
encharnellement et son supplice[98].
Chacune des trois « Similitudes » choisies
par Péguy afin de mieux illustrer sa conception de l’œuvre du salut et du
rachat, exprime symboliquement la Pâque (ou les Pâques[99]) en tant que « passage
en suspens » de l’esclavage du péché à l’intimité avec Dieu-Amour. Elles
sont chaque fois une mise en œuvre de la « patience » de Dieu qui
attend (rentré, mais « guettant de loin ») ou qui
cherche jusqu’à trouver, sans jamais se lasser. Le comble de son attente
s’exprime dans le Saint-Sacrement, dans lequel Dieu-fait-Homme devient chose
et nourriture :
Ces siècles et ces siècles où il
est une hostie chez les hommes[100].
Les trois paraboles semblent porter aussi
l’espérance pour les deux faces du Peuple de Dieu que sont les juifs et les
chrétiens. C’est la même « descente » du même Dieu, dans l’unique et
même point de l’histoire qui a valu à tous le salut.
Un arrêt du temps chez Bérulle et Péguy
Pauline Bernon-Bruley
Fondation Thiers
Péguy n’avait certainement
pas connaissance des œuvres du cardinal Pierre de Bérulle. Il aurait pu croiser
son souvenir au cours de l’un de ses entretiens avec l’abbé Bremond, qui publia
en 1923 le tome consacré à l’École française de spiritualité de son Histoire littéraire du sentiment religieux[101]. Bremond avait entrepris
bien plus tôt un travail sur Bérulle qui avait les allures d’un pari :
Moi-même, plus d’une fois, quand je commençais, il y a vingt ans, ce chapitre, je me suis demandé si, d’aventure, je n’allais pas entreprendre l’apothéose d’un médiocre, ou, chose plus grave, la réhabilitation d’un suspect.[102]
Introducteur du Carmel et fondateur de l’Oratoire de France, maître de contemplation et de spiritualité sacerdotale, Bérulle a aussi eu une action politique sous le règne de Louis XIII, action sans cesse dictée par les impératifs religieux, avant que sa disgrâce ne fût obtenue par Richelieu. Il rappelait ainsi au roi sa première soumission à une souveraineté d’abord temporellement inscrite dans l’humilité de Nazareth.
Bérulle a consacré une part
importante de son œuvre aux mystères de la vie du Christ, comme accès à
l’adoration en vérité. Après la densité théologique des Discours de l’État et des Grandeurs de Jésus, La Vie de Jésus est d’abord destinée à des carmélites. Le style en
est plus simple et concret, mais l’exigence spirituelle n’en est pas moindre.
Ce texte inachevé livre à la lecture une méditation sur l’extrême commencement
seulement de la vie du Christ, comme si l’écriture avait été suspendue dans
l’instant de l’Incarnation. [103]
Sur cette aspiration à dire
un temps enfin perçu comme une durée féconde, Bérulle et Péguy se rejoignent,
tels deux apôtres du Verbe incarné.[104] Des textes centrés sur
l’instant de l’Annonciation et de l’Incarnation peuvent aider à comparer leur
écriture. Les deux groupes d’extraits choisis proviennent de La Vie de Jésus et de la Note conjointe sur Descartes et la
philosophie cartésienne[105]. Sous la plume de Péguy,
cette méditation sur la grâce de l’instant prend place dans son plaidoyer pour
la pensée de Bergson. Telle est alors la question : comment le texte peut-il arrêter le temps ?
Dans ces deux ensembles de
textes, choisissons de voir comment est discerné le point d’inscription de
l’éternel dans le temporel, comment il est rendu sensible à l’intelligence et
au cœur, enfin comment il engendre une durée qui lui est propre en transformant
l’écriture et la lecture.
« Le secret, le silence et la
solitude »
Chez les deux auteurs, le recueillement devant l’événement de l’Annonciation suscite une attitude comparable, la quête et la production du silence. Tous deux voient cette histoire s’accomplir dans un « secret mystique, de confidence spirituelle », selon Péguy, « dans le secret, le silence et la solitude de la Trinité Sainte », selon Bérulle.[106] Ce silence est autant un signe d’humilité, une mise en question du discours, qu’une marque d’adoration.
La faiblesse du discours[107], ou la solution de l’apophase sont ici adaptées au profit d’un discours adressé à Dieu, parce que l’Incarnation a eu lieu et que par le Christ, le Verbe a parlé une langue humaine. Le secret relève donc du mystère et non de l’interdit, invitant à une éternelle pénétration de sa beauté, « l’éternité même se trouvera trop courte pour en déployer les merveilles ».[108] Le passage du secret au savoir universel se marque aussi dans le texte de Péguy : « Cette salutation qui devait emplir le monde fut apportée au monde réduite en un point de confidence et en un point de secret ».[109] Le silence dans les deux textes est donc d’abord un silence de l’humilité de l’Incarnation, dont la merveille (pour reprendre le terme de Péguy[110]) s’accomplit de façon cachée.
La voie négative ne conduit pas au mutisme :
Parlons un langage plus clair et plus élevé. Parlons plus par la négative que par affirmative, car les choses si divines tiennent de la nature de Dieu, lequel est annoncé plus hautement par la théologie qu’on appelle négative que par celle qui est positive et affirmative.[111]
De fait, l’intelligence et le cœur sont transportés en dehors de leurs repères habituels. Les silences de ravissement font partie du discours de Bérulle, aussi éloquents que ses mots, et ménagent dans le texte des percées : y advient « ce qui dépasse et agrandit le texte ».[112]
C’est une œuvre qui contient l’auteur de nature et de grâce, mais caché encore à la grâce et à la nature, et caché dans le sein du Père éternel, dans le sein de Marie.[…] Tant chose si cachée sera si publique ! Tant chose si petite paraîtra un jour si grande.
Cette pensée nous a ravi à nous-même et à notre discours.[113]
Mais il n’est pas pour autant question de se taire : comme le souligne ce dernier, Dieu s’incarnant « daigne éclairer nos ténèbres et nous faire penser à lui et lui parler dignement ».[114] Plutôt que de parler de Dieu, Bérulle souligne qu’il s’agit de « lui parler dignement ». Ainsi, on entrera dans la célébration infinie du mystère : « ce grand œuvre qui se fait en un instant, ne peut pas être expliqué et déclaré en un instant, et l’éternité même se trouvera trop courte pour en déployer les merveilles ».[115] Le discours du paradoxe (« tant chose si petite paraîtra un jour si grande »), des antithèses et de la révélation de ce qui était caché (« vere Deus absconditus », « vraiment tu es un Dieu caché »[116]), participe de la célébration d’un Dieu qui dépasse tout ce que l’homme pouvait attendre, ses propres moyens de parler et de penser. L’auteur inclut cette perte de connaissance dans son texte, la mime ainsi à l’intention du lecteur, que l’effet sublime doit ravir à son tour.
Cet effet de « saisissement » est aussi présent chez Péguy, devant le nouveau qui dément le vieillissement du monde.[117] Dans la même perspective, Péguy a choisi la solution de la répétition et des figures déployées à l’infini. Il exprime sa louange de façon latérale mais son écriture échappe au simple commentaire. D’où l’originalité d’un discours à la fois tenu sur Dieu et baignant dans ce qu’il a appelé en parlant d’Ève, un « climat » de Dieu.[118]
Lui aussi, puisant plutôt dans sa lecture de Pascal, est familier des antithèses qui révèlent à la fois les contrariétés du réel et la contradiction chrétienne. Dans La Vie de Jésus, comme dans la Note Conjointe, la venue du Christ est présentée de façon classique comme un événement caché, dont le monde et ses historiens ne virent pas l’importance.
JÉSUS CHRIST dans une obscurité (selon ce que le monde appelle obscurité) telle, que les historiens n’écrivant que les choses importantes des États, l’ont à peine aperçu.[119]
Une nouvelle mesure du
temps : le sablier de Bérulle et de Péguy
Dans le milieu spirituel
parisien, Bérulle « tout nourri de Denys l’Aréopagite et des mystiques du
Nord, vise l’union à Dieu sans images et sans idées et à dépasser l’humanité du
Christ pour trouver Dieu seul ».[120] Mais l’attachement de
Bérulle aux mystères de la vie du Christ vient largement de sa familiarité avec
les carmélites d’Espagne qu’il a introduites en France avec sa cousine madame
Acarie. Avec La Vie de Jésus, il
convertit son regard : « puisque Dieu cherche la terre, aime la
terre, je veux me convertir maintenant, non au ciel, mais à la terre, et y
chercher Jésus Christ ».[121] Voici la révolution
copernicienne de Bérulle, désormais, le monde tourne autour du soleil descendu
sur la terre. Le Ciel et la terre se trouvent en contact à Nazareth :
Ici vous joignez la terre au ciel, […]
ce n’est donc plus le ciel qui éclaire la terre, c’est la terre qui éclaire le
ciel, car c’est ce grand soleil qui luit dans l’éternité, et il luit maintenant
dans cette humanité.[122]
Cette jointure entre les deux, l’échange des verbes (« éclairer » et « luire ») et des sonorités présentent l’Incarnation comme un échange symétrique qui s’accomplit autour d’un point d’articulation. L’adverbe « ici », grâce à sa valeur de déictique, désigne à la fois le lieu et le moment propres à l’entrée du Christ en ce monde, toujours saturés de cette vertu. Cet « ici » est mis audacieusement en équilibre avec un « là » :
Ici, vous joignez la terre au ciel, Dieu à l’homme,
l’être créé à l’être incréé ; et là ils sont infiniment distants.[123]
À la fois intimement joints et distants, Dieu et l’homme connaissent une relation authentique qui ne pourrait exister si elle abolissait la distance ou l’identité. La présence de Dieu incarné fait advenir un nouveau monde, « plus grand » et qui « a ses éléments et ses principes, son état et ses mouvements, tout différent du monde que vous avez créé auparavant ».[124] D’ores et déjà il faut souligner le présent de l’indicatif, ici temps à valeur à la fois actuelle et intemporelle. C’est vraiment un temps de la contemplation, et de fait Bérulle y parle directement à Dieu.
Commentant l’événement, Péguy parle également d’un point de jointure de deux mondes, « c’est toute la fin d’un monde et le commencement de l’autre ».[125] Il met en valeur ce point en soulignant plutôt l’aspect temporel du changement : « C’est une heure culminante. C’est un moment unique et comme un point de moment, un moment ponctuel ».[126] La pointe de ce moment fait comme le centre resserré d’un sablier. « C’est le dernier point du passé et c’est ensemble et dans un même présent le premier point d’un immense futur »[127] La reprise et la dérivation du même terme rappelle l’effort de fixation de Bérulle sur la symétrie acquise entre Ciel et terre, mais chez Péguy, la réciprocité concerne le monde antérieur qui n’est pas rejeté mais habité par Dieu, et le monde réel, pour montrer la valeur d’engagement de l’Incarnation. Bérulle parle d’une création nouvelle, Péguy de même, mais il insiste sur le « germe » qui était déjà « dans le fruit ».[128] Dans la problématique de l’accomplissement des prophéties, le texte de Péguy fait de l’Annonciation une réalisation qui rend enfin sa plénitude au présent. Par ce point de « génération spirituelle » passe la « tenue de la promesse »[129]. L’image du sablier correspond au passage de tout Israël, compris dans la personne du Fils, d’un monde à l’autre.
Ainsi deux mondes immenses ne pouvaient communiquer
que par leurs cimes, renversées de l’une sur l’autre.
Et c’est le théorème des angles opposés par le sommet.[130]
Cette perception du temps, si elle n’est pas la même chez les deux auteurs, fait cependant place à la question centrale de son mystère : la portée éternelle de l’instant crucial. Bérulle insiste sur la valeur encore actuelle des mystères, en élaborant une réflexion sur la portée sacramentelle des actes et de l’Incarnation (même si le terme de sacrement n’entre pas ici en jeu). La réflexion de Péguy sur le caractère « indélébile » des sacrements est surtout développée dans le Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle, où le christianisme est défini comme une religion qui ne fuit pas la temporalité.[131] Dans cette mesure, Péguy accorde son intérêt à la force libérante de l’éternel qui surgit dans le temporel et rend toute sa fécondité au présent. Ainsi, tout en insistant sur la continuité des deux mondes, Péguy montre la fécondité de cet instant.
En matière d’événement et en matière de promesse, il
ne suffit pas que le jour succède au jour et l’effet à la cause et l’événement
à l’annonce et la tenue à la promesse. Il faut encore qu’il en procède et qu’il
en naisse.[132]
Un saut qualitatif s’opère d’un monde à l’autre, dans cet instant unique. Cette définition de l’événement est en cohérence avec la pensée de la grâce, de la liberté et du génie que déploie Péguy. Ainsi le présent a-t-il un rôle qui n’est pas seulement de « spectateur » et de « témoin », il « fait passer », ce qui est neuf vieillit par lui, mais ne pouvait entrer dans le monde que par lui.[133] L’éternité dans le texte de Péguy est exprimée par l’ouverture d’un monde en train de renaître,
[…] par quelle faveur, par quelle grâce ; il suffit que l’effet et le mouvement de ce roulement perpétuel soit suspendu pour un temps, ne fût-ce qu’un instant, pour qu’aussitôt, pour qu’instantanément par la fenêtre de ce temps, par le hiatus de cet instant ce soit le génie même ; qui apparaisse ; l’homme et l’œuvre du génie qui jaillisse intercalaire. Par ce jour ouvert sur on ne sait quel arrêt du temps.[134]
Paradoxalement donc, quand Péguy parle d’« arrêt du temps », c’est pour indiquer un passage de nouveauté, à contre-courant de l’écoulement mortifère de l’histoire. Le « perpétuel » n’est qu’un reflet fallacieux et cauchemardesque de l’éternel. Cette suspension du temps ( temps opposé à la durée, au présent) est le lieu de la liberté. Il est donc primordial que Péguy comme Bérulle citent le « fiat » tant de Dieu créateur, que de Marie face à l’ange, enfin de Jésus à Gethsémani, pour l’avènement d’un monde racheté.[135] Cette acceptation du Christ et de Marie permet la transformation du monde. Bérulle comme Péguy voient ensuite l’éternelle efficacité des actes du Christ, dont la vie est une offrande permanente. Pour Bérulle, elle l’est parce que le Christ est le Fils éternel, dont l’imitation permanente fait de la vie chrétienne une offrande.[136] Péguy insiste sur l’historicité des actes du Fils, portant ainsi au cœur du temps le coup de l’éternité. Pour tous deux, « la grâce […] n’a point été soustraite, ne s’est point soustraite aux conditions générales de l’homme et du monde ».[137] Cependant, pour Péguy c’est le début qui a été le plus beau, puisqu’il y a comme une Chute supplémentaire ou aggravée avec l’ère de la « limitation », de l’habitude moderne.[138]
L’« arrêt du
temps » fait entrer dans la durée créatrice. Pour Bérulle, contempler Dieu
suppose d’entrer dans l’offrande perpétuelle du Christ, d’adorer ses états comme
en train d’être vécus par lui. D’où deux écritures qui tentent d’échapper au
statisme pour rendre un présent en mouvement. Leurs stratégies sont
comparables.
[…] dans une véritable hypotypose de l’invisible. Le texte s’immobilise, parce que le regard intérieur se pose et l’esprit se repose en Dieu : le mouvement du texte suit le mouvement de l’âme et décalque la contemplation intérieure.[139]
Le principe de croissance des textes réside dans le rayonnement autour du centre qu’est le « point » d’Incarnation. La vision est inlassablement introduite par des présentatifs. Mais ce type de « composition de lieu » n’a rien de précis, n’est guère un tableau. C’est une hypotypose sans effet d’illusion baroque, elle s’impose par sa façon humble de présenter la merveille comme une évidence. L’emploi du présent y est en même temps une réflexion sur sa valeur. Il s’agit même souvent de participes présents, combinant la valeur d’actualité avec l’aspect de déroulement du processus. Dans La Vie de Jésus, ces participes glosent en particulier l’expression « Christus ingrediens mundum » de l’Épître aux Hébreux, mentionnant alors le moment où le Sauveur par son Incarnation entamait la réalisation du Sacrifice parfait.[140] Dans ce sens, toute la vie de Jésus, perpétuelle oblation, a une constante valeur sacramentelle. Cette répétition « exorcise le successif » de la dispersion en nous faisant entrer dans l’unique préoccupation du Christ [141] :
[…] honorer le commencement de la vie intérieure et spirituelle de Jésus, voyant, adorant, aimant Dieu son Père, et s’offrant à lui pour sa croix, et pour toutes ses volontés sur lui.[142]
La lenteur et la fascination sont également causées par le frottement de l’indicible : tant Bérulle que Péguy ont recours à des procédés de comparaison, d’explicitation, à des approches par synonymies, à des modalisations. Il s’agit de dire le même sans prétendre l’enfermer dans un nom, ni arrêter le regard à aucune limite. On a ainsi un texte centré autour du même, occupé à une digression essentielle, qui rend le rythme du présent sensible au cœur. Aaron Kibedi-Varga propose d’ailleurs de situer ce type de texte comme souvent aux marges de la rhétorique, dans la mesure où les procédés rhétoriques sont sans cesse mis en concurrence avec leur propre excès, et centrés sur une vérité intérieure qui échappe aux données habituelles de l’argumentation.[143]
Péguy |
Bérulle |
Participes présents accordés |
Participes présents (extrait p. 210 de La Vie de Jésus) |
« entrante » |
Réitération de « entrer » (« entrée, entrant, entrer »), ingrediens |
Présentatifs : « c’est le premier point d’aube » |
Mêmes présentatifs : « C’est son entrée… » |
Quand il est impossible de formuler : comparaison en « comme », adverbe modalisateur « presque » ; sujet inépuisable et répété (avec de nombreuses coordinations) ; procédés de synonymie, « ce qui revient à dire que… » |
Quand il est impossible de formuler, explicitation et paraphrase en « c’est-à-dire » |
Binarité passé / futur pour dire l’entre-deux |
Présent de l’accomplissement du mystère à comprendre comme actuel : « mais en ce moment vous sortez de nouveau de vous-même » |
Le mystère comme élément de la foi
chez Péguy et les écrivains russes de la fin du XIXe
siècle
Université des sciences économiques et financières de
Saint-Pétersbourg
La fin du XIXe
siècle et le début du XXe furent pour l’Europe une époque de
changements et de fermentation sociale, de tentatives de résoudre les problèmes
sociaux par des méthodes révolutionnaires ou bien par des voies spirituelles.
Parmi les écrivains les plus sensibles au mal social on compte Charles Péguy.
Son abnégation et son maximalisme moral le rapprochent de certains écrivains
russes comme Dostoïevski et Garchine, Tchekhov et Korolenko.
On sent une vraie parenté d’esprit entre Dostoïevski et Péguy. Au début
de leur vie chacun d’eux cherchait la Cité harmonieuse sur le chemin d’un
socialisme utopique, mais, tout en gardant en leur âme l’idéal de la fraternité
humaine, ils avaient des convictions religieuses et morales profondes. Il est
significatif que ni l’un ni l’autre ne parlent explicitement de la morale. Péguy
parle le plus souvent de la mystique en l’opposant à la politique comme un
principe créatif et idéaliste opposé à un principe destructeur et intéressé.
Pour lui la mystique est toujours liée à la lutte pour la justice sociale dont
la réalisation est une manifestation de la justice suprême, il s’agit donc pour
lui de la lutte entre le bien et le mal. Pourquoi parle-t-il toujours de la
mystique et non de la morale ? On trouve la réponse chez Dostoïevski qui
appelait sa méthode réalisme fantastique, employant lui aussi ce mot dans un
sens peu habituel.
Dans un cahier de notes de
Dostoïevski de 1880-1881 on trouve quelques échos à la « Lettre à F. M.
Dostoïevski » de K. D. Kaveline publiée dans le Courrier de l’Europe,
n° 11 de 1880. En voici quelques extraits :
Vous prétendez que la morale demande d’agir conformément à ses propres convictions. Mais d’où tirez-vous cette conclusion ? Moi, je ne peux pas vous croire et je dois vous dire ouvertement qu’agir conformément à ses propres convictions ce n’est pas moral. Et vous ne pourrez sans doute pas dire le contraire. […] Si nous n’avons pas d’appui dans la foi et dans le Christ, nous sommes dans l’erreur. Il y a des idées morales. Elles naissent du sentiment religieux et ne peuvent jamais être justifiées uniquement par la logique. […] Ce n’est pas peut-être scientifique, mais pourquoi pas ? Le fait énorme de l’apparition de Jésus sur la terre et tout ce qui s’en est suivi demande à mon avis une étude scientifique. La science ne peut pourtant pas mépriser le rôle de la religion pour l’humanité, étant donné que c’est un fait historique étonnant par sa permanence et sa stabilité.
« La conscience sans
Dieu », continue Dostoïevski, « peut s’égarer jusqu’au plus immoral,
et conformément à ses convictions […], on peut faire sauter le Palais
d’Hiver » (il fait allusion à l’attentat de Khaltourine en 1880 qui a
causé la mort de quelques dizaines de soldats). Dostoïevski prouve que la
fidélité à ses convictions, ce n’est que de l’honnêteté et non de la morale. Il
dit que le seul critère est le Christ et que ce n’est donc pas une question de
philosophie, mais de foi.
Pour Péguy comme pour
Dostoïevski, c’est le Christ qui est la plus haute mesure de la morale et on ne
peut la déduire d’aucun système logique. Peut-être est-ce la raison pour
laquelle chez Péguy le mot mystère est étroitement lié à la figure du Christ et
devient un des mots-clés dans son oeuvre. Le poète, suivant son habitude,
continue de jouer de tous les nuances de chaque mot, mais dans le cas du mot
« mystère », il l’utilise le plus souvent dans son sens
religieux : vérité de foi inaccessible à la raison.
Ainsi dans Le Mystère de
la charité de Jeanne d’Arc, Jeannette appelle le Christ, tout ensemble
prêtre et victime, premier sacrifice et premier sacrifié, première hostie –
mystère effrayant, et elle dit que la race juive dans laquelle Dieu a choisi
Jésus est la race qui a reçu la plus grande grâce, grâce qui a été refusée à
tout le peuple chrétien, mystère de grâce.
Une telle interprétation du
mot lie étroitement Péguy à Dostoïevski, qui à son tour devient l’intermédiaire
entre lui et Pouchkine. Ainsi dans L’Idiot, Aglaia modifie la ballade de
Pouchkine Le chevalier pauvre pour caractériser le prince Mychkine.
Cette ballade décrit un chevalier qui a eu, vision inaccessible à la raison, la
vision de Notre Dame, à qui il a dévoué sa vie. Une lignée se forme : Don
Quichote – prince Mychkine – Jésus (lui aussi, mystère inaccessible à la
raison). Un chercheur russe Karin Stépanian dit avec raison que, dans les textes
de Dostoïevski, le nom de Pouchkine voisine souvent avec Jésus-Christ.
L’écrivain appelle Pouchkine « l’idéal de l’homme russe », mais il
appelle le Christ « l’idéal éternel […] vers lequel l’homme doit vouloir
se précipiter. » Il dit que la vie est une œuvre d’art du Créateur comme
une poésie de Pouchkine, qu’il appelle le pain de nos âmes. Mais c’est le pain
de chaque jour et en même temps le pain de nos âmes que demande Jeannette à
« Notre père qui êtes aux cieux » dans le Mystère de Péguy.
Autre mystère étroitement
lié au Christ : le mystère des souffrances de l’enfer.
Se peut-il qu’il y ait tant
de souffrance perdue, demande Jeannette à Madame Gervaise. Et celle-ci
répond : « C’est un mystère, enfant,… le plus grand mystère de la
création. C’est un plus grand mystère que l’Incarnation même et que la
Rédemption, que le mystère de l’Incarnation et que le mystère de la
Rédemption. Car la Passion de Jésus, au moins on voit à quoi que ça sert. Et
toute l’Incarnation s’éclaire de toute la Rédemption. »
Jeannette veut racheter les
âmes des « damnés s’affolant de l’Absence » par la souffrance de sa
propre âme. Madame Gervaise lui parle alors du cri effroyable poussé par le
Christ avant sa mort et se demande pourquoi il l’aurait poussé justement à ce
moment-là, alors que
C’était le contraire. Il devait être content.
C’était fini.
C’était fait.
Tout était consommé.
Sa passion était finie ; son incarnation était censément
finie ; faite ; sa passion était consommée ; faite ; la
rédemption était consommée. Faite.
Il n’y avait plus que cette formalité (pour lui ) de la mort.
La rédemption était finie et couronnée ;
C’est à ce moment-là qu’il devait ; qu’il
Aurait dû être heureux.
C’est la même question que pose Dostoïevski dans une
des ébauches de L’Idiot : « En Suisse – nous lisions souvent
l’Évangile et, après le livre de Renan, j’ai interrogé le docteur à propos
de la croix :
- Le supplice de la croix dérange la raison, mais Lui, Il a vaincu
même la raison.
- C’est donc un miracle ?
- Bien sûr c’est un miracle. D’ailleurs il y eut un cri effroyable.
- Lequel ?
- Eloï ! Eloï !
- Mais c’est un moment de faiblesse.
- Je ne sais – mais c’est un cri effroyable.
Cette fois, c’est chez Péguy
qu’on trouve une réponse sur la nature de ce cri :
Comme il sentait monter à lui sa mort humaine,
Sans voir sa mère en pleur et douloureuse en bas,
Droite au pied de la croix, ni Jean, ni Madeleine,
Jésus mourant pleura sur la mort de Judas.
Mourant de sa mort, de notre mort humaine, seulement, il pleura sur
cette mort éternelle.
Lui le premier des saints sur le premier damné…
Lui l’inaugurateur de la salvation
Sur l’inaugurateur de la perdition.
Sur le premier objet de la réprobation
Éternelle.
Car il avait connu que le damné suprême
Jetait l’argent du sang qu’il s’était fait payer…
[…]
Étant le Fils de Dieu, Jésus connaissait tout,
Et le Sauveur savait que ce Judas, qu’il aime,
Il ne le sauvait pas, se donnant tout entier.
Et c’est alors qu’il sut la souffrance infinie,
C’est alors qu’il connut, c’est alors qu’il apprit,
C’est alors qu’il sentit l’infinie agonie,
Et cria comme un fou l’épouvantable angoisse,
Clameur dont chancela Marie encor debout,
Et par pitié du Père il eut sa mort humaine.
Notons que cette folie
suprême unit au Christ le héros de L’Idiot de Dostoïevski et celui du
récit de Garchine La fleur rouge.
Une autre face de la charité
on trouve dans le chapitre « La révolte » des Frères Karamazov
de Dostoïevski.
Ivan raconte à Aliocha
l’histoire d’un petit garçon, un fils de serf, sur lequel le maître a lancé ses
chiens, sous les yeux de sa mère. Pour Ivan, cette mère ne doit pas pardonner
la mort de son fils, car c’est une sauvagerie « euclidienne »
(c’est-à-dire une sauvagerie de la raison et de la logique humains). Mais Aliocha réplique qu’il y a dans le monde
un être qui pourrait et aurait le droit de pardonner tout en tout et pour tout,
parce qu’il a lui-même donné son sang innocent pour tous et pour tout.
Dans l’article sur
Dostoïevski et Charles Péguy d’Irina Bitiougova, on trouve un parallèle moins
connu. Il s’agit de la Passion apocryphe de la Vierge citée par Ivan Karamazov,
où la Vierge prie pour les damnés plongés dans un lac de feu et qui sont
oubliés de Dieu. Alors Dieu le Père lui montre les mains et les pieds cloués de
son Fils. Mais elle demande à tous les saints et tous les anges de prier avec
elle et obtient de Dieu que les souffrances cessent chaque année du Vendredi
Saint jusqu’au jour de la Trinité.
Le troisième mystère qui
attire l’attention des deux écrivains est le mystère de l’homme.
Péguy, méditant au nom du
Christ, écrit dans Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc :
Qu’était-ce donc que l’homme.
Cet homme
Qu’il était venu sauver.
Dont il avait revêtu la nature.
Il ne le savait pas.
Comme homme il ne le savait pas.
Car nul homme ne connaît l’homme.
Car une vie d’homme
Une vie humaine, comme homme, ne suffit pas à connaître l’homme.
Tant il est grand. Et tant il est petit.
Tant il est haut. Et tant il est bas.
Qu’est-ce que c’était donc que l’homme.
Cet homme.
Dont il avait revêtu la nature.
Son père le savait.
Et dans une lettre de jeune Dostoïevski à son frère
Michel on lit : « L’homme est un mystère. Il faut chercher à le
connaître, et si tu cherches toute ta vie, ne dis pas que tu as perdu ton
temps : je m’occupe de ce mystère, car je veux être un homme. »
Il y a un autre écrivain
russe de la fin du XIXe siècle, très proche de Péguy du point de vue
de ses positions morales : Vsévolod Garchine (1855-1888). Faute de temps
nous n’évoquerons qu’un seul de ses récits, La fleur rouge, dans lequel
il s’agit d’un fou placé dans une petite clinique psychiatrique. Dès le début
cette institution ressemble à l’enfer. On l’enregistre puis on l’emmène dans
une pièce où se trouvent les baignoires. Elle est sombre, ses murs et son plafond
sont peints en rouge foncé et dans le plancher on a encastré deux baignoires
qui ressemblent à deux fosses.
Qu’est-ce ? L’Inquisition ?
Le lieu de l’exécution où ses ennemis vont le tuer ? Peut-être même est-ce
l’Enfer ? – pense le pauvre homme.
Plus tard on comprend qu’il
est devenu fou à cause de sa sensibilité extraordinaire à tous les maux de ce
monde, sensibilité qui lui fait voir beaucoup plus que ce que voient les gens
ordinaires.
Il dit au docteur :
Pourquoi me regardez-vous si fixement ? Vous ne saurez
pas ce qu’il y a dans mon âme, tandis que je lis clairement dans la vôtre.
Pourquoi faites-vous du mal ? À quoi bon réunir et retenir ici une foule de
malheureux ? Pour moi ce n’est pas grave : je comprends tout et je suis
calme, mais eux ? À quoi servent toutes ces souffrances ?
Il explique qu’il a, lui, une idée qui le rend
inaccessible aux souffrances personnelles, c’est l’idée que l’espace et le
temps n’existent pas, qu’ils sont fictifs. C’est pourquoi il vit dans tous les
temps, partout et nulle part et peu lui importe qu’on le retienne dans cette
maison de souffrance ou qu’on le laisse partir : il est libre. Mais pour
la plupart des autres cette situation est horrible, et il demande leur liberté.
Quand le médecin lui dit qu’il est telle heure et tel jour, il répond qu’il vit
partout et dans tous les temps, ce qui nous rappelle le Christ crucifié de
Péguy qui était en même temps à l’un et à l’autre bout de l’éternité, à qui
tout le passé était présent, tout le présent était présent, tout l’avenir, tout
le futur était présent, qui sentait les souffrances des autres beaucoup plus
fortement que les siennes et voulait les libérer de leurs maux.
Un jour le malade se trouve
dans le jardin de la clinique et ce jardin plein de fleurs lui rappelle le
paradis. Il se promène dans le jardin, en parlant avec d’autres malades, mais
chacun d’entre eux n’entend que les réponses à ses propre pensées transmises
par des mots singuliers et mystérieux . Tout à coup il aperçoit une fleur rouge.
C’est un être étrange et mystérieux, – écrit Garchine – l’antipode de Dieu, un
Ahriman, qui a pris une apparence modeste. Le malade décide de l’arracher pour
tuer tout le mal du monde concentré en lui. Il surmonte toutes les difficultés
et arrache l’un après l’autre les trois pavots qui poussent dans le jardin,
mais le matin on le trouve mort dans son lit avec, sur le visage, l’expression
du bonheur.
Non moins intéressante est
la parenté entre Péguy et Tchekhov qui ne parle jamais directement ni de la foi
ni du Christ, mais dont plusieurs œuvres décrivent le mystère et les merveilles
de la charité divine. Un pressentiment du bonheur envahit le héros de la
nouvelle L’Étudiant, malgré l’obscurité et la tristesse de la vie
humaine. Il fait aux paysans le récit de la passion du Christ, de la trahison
et du repentir de Judas. Les paysans sont touchés, ils pleurent, ils disent à
l’étudiant que la vérité et la beauté ne disparaissent pas, que tous les
phénomènes de la vie sont liés entre eux et que le passé est lié au présent par
une chaîne ininterrompue d’événements qui découlent l’un de l’autre. Et la joie
remplit l’âme de l’homme qui comprend tout à coup cette vérité.
Dans la nouvelle intitulée Dans
un ravin, il décrit le meurtre d’un enfant victime d’un conflit à propos
d’un héritage. Le fait que ce soit décrit non pas comme quelque chose
d’horrible, mais comme un phénomène ordinaire augmente l’impression. Mais tout
à coup la pauvre mère qui revient de l’hôpital portant son fils mort dans ses
bras rencontre des villageois qui lui proposent de la conduire près de son
village et font tout pour la consoler, ce qui la touche tellement qu’elle leur
demande : « Vous êtes des saints ? – Non, nous sommes de
Firsanovo », répondent encore plus naïvement ces pauvres gens. Et le
lecteur réfléchit involontairement sur le mystère de la charité divine
inaccessible à la raison.
Ce mystère lie les cœurs et
les âmes des hommes et rapproche l’œuvre des écrivains les plus nobles de tous
les pays du monde.
dans la littérature du Siècle d’argent
Université d’État de
Saint-Pétersbourg
La
tendance actuelle de l’analyse littéraire consiste à faire des rapprochements
et à déceler des similitudes là où, auparavant, on ne voyait que des différences,
à révéler des corrélations et des enchaînements des phénomènes considérés, par
le passé, comme opposés et même hostiles. On aurait pu expliquer cette nouvelle
approche par une distanciation historique. En effet, certains faits auraient
paru autrefois divergents et inconciliables, puisqu’ils avaient été engagés
dans des luttes et des polémiques acharnées. Aussi, des chercheurs modernes
prétendent–ils pouvoir enfin révéler la concordance et la cohésion temporelles
des événements littéraires des époques passées.
Cependant,
cette explication s’avère trop simplifiée. Pour certains penseurs, les
ressemblances et les relations entre divers faits littéraires de la même
période historique étaient évidentes même à l’époque de leur apparition. Ainsi
dans une de ses lettres Maxime Gorki a écrit la phrase suivante :
« Si, dans une forêt, il y a deux arbres qui dépassent les autres, ils se
salueront de leurs cimes par la tempête et se verront par un temps serein, tout
en étant séparés par une grande distance, le jour aussi bien que la nuit »[145] .
Cette expression de Gorki résume, semble-t-il, les relations entre des
événements littéraires équivalents, quoique différents du point de vue de leur
visée et de leurs procédés esthétiques.
L’approche
littéraire suggérée dans la lettre de Maxime Gorki n’a été qu’esquissée au
siècle dernier : on privilégiait alors l’opposition et la différence des
faits. Actuellement, on étudie de plus en plus la cohérence des événements, des
formes esthétiques et des tendances de telle ou telle époque. L’œuvre du Centre
de recherches sur la littérature mondiale A. M. Gorki « La
littérature russe à la frontière des siècles », parue en 2001-2002, est basée sur cette conception de
l’histoire de l’art[146].
Les
considérations exposées ci-dessus nous ont permis de mettre en évidence le fait
que la comparaison de divers phénomènes de l’art mondial rend leur
compréhension plus riche et plus profonde. L’étude de l’arrière-plan culturel
et du climat spirituel intrinsèques de l’époque permet de mieux comprendre les
interactions entre plusieurs créateurs, originaires de la même période
littéraire. Cette conclusion générale s’avère fructueuse pour l’analyse des
recherches spirituelles et idéologiques dans la littérature de la fin du XIXe
et du début du XXe siècles.
Cette
époque est analysée par Georges Nivat dans son livre consacré à l’analyse
comparée du symbolisme russe et français. L’ouvrage critique, riche en
observations et en conclusions, propose un schéma perspectif de ce courant
artistique des années 1900-1910. Néanmoins, tout en appréciant cette étude et
en estimant plusieurs de ses concepts, nous ne pouvons pas ne pas nous étonner
que son auteur ait ignoré l’œuvre d’Alexandre Blok. L’oubli de la poésie de
Blok, ce sommet du symbolisme russe, appauvrit considérablement le tableau
synoptique de ce mouvement littéraire. De plus, cette négligence fausse une des
conclusions de l’étude. Ayant comparé le symbolisme russe et français, l’auteur
conclut à la supériorité du symbolisme français qui, selon l’auteur, a su non
seulement réintégrer l’Église catholique, mais a donné aussi un nouveau souffle
aux formes traditionnelles de la liturgie.
La
conclusion de Georges Nivat semble hâtive. En effet, le poète Alexandre Blok,
déjà au début de sa carrière poétique, considère la poésie comme une sorte de
prière. « Le poème est une prière. Tout d’abord, le poète, apôtre, le crée
dans une extase divine. Le vrai Dieu de l’artiste réside dans tout ce auquel il
adresse sa prière. », écrit-il dans son journal intime en 1902[147].
Ensuite, en 1908, Blok définit son œuvre comme une confession. « Il semble
indubitable que l’histoire sélectionne les plus grandes œuvres d’art parmi les
œuvres confessionnelles. Seule la confession de
l’écrivain, la création pour laquelle il s’est consumé, soit afin de renaître
pour de nouvelles oeuvres, soit pour mourir, peut devenir grande »,
continue-t-il[148].
Et enfin, quelques années plus tard, dans le prologue de son poème « Châtiment », il
définit son œuvre comme un office divin.
Mais éternelle est la chanson,
Il est toujours un homme qui chante,
Sur un plateau, présente son front
À Hérode la danseuse méchante.
Là-bas, on décapite le chantre ;
Ici, on blâme sa poésie,
Traitée d’ignoble, dégradante…
Mais il me faut chanter aussi,
Le jour du jugement se lève,
Et votre peine sera sévère.
Vous ne pouvez sceller mes lèvres.
Que la chapelle soit déserte,
Que dorme le prêtre, à l’aurore
Mouillé par la rosée, je glisse
Sous les voûtes pourpres et sonores
Pour célébrer mon propre office.[149]
« La
prière », « la confession », « l’office ». La présence
de termes appartenant au champ lexical de la liturgie dans l’œuvre du poète, ne
témoigne-t-elle pas que l’esprit religieux du symbolisme russe est aussi
profond et indiscutable que celui du symbolisme français ?
La
frontière des deux siècles est caractérisée par la découverte de la tragédie de
l’existence humaine dans un monde privé de Dieu. Dans le domaine de
l’esthétique, cette révélation se traduit par la recherche de nouvelles formes
capables d’exprimer l’état d’esprit de l’individu tourmenté par sa solitude
dans l’univers, par la futilité de son existence mortelle et par l’infini de sa
liberté.
La
vie sociale et spirituelle de la France à la limite des deux siècles voit
apparaître ce qu’on appelle la « renaissance chrétienne ». La
communion chrétienne et le retour à l’Église catholique représentent un havre
dans ce monde à la morale vacillante. Dans la poésie lyrique, « la
restauration poétique du catholicisme » fait surgir un nombre considérable
de « théodicées par la prière »[150].
C’est notamment la voie spirituelle de Charles Péguy, qui renonce à l’athéisme
au profit d’une foi profonde et sincère quoique non consacrée par l’Église
officielle.
De
même, la religion étant la principale préoccupation des recherches artistiques,
intellectuelles et philosophiques du Siècle d’argent en Russie, on appelle
cette époque de plus en plus souvent la Renaissance spirituelle et religieuse de
la culture nationale. L’idée de Dieu constituait l’axe interne, la question
clé, le cœur du symbolisme russe. Les recherches formalistes et stylistiques
des poètes symbolistes étaient éclairées par la lumière de la pensée
religieuse. D’après un des critiques littéraires de l’époque, c’est « la
soif de la religion qui a créé le nouveau mouvement littéraire nommé
symbolisme »[151].
Serge Boulgakov, un philosophe chrétien du Siècle d’argent, voyait dans l’art
symboliste contemporain « l’inquiétude romantique, la profondeur et le
mystère » ; ce théologien rapprochait la religion et la création
artistique, soulignait le rôle primordial de l’art dans la vie spirituelle de
l’humanité : « l’art inspiré par la prière est de force à devenir
cette étincelle qui allumera la flamme mondiale et fera resplendir sur la terre
le premier rayon de la lumière du Thabor »[152].
L’inquiétude
religieuse dépassait les limites de l’art et déterminait l’ambiance sociale,
spirituelle et intellectuelle de l’époque. En 1901-1903, les poètes symbolistes
Dimitri Merejkovski et Zinaïda Hippius avaient lancé des réunions religieuses
et philosophiques à Pétersbourg. Le thème principal de ces réunions auxquelles
participaient des philosophes, des théologiens, des écrivains, des poètes était
« le christianisme, son état actuel et futur (potentiel), son incarnation
dans le monde, l’histoire, l’humanité »[153].
Cependant,
cette aspiration à « la connaissance religieuse du monde »[154],
intrinsèque des créateurs du siècle d’argent, ne signifie point ni leur retour
à la orthodoxie, ni l’acceptation de l’Église « historique ». « La
nostalgie de la Divinité », « la soif de Dieu », parfois
« la litige avec Dieu », tout cela menait les poètes dans des dédales
insolites d’esprit et s’exprimait dans leur poésie lyrique. Le recours au
catholicisme et au bouddhisme, la résurgence des croyances païennes russes ou
encore l’adoration des dieux antiques, l’engouement pour l’anthroposophie et
pour l’occultisme, l’intérêt pour les « flagellants » ou pour
« la piété des vieux croyants », voilà les diverses formes, si changeantes
et pourtant si sincères, que prenaient les concepts religieux des créateurs de
cette époque.
D.
Merejkovski, poète et penseur, qui avait répudié l’Église orthodoxe
traditionnelle et annoncé une nouvelle idée religieuse, « Le Christianisme
du Troisième Testament », a défini la recherche spirituelle de ses
contemporains de la façon suivante : « Leur art n’est pas un simple
art, c’est un noviciat, leurs poèmes sont des chroniques de la quête sacrée,
infiniment acharnée et dangereuse »[155] .
D’après
Nicolas Berdiaev, dans le symbolisme, la quête d’ordre spirituel prédomine sur
celle d’ordre esthétique. « La poésie des symbolistes dépassait les
limites de l’art et cela était une qualité exclusivement russe », écrivait
le philosophe[156]..
Le symbolisme russe prétendait jouer un rôle dominant et particulier dans la
transfiguration spirituelle de l’individu, dans « la révolution de
l’esprit », dans la formation d’une nouvelle conscience religieuse.
Il
est généralement admis que la philosophie de Vladimir Soloviev et surtout son
concept de la Divine Sophia a marqué considérablement la poésie symboliste.
Soloviev est l’auteur d’une des notions cruciales du Siècle d’argent, la notion
de théurgie. Cette doctrine considérait
l’art comme un acte sacré et sa mission, comme l’anticipation de Dieu.
Toutes
ces conceptions présument l’existence d’un lien entre l’art poétique et l’état
particulier, invocatoire, de l’âme qui trouve son expression suprême dans la
métaphore « la poésie est une prière ». Nous avons déjà évoqué le
rapprochement de ces deux termes dans le journal et le poème
« Châtiment » de Blok. Le même parallélisme est présent dans la
préface du recueil poétique de Z. Hippius. « La poésie en général et
notamment la versification n’est qu’une des formes que revêt la prière dans
notre âme », écrit la poétesse[157] .
Cependant, dans le monde actuel, contrairement aux époques précédentes, les
prières émanent des personnes divisées et isolées et s’adressent à des dieux
différents. « Actuellement, chacun de nous, consciemment ou
inconsciemment, a son propre dieu, c’est pourquoi nos prières, tristes, faibles
et impuissantes, ne sont chères qu’à nous-mêmes »[158] .
À
l’époque du Siècle d’argent, l’obsession de la foi et l’inquiétude religieuse
étaient si fortes que tous les écrivains et penseurs se sont retrouvés dans la
sphère d’influence de l’idée divine. La question de la croyance et de
l’incroyance devenait de plus en plus complexe et, parfois, ne pouvait être
résolue de façon univoque. « Entre l’acceptation de Dieu et sa négation il
y a un vaste champ qu’un vrai sage franchit avec une grande difficulté »,
a écrit Anton Tchekhov[159] .
Des
errances douloureuses à travers ce champ et la quête de Dieu ont été le sort
d’un des éminents créateurs de cette époque, Léonid Andreïev. Ses propos sur
Dieu, contradictoires et même divergents, ne permettent pas de définir cet
écrivain ni comme un athée incontestable ni comme un fidèle fervent.
Cet
écrivain dont la conception du monde est extrêmement complexe affirme que
« le royaume de l’homme doit être sur la terre »[160].
Mais quel est ce royaume ? Et qui y est l’homme, le maître ou l’esclave ? Un
individu volontaire ou une faible victime ? La pièce de théâtre La Vie d’un homme
(1907) évoque les réflexions du dramaturge sur tous ces sujets. Cette pièce est
la seule œuvre dramatique russe dont la scène culminante est une prière.
Dans
les cinq tableaux de ce drame conventionnel et « stylisé », l’auteur
crée un modèle de la vie humaine, de la naissance jusqu’à la mort, et
représente l’existence humaine sur la terre comme un enchaînement de déceptions
et de pertes. La perte la plus terrible est la mort du fils unique de l’Homme.
Sur le fond d’une représentation impassible et schématisée de la vie, se
détache, bouleversant par la sincérité et la profondeur de la souffrance
humaine, une explosion émotionnelle, la scène où l’on entend les prières de la
Mère et du Père. Le motif dominant de la supplication de la Mère est l’espoir
en la miséricorde de Dieu. Le refrain de sa lamentation est l’invocation :
« Grâce ! Pitié ! ». La prière du Père est celle d’un nouvel Job
qui a essuyé tous les malheurs (perte de talent, d’amis et de biens), mû non
par son humilité ni par sa vénération de la volonté divine, mais par sa fierté.
Dans la scène de la prière, il demande, il acclame la justice : le noble
fils de l’Homme ne doit pas périr des mains d’hommes méchants. La miséricorde
et la justice. En prononçant ces paroles, les protagonistes évoquent les
notions clés sur lesquelles est fondée l’idée du monde divin et le système de
valeurs chrétiennes.
Les
prières du Père et de la Mère sont ouïes non par Dieu juste et miséricordieux,
mais par « Quelqu’un » indifférent et impassible. Ce personnage
mystérieux, appelé « Quelqu’un en gris » est présent sur la scène et
surveille impartialement tous les événements de la pièce. Andreïev interprétait
ce personnage de façon suivante : « Quelqu’un en gris n’est pas un
symbole. C’est un être réel. Certes, il est mystique dans son essence, mais
dans la pièce il ne représente que lui-même, c’est-à-dire la Fatalité, le
Destin » [161].
« Le
sens, le sens de la vie, où est-il ? » s’interroge l’écrivain tout en
essayant de le découvrir en dehors de la foi chrétienne[162] .
Une de ses réponses à cette « question maudite » est compatible avec
des concepts athées et, en même temps, avec la croyance en Dieu. Il s’agit des
actes et des pensées. « Je lègue ma pensée aux autres humains, et, qu’on
m’oublie, elle vivra », dit le héros de la pièce d’Andreïev[163] .
Fiodor Dostoïevski proclamait la même idée en affirmant que l’homme « par
une partie de sa personnalité mortelle, ayant séjourné sur la terre, entre dans
l’évolution future de l’humanité »[164] .
Une
autre réponse d’Andreïev anticipe la conception existentielle : la mort
efface l’individu, l’anéantit sans laisser de traces, et l’homme a besoin d’une
grande force morale pour accepter l’impasse de son existence. Il reste, comme
le suggérait Andreïev « de s’insurger aussi longtemps qu’on le peut »[165] .
Dans la pièce, la prière du Père devient d’abord l’ultime damnation, désespérée
et passionnée, puis se transforme en insurrection, en défi. L’homme, orphelin
de Dieu, doit faire preuve d’héroïsme et d’intrépidité pour concevoir sa
solitude dans l’univers. C’est le courage tragique d’un individu fier et
insoumis qui donne le sens à la vie. Andreïev définit la réaction de son héros
de la sorte : « Le monologue de l’homme, ce défi à l’inconnu, doit
être lancé de manière passionnée et majestueuse. L’homme y apparaît comme un
chevalier au bouclier éclatant brandissant son glaive »[166] .
L’évolution
ultérieure d’Andreïev témoigne de son intérêt croissant pour les
« questions maudites » : la vie et la mort, la solitude, le sens
et le non-sens de la création.
Et,
de nouveau, nous sommes confrontés à la prière. « Voici ma prière, voici moi-même, tel et non autre je resterai pour
toujours », ainsi définit Andreïev son attitude envers sa pièce « La
valse des chiens »[167].
L’aveu du dramaturge rappelle les paroles de Zinaïda Hippius : « nous
exprimons dans les poèmes et dans les prières toujours le plus profond de notre
être, notre essence, notre « je » actuel dans le moment
présent »[168] .
Du
point de vue de l’émotion lyrique, la pièce « La valse des chiens »
(« le poème de la solitude ») est une prière, mais une prière
adressée aux cieux vides. Il est terrifiant, dit Camus, de réaliser que le
visage de Dieu est horrible, mais contempler le vide à la place de Dieu est
encore plus épouvantable. Il n’y a alors aucun sens, tout est permis et tout
est absurde.
Le
mot « Requiem » évoque la messe des morts, le chant pour les
défunts. « Requiem » est le titre d’une des pièces d’Andreïev. Si
l’art des symbolistes crée la notion de poème-prière, Andreïev conçoit un
phénomène artistique profondément original, la pièce- prière. Le message
poétique et les procédés littéraires de cette pièce résultent de la conception
du théâtre du dramaturge.
La
production de la pièce-prière nécessite un théâtre particulier, un Temple. Dans
un tel théâtre, les vaines préoccupations terrestres sont remplacées par des
réflexions sublimes sur le sens de la vie et sur la fatalité de la mort, donc
le spectateur, après une transfiguration intérieure, accède aux valeurs
spirituelles.
« Requiem »
est une pièce mystérieuse dans laquelle les frontières entre la représentation
théâtrale et la réalité, entre la vie et la mort sont effacées. La scène
représente un petit théâtre avec une estrade pour les acteurs et des sièges
pour les spectateurs. Mais, hélas, il n’y point de spectateurs dans ce petit
théâtre, ils sont remplacés par des figurines aux visages barbouillés de
couleurs criardes, fabriquées sur commande et semblables aux êtres humains. Le
Peintre et le Metteur en scène, leurs créateurs, sont aussi incapables de
compassion et d’émotions que leurs poupées en bois. Les acteurs jouant sur
l’estrade ne sont que des fantômes, que des ombres qui se dissipent dans les
ténèbres de la nuit. Ces ombres représentent des amoureux, des héros, des rois,
une mère malheureuse, un prophète… Tous sont voués à la mort au cours de la
représentation. « Requiem » d’Andreïev est une pièce sur
les morts et sur les vivants qui, inévitablement, aspirent à la mort et partent
dans le néant et dans le vide. En réfléchissant sur le texte du « Requiem »
le lecteur aboutit à cette conclusion impitoyable : la vie n’est, en
réalité, « qu’une courte prélude stupide à la mort éternelle »[169] .
Ni l’amour, ni la beauté, ni l’héroïsme n’éclaircissent l’existence solitaire
de l’homme.
Et
cependant, un cri désespéré, un appel, une prière « De la miséricorde, de
la miséricorde » part dans le vide, dans l’insondable, dans les ténèbres.
Andreïev, qui aspirait à Dieu tout en luttant contre lui, ne savait pas à qui
destiner cette prière.
« Que
Dieu leur soit clément et que Dieu leur pardonne / Pour avoir tant aimé la
terre périssable / C’est qu’ils en étaient faits… », écrit Charles Péguy
en 1913. Ces vers, tirés de la « Prière pour nous autres charnels »
extraite d’Ève, résument la réponse du poète aux problèmes cruciaux de
l’existence.
Ainsi, on voit que la
lecture croisée de plusieurs textes appartenant à différentes littératures
nationales enrichit considérablement l’interprétation de chacun de ces textes
et permet de mieux comprendre la perception poétique du monde de divers
écrivains de la fin du XIXe et du début du XXe siècles
ainsi que leur rôle dans la résolution artistique des questions fondamentales
de l’univers. Notre lecture comparée des textes traitant de la prière enrichit,
espérons-le, la compréhension de ce phénomène de la culture mondiale dans toute
sa complexité.
(Trad. Alexandra Sévenier)
La Jeune fille Violaine et L’Annonce faite à Marie de Paul
Claudel,
Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc de Charles Péguy :
Présence du mystère
Université d’État de
Saint-Pétersbourg
Avant de comparer les œuvres de deux écrivains, il faut se demander si les conditions qui permettent objectivement cette comparaison existent. Quand il s’agit de Paul Claudel et de Charles Péguy, si l’on constate effectivement certains traits qui les rapprochent, il y a en revanche des circonstances qui les éloignent l’un de l’autre.
Remarquons que l’œuvre de
Péguy contient dans son titre le mot « mystère », et que Claudel
appelle « mystère » L’Annonce faite à Marie . Claudel et Péguy
étaient contemporains. Péguy naquit en 1873, Claudel était son aîné de cinq
ans. Péguy mourut dès le début de la Première guerre mondiale, Claudel survécut
à la Seconde guerre mondiale et put voir le début d’une nouvelle époque, celle
de l’après-guerre. On peut dire qu’ils sont tous les deux des écrivains
catholiques, bien que leur foi et leurs rapports avec l’Église catholique
présentent de profondes différences. La route qui mena Péguy à la foi fut une
route difficile et pleine de contradictions, qui le firent souvent considérer
comme un hérétique. Quant à Claudel, ce fut un catholique résolument dévoué à
la foi catholique et à l’Église catholique. De plus il est impossible de ne pas
se rappeler ici quelques-unes de ses déclarations qui reflètent, sans qu’on
puisse en douter, son univers intérieur. Ainsi il écrivit plus d’une fois que
le cœur du chrétien est une éternelle école de tragédie. Mais les ressorts de
cette tragédie restaient dans son âme. C’est son œuvre qu’il mit au service du
catholicisme.
Leurs convictions politiques
différaient, on peut même dire qu’elles s’opposaient. Claudel exprima parfois
sous forme polémique des idées qui n’étaient pas seulement étrangères mais même
hostiles à Péguy-dreyfusard. Et les idées de Péguy-socialiste lui étaient aussi
étrangères.
Leurs rapports varièrent
selon les époques. Péguy admirait l’œuvre et la personnalité de Claudel, comme
beaucoup d’autres de ses contemporains, il le considérait comme un être
supérieur. Et il n’osa même pas lui envoyer son Mystère. C’est Gide qui
le fit, qui avait été enthousiasmé par cette œuvre. De longtemps Claudel ne
connut Péguy que par ouï-dire, il le considérait d’ailleurs comme un dreyfusard
(ce qui était parfaitement exact), un anarchiste, un intellectuel (ce qui peut
faire sourire les familiers de l’œuvre de Péguy, quand on pense aux propos
amers que celui-ci tenait sur les intellectuels), un tolstoïen et il le
rangeait parmi tous ces « types affreux ». Après avoir lu son Mystère,
il lui témoigna beaucoup plus d’intérêt. D’un côté il estimait que cette œuvre
exprimait les sentiments sincères d’un chrétien et d’un catholique et qu’elle
se signalait par une beauté profonde et émouvante. Mais d’un autre côté, il
n’aimait pas cette manière de traiter le personnage de Jeanne dont Péguy avait
fait, selon lui, une « protestante têtue ». En même temps, Claudel
soutint la candidature de Péguy quand celui-ci fut pressenti pour le prix de
l’Académie française en 1911.
En ce qui concerne les
influences littéraires, les deux écrivains ont beaucoup en commun. Surtout,
aucun des deux ne pouvaient dans leur œuvre dramatique s’appuyer sur les
traditions du théâtre français du XIXe siècle qui donnait le rôle
principal soit à l’intrigue (mélodrame et drame romantique) soit à la
représentation précise du monde extérieur (théâtre naturaliste). Pour Péguy et
Claudel une pièce devait être l’expression de la vie intérieure d’un
personnage. Le seul exemple qu’on pouvait suivre au seuil du XXe
siècle était celui du drame symboliste où l’action scénique est simplifiée au
maximum, où l’intrigue joue un rôle minimal, où le héros de la pièce devient la
Parole. La pièce symboliste doit par son caractère se rapprocher de la messe
parce que le poète, le dramaturge ne s’intéresse au monde extérieur que dans la
mesure où il l’est l’expression d’une essence supérieure. La voix du poète a
une particulière qualité d’ambiguïté : d’un côté c’est à travers elle que
parle la voix de l’Inconnaissable, de l’autre elle découvre l’essence de la vie
de chaque homme : l’union de l’Amour, de la Mort, de la prédestination
fatale et de l’impossibilité de les comprendre. Par exemple ce qui distinguait
principalement La Princesse Maleine de Maeterlinck de toutes les autres
pièces, c’était le sentiment du Destin menaçant, qu’on ne peut concevoir et
avec lequel il est impossible de lutter.
On peut évoquer Mallarmé qui
fit beaucoup pour la théorie du théâtre symboliste. Selon Mallarmé la scène
devait devenir « la majestueuse ouverture sur le mystère dont on est au
monde pour envisager la grandeur ». Mallarmé disait même que la messe
catholique, contenant en elle le Mystère, devait être un exemple à imiter parce
ce « mystère de la messe constituait une pièce où chaque spectateur était
à son insu le protagoniste du drame de la Passion ». Ces propos
intéressaient beaucoup Claudel. Un autre symboliste, Camille Mauclair,
formulait ainsi l’idéal du théâtre symboliste : « 1. Pour champ,
l’éternité ; 2. Pour sujets les sentiments, les idées, les passions, épurés et
purifiés par l’absence de toute caractéristique d’une époque, considérés à leur
seul point de vue éternels ; 3. pour développement, une psychologie où
l’artiste ne sera plus gêné par la vraisemblance temporelle ». Bien sûr,
ni Claudel ni Péguy n’écrivirent de drames symbolistes au plein sens du terme,
mais ils en avaient assimilé les principes de base. Les premières pièces de
Claudel ont cette signification universelle, globale, qu’on trouve dans
n’importe quelle oeuvre symboliste. Et Péguy dans son Mystère montrait
la nature humaine face à son destin et sa prédestination. Il n’est pas non plus
inconcevable que Péguy ait été influencé par les premiers drames de Claudel.
Comme nous le voyons, dans la structure même de la pièce symboliste existait déjà la notion de mystère. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le sentiment religieux s’adressa au symbolisme pour y trouver son expression. L’Absolu mystique pouvait être compris aussi comme essence divine.
Claudel affirmait très justement que le drame c’était avant tout un conflit, une lutte entre les hommes, les passions ou les idées. Chaque héros va son propre chemin, et chaque destin compris philosophiquement avance, se soumettant à une logique propre. Le but final n’est connu que du Créateur, mais l’homme a la liberté de la volonté. La fin tragique de nombreux héros de Claudel prouve clairement que la voie qu’ils ont choisie était mauvaise, mais l’auteur ne se hâte pas de proclamer la vérité. Dans ses œuvres c’est l’une des sources du mystère. Le mystère symboliste de l’existence se trouve toujours contenu dans l’infratexte, dans un système d’allusions et de réticences.
Le rôle du mystère est
particulièrement important dans les différentes variantes de La Jeune fille
Violaine. Dans la figure de Violaine Claudel incarne sa thèse de
l’humilité. La souffrance et la patience sont vertueuses car elles libèrent
l’âme des chaînes du quotidien. Pour autant que la conception soit déjà claire,
dans la première rédaction Violaine traverse la pièce comme une ombre. Tout ce
que la vie lui enlève, elle l’accepte naturellement et humblement et même, si
elle devient sainte, c’est apparemment sans s’en rendre compte. Le deuxième
plan de l’action, celui qui contient le mystère, ne se révèle qu’au troisième
acte. Bibiane, la sœur de Violaine, lui amène son fils aveugle. Violaine n’a
pas encore accompli de miracles, elle apprend plutôt aux gens à accepter la
volonté de Dieu. Mais Bibiane est sûre que Violaine l’aidera, et on peut dire
qu’elle ne fait que la pousser à accomplir le miracle. À la place des forces
inconnaissables et menaçantes du Destin, comme chez Maeterlinck, c’est, chez
Claudel, la force invincible de la foi qui agit. Le miracle de la vue recouvrée
chez l’enfant ne semble même pas miraculeux, si simple est son accomplissement.
Mais dans la mesure où Violaine s’adresse à Dieu, c’est sous les yeux du
spectateur que s’accomplit le mystère;
Les changements apportés
dans la deuxième variante de La Jeune fille Violaine en font une tout
autre pièce, bien que la ligne de l’intrigue reste inchangée, et que quelques
scènes soient reprises mot pour mot. Plus tard, Claudel formulera ainsi le
principe qui le dirige : « Et quel intérêt celui du drame où il
s’agit non pas d’une mort ou d’un mariage, mais de la vie et de la mort
éternelles, où vous prenez une place vous-même non pas dans cette action
fictive, mais dans le drame perpétuel de l’humanité ». Ainsi nous voyons
que pour Claudel le mystère de l’existence humaine consiste en ceci que l’homme
apparaît comme une parcelle de l’éternité. L’idée philosophique opère
maintenant une fusion de l’action et des héros, parmi lesquels apparaît un
nouveau personnage, le constructeur de ponts et charpentier Pierre de Craon. La
première scène – un entretien de Pierre avec Violaine – introduit le spectateur
au cœur même de problèmes philosophiques. Pierre de Craon parle de l’eau
vivante et vivifiante, dans ses propos se mêlent le réel et l’idéal. Les eaux
des rivières symbolisent la source éternelle, inépuisable, qui n’est pas de ce
monde. Claudel montre que ce qui a de la valeur ce ne sont pas les désirs
humains en eux-mêmes mais leur tension vers Dieu. Ainsi, dès le début de la
pièce apparaît un aspect métaphysique. Le mystère du destin de Violaine est
déjà manifesté, et la trahison de la sœur ne joue aucun rôle essentiel. Au
premier plan les méfaits de Mara (c’est ainsi qu’elle s’appelle désormais)
reçoivent une interprétation religieuse : sans le savoir elle-même ni le
désirer, Mara devient l’instrument de la Providence, contraignant Violaine à
rompre tous ses liens avec le monde et même à perdre la vue pour parvenir à la
vue du spirituel.
Dans cette rédaction de la pièce, le miracle se produit de manière bien plus ordinaire que dans la première version. Mara est convaincue que la cécité de son enfant est le châtiment du fait de sa mauvaise action qui a rendu Violaine aveugle. Elle sait qu’on attribue à Violaine des guérisons. Celle-ci n’essaie même pas de se dérober. L’enfant doit recouvrer la vue, et il recouvre la vue.
Il est important que ce soit
justement l’idée religieuse qui chez Claudel donne au genre littéraire son
caractère : « Il faut de terribles combats et une énergie toujours
tendue pour revenir à la foi et s’y maintenir. » « Quoi de plus
tragique que la lutte de l’invisible contre tout le visible ? Le chrétien
ne vit pas comme le sage antique à l’état d’équilibre, mais à l’état de
conflit ».
Dans la troisième version de
la pièce est introduit un nouveau motif qui réunit solidement toutes les
ramifications du sujet. Après que Pierre a offensé Violaine, il devient
lépreux. C’est aussi un châtiment, mais également le signe d’une élection à
laquelle il n’est pas préparé. Le baiser d’adieu de Violaine est pour Pierre
signe de délivrance. Elle prend sur elle, sans le savoir elle-même, un fardeau
qu’il ne peut assumer. Ainsi le sacrifice de Violaine ne vient pas d’un mauvais
vouloir étranger, n’est pas la volonté consciente d’accomplir un exploit. Elle
est choisie et bientôt le comprend. La marche de l’action donne à la pièce une
structure à deux niveaux. Le plus haut, l’aspect religieux devient beaucoup
plus important que les événements réels. Le mystère s’accomplit et tout ce qui
se passe ensuite n’en est que la conséquence : « Et s’il faut des
aventures, quelle plus surprenante et plus ardue que l’acception pratique d’un
monde surnaturel et invisible, au prix duquel celui-ci est compté comme
rien ».
Comme dans les premières
rédactions, c’est dans le troisième acte que se trouve concentré l’essentiel de
l’intrigue. Il s’ouvre sur le tableau de la nuit de Noël. Les paysans
construisent une route sur laquelle le roi va passer pour être couronné à
Reims. Le roi, dit-on, est accompagné d’une petite personne en vêtement
d’homme. C’est une simple bergère qui commande aux soldats aussi facilement
qu’elle le faisait auparavant pour ses brebis.
C’est ainsi que Claudel
trouve l’unique possibilité de rendre le miracle réel, vraisemblable. Jeanne et
Violaine sont des filles de la campagne. Jeanne a accompli un exploit, en
sauvant la France, Violaine, en assurant la foi. Jeanne, abandonnée par tous,
meurt sur le bûcher, quant à Violaine, presque consumée par la lèpre, elle est
tuée par sa sœur. Claudel crée une pièce de théâtre, chargée d’un sens mystique
profond, de mystère.
La scène du miracle est
maintenant résolue d’une autre façon. Dans la première variante, Violaine, que
tous vénèrent et bénissent comme une sainte, demande à Dieu un miracle. Dans la
seconde variante, Violaine accomplit elle-même le miracle. Dans L’Annonce c’est
une scène clef, solennelle. L’enfant ne doit pas seulement recouvrer la vue. Il
doit être ressuscité. On entend sonner les cloches de la Nativité. Violaine
demande à sa sœur de lire le texte de l’office de Noël. Et elle est la seule à
entendre le chœur d’anges qui répond à la voix de Mara prononçant les paroles
de la messe de minuit. L’enfant revient à la vie parce qu’en cette nuit se
produit le mystère éternel et le miracle éternel, la naissance du Sauveur. Et
c’est à ce moment que passe le roi, accompagné de Jeanne. C’est un mystère
triple : mystère éternel de la Nativité, résurrection de l’enfant que
Violaine, en quelque sorte, met une nouvelle fois au monde, et résurrection de
la France.
Au début de la pièce
Violaine semble ne pas comprendre pourquoi son père quitte sa maison et sa
famille. Mais la motivation de son départ est encore un présage : il part
pour Jérusalem parce que, selon lui, il serait honteux d’être heureux quand la
France est malheureuse, quand le roi est privé de son trône et que la foi est
divisée. Le père prononce à la fin de la pièce une conclusion très
importante : Violaine sans une seule plainte s’est soumise à la voix,
semblable à la voix de l’ange qui un jour est apparu à Marie et « a conçu
la douleur du monde ». Cette conclusion s’opposée à la démarche de la
Jeanne de Péguy. Madame Gervaise reproche à celle-ci son orgueil parce qu’elle
ne veut pas se soumettre et attendre humblement la volonté de Dieu. On peut
ainsi supposer que si Madame Gervaise avait connu Violaine, le sacrifice de
celle-ci aurait rencontré son approbation. Alors que la démarche active du père
de Violaine semblait, selon ses propres mots, inutile et même mauvaise.
Si Claudel appartient à la
fois à la poésie et au théâtre, pour Péguy le théâtre joue un rôle de second
plan, même s’il a songé à la représentation de ses pièces. Il est plus
important de remarquer qu’il a souvent donné même à ses œuvres en prose la
forme du dialogue avec un interlocuteur réel ou implicite. Aussi n’est-il pas
étonnant que son Mystère soit privé d’action extérieure et de gestes.
C’est un théâtre statique, une Parole au sens propre. Parlant de Péguy à
l’Institut catholique, Claudel disait : « Son style est de penser
tout haut. Je veux dire que toute pensée en lui devenait parole, toute écriture
devenait un acte ». On dit parfois que le débat entre Gervaise et Jeanne
ou la conversation de Jeanne avec Hauviette est une polémique que Péguy mène
avec lui-même. Certains pensent aussi que Gervaise et Hauviette sont des
doubles de Jeanne. Cette opinion s’explique, en particulier parce que Péguy
avait en vue un théâtre intérieur, car dans Le Mystère de la charité Jeanne
ne parle pas plus qu’Hauviette et beaucoup moins que Madame Gervaise. D’un
autre côté, une bonne actrice peut montrer la débat spirituel de son héroïne
sans avoir recours aux mots. Mais d’une façon ou d’une autre cette pièce
statique est saturée d’un tel tragique et d’une telle passion que ce seul fait
constitue déjà son mystère.
À la différence de L’Annonce
où le miracle est accompli directement sous les yeux des spectateurs, dans le
mystère de Péguy, à première vue, il ne se produit rien de mystérieux. Il peut,
c’est vrai, paraître étonnant que les débats théologiques soient menés par
Hauviette qui a une dizaine d’années et Jeanne qui n’en a guère plus. Mais le
vrai mystère du Mystère de Péguy se trouve à un niveau beaucoup plus
profond.
Péguy présente sa Jeanne
bien avant qu’elle ait entendu ses voix. Et ce n’est pas un hasard si dans son Mystère
il lui donne le nom de Jeannette. Mais ce qui la tourmente ce sont des
problèmes qui n’ont rien d’enfantin. Hauviette qui se dit elle-même
clairvoyante, lui dit : « Tu veux être comme les autres. Tu veux être
comme tout le monde. Tu ne veux pas te faire remarquer. Tu as beau faire. Tu
n’y arriveras jamais ». De plus elle dit que madame Gervaise est moins
sainte que Jeanne.
Dès le début Jeanne pense
aux malheurs que la guerre a apportés sur la terre de France, aux morts et à la
faim : « Tous nos efforts sont vains, nos charités sont vaines. La
guerre est plus forte à faire la souffrance. Ah ! maudite soit-elle !
Et maudits ceux qui l’ont apportée sur la terre de France ». Mais elle ne
souffre pas seulement de ce que les enfants sont affamés. Pour elle le plus important,
c’est cette faim spirituelle dont souffrent les hommes, aussi bien les Français
que leurs ennemis : « Et le pain éternel. Celui qui manque trop du
pain quotidien n’a plus aucun goût au pain éternel, au pain de
Jésus-Christ ».
La pensée principale de
Jeanne est que même la victime que le Seigneur a offerte en envoyant son Fils
sur la terre, ne suffit pas au salut universel. Il faut qu’apparaissent de
nouveaux saints, des saints qui triompheront. Jeanne à cet instant ne pense pas
à elle-même, mais le lecteur sait déjà que c’est justement à elle que Dieu
confie cette mission et qu’elle répètera l’histoire de Jésus-Christ et de
nombreux saints. C’est en cela que réside le sens du mystère et du sacrement.
Jeanne doit être le nouveau Sauveur. Ainsi apparaît dans le Mystère un
parallèle entre Jeanne et le Christ. Jeanne envie les hommes qui ont vu le
Christ vivant, Dieu incarné. « Jésus, Jésus, nous serez-vous jamais aussi
présent. Si vous étiez là, Dieu, ça ne se passerait tout de même pas comme
ça ». En réponse on entend les mots de madame Gervaise qui semblent
inspirés d’en haut : « Il est là. Il est comme au premier jour. Il
est là parmi nous comme au jour de sa mort. Éternellement il est là parmi nous
autant qu’au premier jour. Il est là parmi nous dans tous les jours de son
éternité. »
Cette présence réelle du
Christ est aussi la base du mystère qui pénètre tout le Mystère de
Péguy. Lui-même sentait aussi précisément la présence vivante de Jeanne dans le
monde contemporain : « Je travaille cette histoire comme si elle se
passait sous mes yeux ». Péguy formulait ainsi ce principe :
« Le centre du dialogue était précisément consacré à cette mystérieuse
liaison du temporel et de l’éternel ». Et Gide écrivait que l’auteur avait
réussi à « remettre au présent ce passé ».
En lisant les deux mystères
dus à la plume de Claudel et de Péguy, nous pouvons conclure que les procédés
spécifiques employés par Claudel peuvent paraître quelque peu simplistes si on
les compare avec le Mystère de Péguy où le miracle ne se produit pas
sous les yeux du lecteur, mais qui oriente ses pensées vers l’histoire vivante,
l’histoire éternelle de l’Écriture sainte.
(Trad.
Y.A.)
Le Mystère
de l’histoire chez Péguy et chez Berdiaev
Tatiana Taïmanova
Université d’État de
Saint-Pétersbourg
Deux Dames ont accompagné
Péguy pendant toute sa vie : Jeanne d’Arc, son héroïne lyrique, et Clio,
la muse de l’histoire, sa perpétuelle interlocutrice. En effet, même quand
Péguy ne s’adresse pas directement à celle-ci, comme, par exemple, dans les Dialogues,
entretiens avec l’Histoire, ses réflexions sur elle, son analyse sont présentes
dans presque toutes ses œuvres de prosateur ou de poète.
Son sens de l’Histoire est
très particulier. Il voit bien que le déroulement des événements est conforme à
certaines lois, mais sa conception de ces lois est loin d’être celle qui est
habituelle et surtout loin d’être rationaliste. On a déjà beaucoup écrit sur le
caractère particulier de son regard sur l’Histoire : par exemple, l’article
de Jean Milet, « Péguy et le sens de l’Histoire » (1957)[170], l’étude détaillée de Jean
Onimus « Péguy et le Mystère de l’Histoire » (1958)[171], une grande partie du vaste
travail de Pie Duployé consacré à la religion de Péguy (1965)[172], ainsi que de récents
articles publiés dans les numéros 100 et 102 du Bulletin de l’Amitié Charles
Péguy[173] sont d’un grand intérêt,
mais l’étude de cette conception de l’histoire de Péguy est encore partielle,
elle n’entre pas encore dans des cadres connus.
Il me semble intéressant et
fructueux d’essayer de placer la vision historique de Péguy dans le contexte de
la pensée philosophique russe, puisque c’est justement au début du XXe siècle
qu’une grande partie de l’intelligentsia russe s’intéresse à de nouvelles
recherches spirituelles. Ces recherches sont, comme en France, une réaction à
la domination du positivisme, mais la Russie voit en outre apparaître l’idée
d’une « nouvelle conscience religieuse », dont Dimitri Merejkovski
est l’annonciateur et qui s’exprime clairement dans les discussions de ce qu’on
appelle les « Réunions religieuses et philosophiques », transformées
plus tard en « Société religieuse philosophique de Moscou » en
mémoire de Vladimir Soloviev, et dont les membres sont Nicolas Berdiaev,
Sergueï Boulgakov, Evgueni Troubetzkoy, Vladimir Erne et d’autres. En 1910, cette
Société fonde la maison d’édition religieuse et philosophique « Pout’ »
(« Путь » « La Voie »), dont
la première publication est le recueil « Sur Vladimir Soloviev »
(1911). C’est à cette époque que, grâce aux travaux des penseurs précités,
s’achève le processus du « devenir de la philosophie religieuse russe de
l’histoire », qu’on a appelé par la suite l’« historiosophie » russe. Rappelons-nous
ici que c’est aussi à cette période (entre 1908 et 1912) que la pensée de Péguy
s’intéresse le plus au sens philosophique de l’histoire.
Nous essaierons de mettre en
lumière les parallèles surprenants que l’on peut observer à la lecture de Péguy
et des philosophes russes dans leur interprétation métaphysique de l’histoire.
En comparant les textes on s’aperçoit qu’aussi bien dans l’œuvre du penseur
français que dans les œuvres russes dominent des problèmes-clés, comme ceux de
l’Incarnation (on peut ici citer N. Berdiaev, S. Boulgakov, N. Fedorov) ;
de l’histoire en tant que processus divin et humain (l’« historiosophie »
de Vl. Soloviev) ; du mystère de l’évolution historique comme manifestation de
l’intégrité de l’existence de l’esprit humain, c’est-à-dire l’idée de la
connaissance transhistorique (Sémion Frank) ; de l’union de l’histoire divine
et de l’histoire terrestre, de l’éternel et du charnel (N. Berdiaev, Vl.
Soloviev) et d’autres. En définissant toutes ces idées avant tout comme
mystiques, nous pensons au plus grand mystique de la pensée russe du XXe
siècle, Nicolas Berdiaev.
L’idée de
cette comparaison n’est pas originale. Romain Rolland, qui était d’ailleurs
marié avec la veuve du neveu de Berdiaev, a écrit dans son Péguy :
« Un grand philosophe religieux, Berdiaev, que Péguy n’a pu connaître et
qui ne paraît pas non plus connaître Péguy, se rencontre constamment avec lui,
dans ses concepts de Dieu, de l’esprit, de la grâce et de la liberté. On ne
saurait mieux commenter l’un qu’avec l’autre »[174] . Notons d’ailleurs
que Berdiaev non seulement connaissait la pensée de Péguy mais qu’il y trouvait
des affinités avec sa propre nature. Autant que Péguy, dit-il, il se révoltait
« contre les idées de Dieu lâches et fausses au nom d’une idée plus libre
et plus haute »[175] .
Dans Le
Sens de l’Histoire, qui reprend les leçons données par l’auteur à Moscou à
l’Académie Libre de la Culture Spirituelle pendant l’hiver 1919, Berdiaev insiste
surtout sur la différence entre la notion d’« historisme », c’est à
dire de l’histoire en fonction de la science, et d’« historique », ce
qui est conforme à l’idée de Péguy qui niait lui aussi la science de
l’histoire, toutes ses thèses et ses fiches. Berdiaev écrit : « il
n’existe pas entre l’historique et l’historisme d’équivalence,
mais une différence énorme et même une opposition. L’historisme propre à la
science historique est toujours et partout très distinct du mystère de l’historique.
Il n’y amène pas. Il a perdu tous les moyens de communication avec ce mystère.
L’historisme ne connaît pas, ne comprend pas – et en outre il nie l’historique.
Pour s’initier au mystère intérieur de l’historique […], il faut revenir
aux secrets de la vie historique, à son sens intérieur, à l’âme intérieure de
l’histoire, pour la concevoir et pour construire la philosophie de l’histoire
véritable ».[176] Dans les premières
pages de Notre jeunesse, cette œuvre exceptionnelle où Péguy a uni son
message à ses contemporains et aux générations futures avec la quintessence de
sa conception du monde philosophique et mystique et où il présente son analyse
éthique de l’histoire, nous lisons à propos de la « bonne histoire »
et de « la mauvaise histoire » : « Il voulait s’excuser par
là, alléguer qu’il y avait, dans ces papiers, des documents historiques, sur les grands événements
de l’histoire… des documents
authentiques… Je lui répondis non »[177] . Dès le début Péguy met les points sur les « i ». Dès la
première page il explique et suggère aux lecteurs quelle histoire lui semble
nécessaire et importante, sans donner de définitions mais avec des exemples
abondants. Et ses idées sont très proches de celles de Berdiaev qui dit :
« Il nous faut une liaison intérieure profonde et secrète avec un objet
historique. Il faut non seulement que l’objet soit historique mais que le sujet
soit aussi historique, que le sujet de la connaissance historique ressente en
soi-même et révèle en soi-même l’historique. Ce n’est qu’en mesure de la
révélation en soi-même de l’historique qu’il commence à concevoir toutes
les grandes périodes de l’histoire ».[178] Et plus loin :
« Quand vous lisez un ouvrage scientifique sur l’histoire des peuples
anciens, vous sentez bien que cette histoire est toute dépourvue de l’âme, de
la vie intérieure, qu’on vous présente une empreinte, une esquisse
superficielles ».[179] Quant à Péguy, il écrit
qu’il préfère à tous les documents, « ce que nul ne peut faire, ce que nul
ne peut controuver »[180]. C’est-à-dire :
« Ce que nous voulons savoir et ce que nous ne pouvons pas inventer… ce
n’est point les premiers rôles, les grands masques, le grand jeu, les grandes
marques, le théâtre et la représentation ; ce que nous voulons savoir
c’est ce qu’il y avait derrière, ce qu’il y avait dessous, comment était fait
ce peuple de France… le tissu même du peuple… »[181] Ce dont il a besoin,
« ce n’est point une histoire endimanchée, c’est l’histoire de tous les
jours de la semaine »[182], l’histoire qui lui
permettrait de connaître le « peuple dans la texture » et la race
« dans son réel, dans son épanouissement »[183]. Par « la race »
Péguy entend les républicains véritables et les chrétiens véritables, et par
conséquent, les Français véritables. Ces Français véritables devaient être
décrits, compris, gardés dans la mémoire de l’humanité par l’histoire
véritable. Ce n’est pas du tout la science, que nous sommes habitués à appeler
l’histoire, qui, comme le dit Péguy, « nous renseignera toujours, tant
bien que mal, plutôt mal que bien, c’est son métier, et à défaut de l’histoire
les historiens, et à défaut des historiens les professeurs (d’histoire) »[184]. Et les professeurs selon
Péguy, ce sont les intellectuels dont
il fut l’adversaire toute sa vie, qui s’opposent à la race des Français
véritables, qui ont construit le monde
moderne et qui ont donc écrasé la culture.
Péguy
ne définit pas l’histoire véritable, mais il définit sa méthode comme une
« histologie ethnique »[185] Il est évident que par
cette juste méthode historique il entend la méthode de « présence »
qu’il a en partie héritée de Michelet et qu’il a développée dans sa propre
conception de la méthode historique. Dans le chapitre intitulé « Sur
l’essence de l’historique. L’importance de la légende », Berdiaev parle
d’une méthode semblable : « Pour pénétrer dans ce mystère de l’historique,
je dois tout d’abord concevoir cet historique en tant que profondément mien et cette histoire en tant que
profondément mienne, comme le destin profondément mien. Je dois m’insérer dans le destin
historique et le destin historique doit être inséré dans ma propre profondeur
humaine »[186].
Nous
avons déjà parlé de cette méthode à propos de l’œuvre de Péguy dans notre
communication sur « Jeanne d’Arc et l’histoire selon Péguy », faite à
Helsinki et publiée dans le numéro 14 du Porche[187]. Rappelons seulement
qu’elle réside dans l’union exceptionnelle de la vision de l’histoire comme message
éternel du Christ, présent dans l’âme de chaque personne, et de la présence de
l’artiste aux côtés de son héros comme le chroniqueur vivant des événements.
La
vision originale de l’histoire sous l’optique du christianisme, ce que Jean
Milet appelle la « christologie historique »[188], unit sans doute les deux
philosophes. La thèse initiale de toutes leurs réflexions sur l’histoire est
l’idée que le phénomène du Christ est l’événement central de l’histoire
chrétienne. Berdiaev écrit : « C’est vers cet irreproduisible fait
central que toute l’histoire mondiale s’avançait et c’est de ce fait qu’elle
part. Cette unicité et singularité historique, ce lien qui existe entre
l’histoire céleste et l’histoire terrestre ont dans le monde chrétien une
construction historique complexe où se sont croisées toutes les forces
principales de l’histoire spirituelle antérieure »[189]. Dans l’Ève de Péguy
il y a des passages remarquables sur la venue du Christ, sur l’insertion de
l’éternel dans le temporel qui a exigé une préparation historique de longue
durée. Des millions d’années, puis des siècles l’Humanité avait préparé la voie
à l’apparition de l’Homme-Dieu, du Christ. Tous les événements de l’histoire
l’avaient pour le but :
Il allait hériter de l’empire et de Rome,
[…]
Il allait hériter du monde occidental[190].
Les pas des légions avaient marché pour lui.
Les voiles des bateaux pour lui s’étaient gonflées.
[…]
Et les pas d’Annibal avaient marché pour lui.
[…]
Les éléphants d’Afrique avaient marché pour lui[191].
Dans Le Mystère de la
charité de Jeanne d’Arc, Jeannette dit que c’est avec la venue du Christ
que le monde « avait connu la plus grande histoire de la terre »[192]. Car il n’y avait
« nulle autre histoire de la terre »[193].
Et aussi la plus grande histoire des cieux.
La plus grande histoire du monde.
La plus grande histoire de jamais.
La seule grande histoire de jamais.
La plus grande histoire de tout le monde.
La seule histoire intéressante qui soit jamais arrivée.[194]
Et plus loin nous lisons les
lignes inoubliables sur la présence éternelle du Christ chez les êtres humains
et dans l’histoire :
Il est là.
Il est là comme au le premier jour.
Il est là parmi nous comme au jour de sa mort.
Eternellement il est là parmi nous autant qu’au premier jour.
Eternellement tous les jours.
Il est là parmi nous dans tous les jours de son éternité [195]
Il faut reconnaître, que
l’idée de la fusion du Temporel et de l’Éternel, présente dans toute œuvre de
Péguy et si familière à ses lecteurs, est formulée en pleine mesure par
Berdiaev :
La perception de l’histoire est impossible sans un moment dynamique et créatif, sans une continuation, un achèvement créatifs dans l’histoire, sans un élan créatif vers la solution historique. Ainsi il doit exister un lien intérieur avec le passé, un retour le plus profond aux monuments du passé et l’audace de l’élan créatif […]. Une telle conception du processus historique où se réalise l’union du temporel et de l’éternel, se rapprochent et s’identifient l’historique et le métaphysique, ce qui nous est donné dans les faits historiques, dans l’incarnation historique et ce qui se révèle dans la réalité spirituelle la plus profonde, nous amène à l’union des histoires terrestre et céleste.[196]
Quand ils traitent du sens
de l’histoire, les deux philosophes le font en s’appuyant sur la métaphysique
et l’existentialisme chrétien. On dit que Péguy est le poète de l’Incarnation[197]. Pour lui c’est
l’Incarnation, l’union intime en Jésus-Christ de la nature divine avec une
nature humaine, qui est le centre de l’histoire. Il y revient dans presque
toutes ses œuvres, surtout dans Ève, dans Clio, dans ses Mystères.
L’Incarnation, c’est un événement dans son sens suprême, l’événement par
excellence. C’est le moment où l’histoire puise tout son sens, le moment le
plus mystique et par conséquence, historique : « L’Incarnation n’est
qu’un cas culminant, plus qu’éminent, suprême, un cas limite, un suprême
ramassement en un point de cette perpétuelle inscription, de cette (toute)
mystérieuse insertion de l’éternel dans le temporel, du spirituel dans le
charnel »[198].
Berdiaev, pour parler de ce
mystère de l’histoire, utilise des termes différents, mais l’essentiel est
identique. Il affirme que l’histoire présume le phénomène de l’Homme-Dieu comme
une corrélation du Divin et de l’être humain, de la nécessité divine et la
liberté humaine mystérieuse et ineffable. Citons encore Le Sens de
l’Histoire :
La révélation de l’histoire n’est concevable pour nous, pour l’esprit humain, qu’à travers le Christ, Homme parfait et Dieu parfait, union parfaite, la naissance parfaite de Dieu dans l’homme et de l’homme dans Dieu, par la révélation divine à l’homme et la révélation humaine à Dieu. L’homme absolu – le Christ, fils de Dieu et fils humain – est le centre des histoires terrestre et céleste. Il est le lien intérieur spirituel entre ses deux destins. […] L’histoire n’existe que par le fait que le Christ est dans son cœur. C’est le Christ qui est la base et la source la plus profonde mystique et métaphysique de l’histoire, de sa destinée dramatique et tragique.[199]
On peut trouver beaucoup
d’autres affinités étonnantes dans la perception du mystère du processus
historique chez Péguy et Berdiaev. Je me permets de m’arrêter sur l’une
d’elles. Dans Notre jeunesse il y a des lignes qui au premier regard
paraissent paradoxales. Péguy dit que l’affaire Dreyfus est devenue l’affaire élue,
une crise éminente dans trois histoires éminentes – l’histoire d’Israël,
l’histoire de la France et l’histoire de la chrétienté[200] –, ainsi que de trois
mystiques – juive, chrétienne et française.[201] Cette déclaration reprend
son idée fondamentale des grandes périodes de l’histoire, où l’humanité aurait
vécu trois grandes époques, selon l’expression de Jean Milet, des
« aventures spirituelles » : le Judaïsme, le Christianisme, la Révolution
de 1789. La quatrième serait l’affaire Dreyfus.
Arrêtons-nous sur le
judaïsme. Péguy a non seulement toujours éprouvé une admiration profonde à
l’égard du judaïsme, il croyait Israël l’incarnation même du mysticisme. Il y
en a beaucoup de témoignages dans son œuvre : les articles dans les
« Cahiers » pour la défense des juifs, les pages ardentes consacrées
à Bernard Lazare, les grands passages de Notre jeunesse où il parle du
peuple d’Israël avec tant de compassion, de sympathie et de pénétration.
Pourquoi est-il tellement
attiré par le judaïsme ? Pourquoi croit-il que c’est dans le judaïsme
qu’il faut chercher les sources du mysticisme chrétien et de l’histoire
chrétienne ? Tout d’abord à cause de la dévotion de ce peuple et de son
prophétisme. « Israël a fourni des prophètes innombrables ; plus que
cela elle est elle-même prophète, elle est elle-même la race prophétique. Toute
entière, en un seul corps, un seul prophète ».[202] C’est, ensuite, à cause de
son dynamisme. C’est le peuple qui ne s’arrêtera jamais, qui cherchera toujours
sa Terre Promise, c’est le peuple de l’Espérance, c’est le peuple de l’Exode.
Péguy l’appelle « cette race élue de l’inquiétude »[203] et écrit : « Être
ailleurs, le grand vice de cette race, la grande vertu secrète, la grande
vocation de ce peuple. Une renommée de cinquante siècles ne le mettait point en
chemin de fer […]. Toute traversée pour eux est la traversée du désert. Les
maisons les plus confortables […] ne sont jamais pour eux que la tente du
désert […]. Ils sont toujours sur le dos des chameaux »[204]. C’est le peuple mobile et,
par conséquence, historique, jamais satisfait, le seul dont la mystique soit
restée, selon Péguy, pure, le seul qui soit resté saint et fidèle à la parole
de Dieu pendant 3000 ans et dont l’histoire a trouvé un achèvement exceptionnel
dans le christianisme.
Dans Le Sens de
l’Histoire, Berdiaev a consacré au judaïsme une partie du chapitre
« Sur l’essence de l’historique, le métaphysique et l’historique » et
le chapitre intitulé « Le destin du monde juif ». Il serait absurde
de croire qu’il y a une convergence complète des idées des deux philosophes sur
ce problème, mais on ne peut pas négliger des échos étonnants. Tous les deux
réfléchissent sur les sources de l’historique et le cherchent dans l’hellénisme
et dans le judaïsme. Tous les deux sont persuadés du prophétisme et de
l’historisme profonds du peuple juif, c’est-à-dire de son mysticisme, de
l’achèvement que sa mystique a trouvé dans le christianisme. Nous lisons chez
Berdiaev :
Comment a-t-on réalisé pour la première fois que l’histoire se produit, qu’il y a une spéciale réalité véritable que nous appelons le monde historique, le mouvement historique, le processus historique ? Pour y répondre nous devons nous adresser au monde des Hellènes et au monde des Juifs. […] En effet, l’histoire est un drame qui a ses actes s’accomplissant du premier au dernier, qui a son début, son évolution intérieure, sa fin, sa catharsis, son achèvement. Cette conception de l’histoire comme tragédie était étrangère à la conception des Hellènes, mais existait dans l’esprit et dans la conscience de l’ancien Israël. L’idée de l’historique est apportée dans l’histoire mondiale par les Juifs et je crois que la mission principale du peuple juif était d’apporter dans l’histoire de l’esprit humain cette conception de l’achèvement historique. […] L’idée de l’histoire est rapportée à l’attente de l’évènement qui se produira et qui résoudra l’histoire. Ce caractère de la structure historique se construit pour la première fois dans la conscience juive. […] Ce prophétisme de la conscience juive, cette adresse à l’avenir construisait non seulement la philosophie de l’histoire, mais l’historique.
Et il achève comme s’il
continuait l’idée de Péguy :
Si le peuple juif a conçu pour la première fois la réalité de la philosophie de l’histoire, la philosophie de l’histoire véritable comme un domaine particulier de la connaissance spirituelle et comme une forme particulière de la perception spirituelle du monde n’est propre qu’au monde chrétien, qu’à la conscience chrétienne. Il y a un lien entre la chrétienté et l’histoire qui n’existe dans d’autres religions.[205]
En conclusion, revenons au
titre de cette communication.
La
conception historique de Péguy n’est pas encore étudiée et révélée. C’est
toujours le secret, le mystère. Il ne faut pas, peut-être,
« l’éplucher », car Péguy a toujours détesté l’analyse scientifique,
les définitions, les classifications et les étiquettes de toutes sortes. À son
avis, une fois analysée, l’œuvre meurt. Mais revenons à Berdiaev dont la
philosophie de l’histoire, ou plutôt l’historiosophie, est, comme nous avons
essayé de le montrer, très proche de celle de Péguy. Nous lisons :
« L’histoire est l’achèvement au sens intérieur, un mystère[206] qui a
son début et sa fin, son centre, son action qui s’enfile, l’histoire avance
vers le fait –l’apparition du Christ, et part du fait – l’apparition du Christ.
Ceci définit le dynamisme le plus profond de l’histoire ». Dans ce passage
le mot « mystère » a un sens différent : c’est le drame, la vie
et l’art ensemble. Une semblable perception de l’histoire aurait sans doute
séduit Péguy qui créa ces Mystères inoubliables, dont le sens profond rejoint
celui de ce dernier passage de Berdiaev.
Tatiana Victoroff
Université de Strasbourg
Il semble difficile à
première vue d’imaginer côte à côte deux écrivains aussi différents que Charles
Péguy et mère Marie : un poète français, inventeur d’une phrase rythmique
lente et répétitive, et une poétesse russe héritière du style épuré et concis
du symbolisme russe ; un croyant en marge de l’Église catholique, isolé,
et une religieuse orthodoxe, ancienne
socialiste-révolutionnaire, devenue en France moniale « dans le
monde »[207].
Cependant, même une lecture
rapide révèle une certaine proximité entre eux. La parenté ressentie par les
Russes de l’émigration à l’égard de Péguy a déjà été soulignée à plusieurs
reprises – on peut rappeler ici les articles de Léon Zander, Vladimir Weidlé,
jusqu’aux recherches récentes de Nikita Struve et de Romain Vaissermann[208]. C’est cette ligne que je
voudrais poursuivre, avec la présentation d’un auteur qui partage pleinement
cette admiration des Russes pour Péguy, comme on le sait grâce au témoignage du
père Lev Gillet.
Pour autant, ce n’est pas
d’influence qu’il s’agit quand nous juxtaposons ces deux noms, le terme serait un peu forcé ; il
s’agit plutôt d’un dialogue, d’une consonance de leurs thèmes, de certains
procédés, de leur vision du christianisme – trois points sur lesquels nous
concentrerons notre attention, en nous limitant à l’analyse de deux
mystères : Les Saints Innocents
de Péguy, datés de 1912, et Les sept
coupes de mère Marie, écrites 30 ans plus tard. Dans les deux cas, la
définition générique est donnée par l’auteur. Ce n’est pas la seule fois où ils
se tournent vers ce genre : chez
Péguy, en dehors des deux autres mystères bien connus, il existe un fragment du
Mystère de l’Enfant prodigue[209]. Chez mère Marie, outre deux
autres mystères également (Anne et Les Soldats), est conservé dans les
archives un Prologue très prometteur,
où Satan demande à Dieu un nouveau Job pour répéter son expérience dans notre
siècle, et vient le chercher dans
« la capitale du monde » : Paris. Hélas, le texte s’interrompt
là.
Le
mystère, qui dans les années 1910-1930 connaît une renaissance à travers toute
l’Europe, y compris en Russie, apparaît aux deux auteurs comme une forme
organique pour parler de la réalité spirituelle qu’ils voient se manifester à
l’époque moderne de façon très dense, non
moins fortement qu’au Moyen-Âge. « Au milieu des ténèbres profondes nos
yeux ont appris à distinguer les signes dans le ciel. Ils ont vu l’Ange enlever
le sceau, lentement, du livre de la Révélation »[210],
écrit mère Marie.
Le
livre de l’Apocalypse se déchiffre ainsi dans l’histoire contemporaine – car
pour mère Marie comme pour Péguy, c’est une époque qui porte en soi
l’annonce de sa propre fin : « notre
temps » (que ce soit l’époque de
la Première ou de la Seconde guerre mondiale) se révèle pour tous deux comme
une condensation du drame eschatologique de l’histoire.
La façon d’exprimer cette vision prophétique est tout à fait
différente : le style développé de Péguy contraste avec le vers bref et
abrupt de mère Marie. Paradoxalement, l’effet reste presque le même. Comme
l’écrivait Vladimir Weidlé à propos de Péguy, « sa prolixité n’est pas
celle des autres : il frappe à nos cœurs à coups répétés, infatigable […]
Comme Cézanne laissait blancs des bouts de toiles quand il ne trouvait pas la
juste nuance, ainsi Péguy propose parfois à son lecteur un choix de mots, ou
même de morceaux de mots, quand entre plusieurs possibilités il ne sait choisir
la meilleure »[211]. Mère Marie, elle aussi,
réveille notre cœur par sa poésie, mais fixe celle-ci dans une forme brute,
ardente, n’ayant pas le temps de choisir la meilleure. Ses archives sont
parlantes à cet égard : des fragments d’une écriture large, jetée sur le
papier.
La consonance profonde malgré la différence de forme se
retrouve au niveau de la poétique. La catégorie du « mystère » chez
Péguy est souvent discutée. Il joue sur la double étymologie du mot, latine et
grecque. Selon Marcel Péguy, le mot plaisait aussi à son père par son côté un
peu provocateur, pour « embêter les sorbonnards, qui démontraient qu’il
fallait écrire mistère, de ministerium »[212].
Pour certains chercheurs il s’agit d’un « drame intérieur »[213], qui n’a rien à voir avec le mystère médiéval[214]. Pourtant Péguy lui-même se réfère au genre médiéval et son premier projet était de réécrire le drame sur Jeanne d’Arc en mystère cyclique pour des représentations annuelles comme au Moyen-Âge, en lien avec les pèlerinages à Orléans. Mais en même temps, Péguy invente une forme tout à fait novatrice, qui rappelle la « révolution esthétique » du XIXe siècle, avec le passage de la littérature du régime représentatif à un nouveau mode d’expression[215]. La parole en acte (qui faisait la force particulière du mystère médiéval) est ici remplacée par les moyens puissants du langage, destinés au lecteur plutôt qu’au spectateur. Et la parole de Péguy devient pratiquement inépuisable dans ses enchaînements et ses refrains, nous renvoyant à la longueur et aux procédés d’agencements scéniques des mystères médiévaux, qui ne craignaient pas les répétitions.
Le mystère de mère Marie est beaucoup plus court et moins original dans ce sens, mais elle aussi met l’accent sur la force expressive et spirituelle qu’elle trouve dans le langage poétique. Elle aussi, pour créer son premier mystère « Anne », réécrit un drame de jeunesse en mettant de tout autres accents. Partant chacun de sa propre tradition littéraire moderne (dramaturgie symboliste et claudelienne, comme l’a remarquablement montré M. Autrand[216], pour Péguy, et les recherches autour du mystère dans le milieu des symbolistes russes pour mère Marie), tous deux s’appuient finalement sur les éléments essentiels de la poétique du mystère.
Les deux textes se déroulent
autour d’une vision globale : le sujet de Péguy, annoncé par le titre,
nous renvoie au début du Nouveau Testament ; le sujet de mère
Marie, au contraire, à sa fin (les sept coupes sont un des signes de la fin du
monde, décrit dans le chapitre IX de l’Apocalypse). Mais en même temps
les deux textes, héritant le procédé essentiel du mystère médiéval, parlent de
toute l’histoire biblique. Péguy, pour parler du Christ, met en scène l’histoire
de Joseph, vendu comme esclave par
ses frères. Mère Marie interprète les sept coupes comme la suite des châtiments
qui » changent sous nos yeux l’aspect du monde »[217], où l’esclavage prend les
traits de la captivité allemande[218], ou ceux du système
totalitaire.
Ainsi les deux textes, suivant le principe du mystère, récapitulent l’histoire de l’humanité mise en scène chez les deux auteurs par les voix de deux personnages. Chez Péguy, comme dans ses mystères précédents, ce sont Jeannette et Madame Gervaise. Chez mère Marie il s’agit de Jean l’Évangéliste et de son élève Prokhor qui contemplent depuis l’île de Pathmos les signes de l’Apocalypse en train de se dérouler sur terre (le chômage, le travail forcé, le système totalitaire et les phénomènes de masse, enfin le persécution des juifs, présentés comme une série d’« interludes »).
Dans
cette conversation du maître et de son élève sur les destinés ultimes de
l’humanité les deux textes ont en commun certains thèmes-clés. Ainsi les variations sur « le mystère de la liberté de
l’homme » (Œuvres
poétiques complètes, éd. M. Péguy,
Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 714) de Péguy trouvent un
écho chez mère Marie qui interprète une des coupes de colère comme une punition pour « la trahison de la liberté
divine » de l’homme contemporain qui choisit le chemin de la facilité en
« se soumettant à la volonté de l’autre » (p. 86). Tandis que
Péguy écrit « La servitude est un air qu’on
respire dans une prison [...] mais la liberté / est un grand air que l’on
respire dans une belle vallée [...] Où il y a un certain goût de l’air pur et
du grand air / qui fait les hommes forts » (p. 718). L’homme qui, pour
Péguy « est le plus beau reflet qu’il y ait dans le monde de la
liberté du Créateur » (p. 715), devient pour
mère Marie co-créateur avec Dieu.
Un autre thème commun est la méditation sur les deux Testaments,
centrale dans les mystères de Péguy et de
mère Marie. « Tout l’ancien testament, écrit Péguy, est une figure,
une image d’ensemble et de détail / très fidèle, très exacte / (mais
fidèlement inversé, exactement inversé) / Du nouveau testament dans son
ensemble et dans son détail » (p. 780). Mère Marie souligne également cet
effet de miroir : « c’est toujours vous, immortels dans la répétition
/ ô figures vivantes des livres bibliques »[219].
Cette lecture figurative,
que nous avons déjà évoquée implicitement en parlant de la capacité des deux
mystères à présenter dans un épisode
particulier l’ensemble des Écritures, renvoie au principe de consonance qui est
posé ici au fondement des deux textes (ainsi, on reconnaît Job dans le juif
persécuté chez mère Marie, p. 96). Chez Péguy ce procédé se manifeste aussi au
niveau de la structure (alternance des voix, dans une lecture simultanée de l’Ancien
et du Nouveau Testament[220]).
Dans cette construction en parallèle « deux côtés [s’élèvent] vers la clef de voûte » (p. 782) et « l’ancien testament est symétrique au nouveau » (p. 781), ce que mère Marie voit pour sa part dans la tragédie du peuple juif qu’elle va bientôt partager : c’est ce peuple qui personnifie chez elle l’Ancien Testament, et qui ouvre la marche de l’humanité en route pour le Royaume pour l’accomplissement du Nouveau.
Pour Péguy aussi cette
alliance permet de se placer au cœur de la modernité. Jeannette interrompt
impatiemment la lecture de l’Ancien Testament par Madame Gervaise :
« Et aujourd’hui / et à présent c’est nous ce peuple qui est pressé de la
famine / et nous crions vers Dieu / lui demandant de quoi vivre » (p.
757). Et cet « aujourd’hui » n’appartient pas au siècle de Jeanne
d’Arc, mais bien à celui de l’auteur qui parle, à travers
l’image des saints Innocents, de « vingt siècles de martyrs » (p.
821).
Ainsi, nous sommes en
présence d’une conception figurative du temps et de l’histoire propre au genre
du mystère : l’éternité et le présent sont liés, l’instant se manifeste
comme la continuité du passé et
l’anticipation de l’avenir. Il est intéressant dans ce sens que Péguy se réfère plutôt au passé, d’où un
sentiment du temps très particulier, engendré par la répétition des leitmotivs
(p. 782) qui resurgissent, créant un
état d’attente, un effet de tournoiement. Mère Marie exprime, de façon beaucoup
plus simple, le même sentiment du temps (« le cycle de vingt siècles est
achevé. Nous sommes au commencement » (p. 33). Mais, en se tournant vers le passé, elle parle de l’avenir
comme déjà réalisé, selon la trajectoire du mystère qui mène l’humanité vers le
salut universel. Dans les deux textes ce mouvement vers le salut est représenté
comme une procession. Chez mère Marie, c’est l’exode des peuples (semblable à
l’icône orthodoxe du Jugement Dernier), avec le peuple juif au premier plan (interlude VIII, Israël).
Insistant sur le salut (« la création mènera au salut », affirme Jean
face à l’enchaînement des catastrophes, p. 93), l’auteur va jusque une interprétation inattendue :
les coupes des deux derniers anges se transforment en coupes de Salut[221].
Chez Péguy, les processions
vers cet horizon spirituel sont multiples et étonnantes : dans un même
cortège marchent les prophètes et les saints, mais aussi « les 46 livres
de l’Ancien Testament devant les 4 Évangiles et les Actes
et les Epîtres et l’Apocalypse » (p. 747), et encore
« Adam devant Jésus-Christ » (p. 748) – toujours dans l’optique du
croisement des deux Testaments. Ces processions réunissent les divers
leitmotivs du texte et orientent vers
la scène finale. On voit bien ici que la répétition chez Péguy a une valeur symbolique et structurale :
elle joue le rôle d’une variation,
comme dans l’architecture gothique (pour reprendre la métaphore suggérée par
Péguy). La variation, disposée selon le principe du reflet ou de la symétrie,
s’inscrit dans l’ensemble, et mène vers « le centre, le cœur, la voûte, la
clef » (p. 801) « qui parachève » l’édifice. Cette voûte dans
l’architectonique du mystère est la vision du Paradis.
Pour cela Péguy, comme mère
Marie, appelle à témoin Jean l’Évangéliste, avec sa « Vision de l’Agneau
et des 144 000 », l’épisode célèbre du chapitre 14 de l’Apocalypse. Dans
sa lecture de cet épisode, les
144 mille « enlevés de terre » sont les Saints Innocents, et c’est
donc leur image qui personnifie le Paradis. Il est intéressant de remarquer à
quel point ce texte s’est transformé par rapport au projet initial (qu’on
connaît grâce à la lettre de Péguy à Joseph Lotte[222]). Alors que la description
du Paradis se faisait par une longue série de métaphores très suivies, l’auteur
le décrit désormais comme « tout ce qu’il y a de plus
simple », où les Innocents « jouent avec la palme et les
couronnes de martyrs », en chantant un « cantique nouveau » (p. 823).
Mère Marie, pour sa part nous laisse dans le silence devant la porte du Paradis (le deuxième
juif : « Regarde, les premiers rangs se bousculent dans une terreur
inattendue. Que se passe-t-il ? » / Le troisième juif :
« J’aperçois les ailes d’un ange, des trompettes d’argent sonnent. Mon
Dieu, c’est le seuil du Jugement Dernier »[223]). Elle ne cherche ni à
définir, ni à décrire le Paradis, elle évoque sa présence par la rupture dans
le texte – et nous ramène après cet interlude à Pathmos où les
visionnaires annoncent aux spectateurs : « Selon ce qui était
écrit tout s’est accompli ». Mais même pour eux la vision reste incomplète
(Jean : « Vois-tu l’ange ? Vois-tu l’armure ? » / Prokhor :
« Je ne vois pas, mes yeux sont aveuglés par la lumière. Elle remplit
tout, c’est une lumière aveuglante… Elle me fait mal, elle me remplit de joie…
Père, nous entrons dans le monde céleste, dans le monde du Royaume, de la
lumière sacrée »[224]).
Ainsi, la vision
apocalyptique se transforme en rayonnement, en espérance. À la différence des
textes médiévaux, Péguy et mère Marie s’arrêtent « au seuil » de ce
mystère. Dans les deux cas, on voit une tendance vers la simplification :
l’image » dépouillée » (p. 823) dans une structure complexe chez
Péguy et l’absence d’image chez mère Marie. Cette approche, propre à
l’esthétique du XXe siècle (qui hésite à nouveau entre présentation
et représentation du sacré, problème connu dès les débuts du drame religieux),
fait penser aussi aux deux modes d’approche du divin définis par Denys
l’Aréopagite : la voie apophatique et la voie cataphatique. Ainsi Péguy,
qui commence par le chemin affirmatif, se tourne vers le chemin négatif[225], qui pour mère Marie est le
seul possible.
On voit donc deux formes
différentes du mystère moderne : la cathédrale voûtée, l’arbre aux branches entrelacées, la polyphonie des voix (Péguy nous propose
beaucoup d’images pour parler de son œuvre), et le message simple et expressif
de mère Marie. Ils se trouvent cependant en consonance, dialoguant non
seulement par les thèmes, les références communes et la poétique du genre –
mais par une vision proche du christianisme dans une époque où selon eux
« il faut être héroïque »[226].
Cette
parenté se manifeste dans de nombreuses facettes de leur œuvre – poèmes,
articles polémiques, où leurs pensées s’entrecroisent sans cesse. Ainsi
pour tous deux, « travailler c’est prier »[227].On
sait à quel point mère Marie choquait son milieu par l’incarnation directe
de cette pensée dans la vie quotidienne. Le cas de Péguy de son côté (mais
d’une autre façon) ne s’inscrit pas dans la tradition catholique. William Bush
(dans un exposé en 1971[228])
avait déjà rapproché sur ce point Péguy et mère Marie comme deux personnalités
qui « bravent l’opinion des chrétiens bien-pensants »[229] et
témoignent à la fois d’une haute spiritualité. En évoquant les traits qui
rapprochent la pensée de Péguy de l’orthodoxie (où il y a « place au
scandale de la sainteté »), William Bush prend l’exemple de mère Marie qui
« a scandalisé ses frères, pour ne rien dire de ses sœurs orthodoxes,
par sa manière originale de réaliser sa vocation de femme vouée à Dieu jadis
deux fois divorcée » (p. 14-15).
On peut ajouter que Péguy,
sans le savoir, a donné peut être la meilleure définition de cette sainteté
paradoxale qui ne pose que des difficultés (mais qui vient pourtant d’être
reconnue dans le cas de mère Marie par le patriarcat de Constantinople). Il écrit
dans Le Porche du mystère de la deuxième
vertu : « il y a double recrutement des saints […] il y a ceux
qui sortent des justes / Et il y a ceux qui sortent des pécheurs […] Ceux qui
n’ont jamais inspiré d’inquiétudes sérieuses / Et ceux qui ont inspiré une
inquiétude / Mortelle. […] Ceux dont on n’a jamais rien craint, rien redouté de
sérieux, et ceux dont on a failli désespérer / Quel grand combat » (Œuvres
poétiques complètes, éd. M. Péguy, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,
1975, p. 618).
Un combat que tous deux ont
connu lors de leur passage des idéaux sociaux-révolutionnaires au christianisme
ou lors de l’éloignement et du retour à la foi dans les moments difficiles
de leur vie. Dans l’édification de la Cité Harmonieuse ou Cité Nouvelle[230], comme dans les recherches
spirituelles, la question sociale et le souci du prochain ne sont jamais
oubliés.
Chez Péguy et mère Marie
l’œuvre est absolument inséparable de la personnalité. Revenons au témoignage
de Weidlé sur Péguy : « quel que soit le thème sur lequel il écrit,
il est présent dans chaque mot, et il est prêt à répondre pour chaque
mot »[231] – cette phrase s’applique
aussi très exactement à mère Marie, qui a répondu pleinement de sa parole, qui
est une parole de feu, en s’immolant dans la chambre à gaz, comme Péguy a péri
sur le champ de bataille. Deux morts comme des graines qui portent du fruit
nouveau, et qui, comme dans le final de leur dernier mystère, sont la marque,
non de la fin, mais d’un début.
catalogue 1996-2004
Voici
le sommaire des articles des numéros 1 à 17 – sans oublier les « 1
bis » et « 6 bis » – de notre Porche, bulletin de
l’Association des Amis du Centre Jeanne d’Arc – Charles Péguy de
Saint-Pétersbourg (octobre 1996 – mai 2002) devenu, en juillet 2002, Le Porche. Bulletin
de l’Association des amis de Jeanne d’Arc et Charles Péguy.
« en coll. » = en collaboration
« rés. » = résumé
O. A. Abachéva |
Le libertin-comédien dans Les
Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos (en coll.) |
11 |
35-40 |
Anonyme (Gaston Boyer) |
Présentation de la Saint-Do à Notre-Dame
de Lourdes |
6 |
65-68 |
John A’Beckett |
Existe-t-il une Jeanne d’Arc
dramatique ? |
7 |
17-22 |
V. V. Afanassiev |
Jeanne, Pucelle de Dieu du prince Serge Serguéïévitch Obolenski (rés.) |
1 bis |
12-13 |
Youri Akimov |
Au service de la France et de la
Russie : le baron Johann-Hermann von Diskau (rés.) |
17 |
37-38 |
Véronique Altachina |
Paris dangereux chez Choderlos de
Laclos et L. Filatov |
12 |
86 |
Constantin Andrianov |
L’idée de la royauté sous Charles VI
et la conception du pouvoir monarchique français (rés.) |
17 |
34-37 |
E. K. Andrianova |
Les relations littéraires
franco-russes : histoire de la question (rés.) |
1 bis |
19-20 |
Mikhaïl Anikiev |
Les raisons de la catastrophe de
Nicopolis |
6 |
9-28 |
Jeanne d’Arc |
« Vous, Anglais, qui n’avez aucun
droit […] » |
12 |
127 |
S. You. Arsénéva |
Charles Péguy Alain-Fournier et
Alexandre Blok : la révolution ou Dieu (rés.) |
1 bis |
8 |
Charles Péguy et Alain-Fournier :
la révolution ou Dieu |
2 |
34-37 |
|
N. A. Assanova |
Romain Rolland et Péguy :
panthéisme et philosophie de la vie (rés.) |
1 |
14 |
Trois Rois des Aulnes (rés.) |
1 bis |
15-16 |
|
Trois Rois des Aulnes
|
3 |
70-73 |
|
Bernard Auzanneau |
Bernanos et les Russes : une
fraternité d’âmes |
7 |
57-64 |
I. Auzanneau |
Jules Verne et la Russie |
7 |
39-46 |
Florent Avril |
Péguy dans les encyclopédies des pays
de l’Est (1960-1980) – en coll. |
11 |
77-78 |
Yves Avril |
Inauguration du Centre Jeanne
d’Arc-Charles Péguy à Saint-Pétersbourg |
1 |
5 |
Jeanne d’Arc et Péguy enseignés
aujourd’hui en Russie (rés.) |
1 |
7 |
|
Présentation du colloque |
1 bis |
3 |
|
À nos amis |
2 |
2-3 |
|
À nos amis |
3 |
2 |
|
À nos amis |
4 |
3 |
|
Trois amis disparus |
4 |
5-6 |
|
Un correspondant des Cahiers en
Russie ou Étienne Avenard entre Jaurès et Péguy |
4 |
79-86 |
|
À nos amis |
5 |
2 |
|
Bref compte rendu du Centre polonais
Jeanne d’Arc-Charles Péguy « L’Europe de l’Espérance » |
6 |
4-5 |
|
Impasse et vocation de
l’intellectuel : de Lorenzaccio à Vladimir Korolenko |
6 |
75-79 |
|
À nos amis |
6 bis |
5 |
|
Péguy en
Finlande |
6 bis |
31-47 |
|
Tu ne tueras
point
|
6 bis |
50-52 |
|
À nos amis |
7 |
3 |
|
Un article de Maximilian Volochine sur
Péguy |
8 |
105-113 |
|
À nos amis |
9 |
3 |
|
À nos amis |
11 |
3 |
|
Le Porche, Association des Amis de
Jeanne d’Arc et de Charles Péguy |
11 |
9-10 |
|
Iouri Konstantinovitch Térapiano.
Présentation |
11 |
72 |
|
Péguy dans les encyclopédies des pays
de l’Est (1960-1980) – en coll. |
11 |
77-78 |
|
À nos amis |
12 |
5 |
|
Rome et Saint-Pétersbourg : la
fuite et l’exil |
12 |
83-84 |
|
À nos amis |
13 |
3-4 |
|
Vérité de l’étymologie |
13 |
15-18 |
|
La langue komi |
13 |
65-66 |
|
Chers amis |
14 |
1 |
|
Pourquoi un colloque Jeanne d’Arc –
Charles Péguy en Finlande ? |
14 |
5-7 |
|
Chers Amis |
15 |
3-4 |
|
Chers Amis |
16 |
3 |
|
Chers
Amis |
17 |
3 |
|
E. You. Bachkirova |
Les Français à Saratov |
5 |
14-24 |
La correspondance de Vladimir Pozner
et Konstantin Fédine |
6 |
95-104 |
|
Cécile Balavoine |
Zola et Huysmans à Lourdes, entre
pureté et décadence, entre fin de siècle et fin des temps |
15 |
24-27 |
Jean Bastaire |
Sous le patronage de Jeanne d’Arc et
de Péguy (rés.) |
1 |
8 |
Danièle Beaune-Gray |
Georges Fédotov, lecteur de Péguy |
8 |
45-51 |
Pauline Bernon |
Jeanne d’Arc en clair-obscur |
8 |
36-44 |
Sixième colloque du Centre Jeanne d’Arc
– Charles Péguy de Saint-Pétersbourg |
9 |
5-9 |
|
Le colloque de Helsinki |
11 |
5-7 |
|
Monuments et découvertes |
12 |
57-66 |
|
Les jardins de Péguy |
14 |
99-111 |
|
Le colloque de Lyon (22-24 avril 2004) |
16 |
5-6 |
|
Margarita Biélaïa |
Présence du miracle : la Jeanne
d’Arc d’Harold Strelkov |
8 |
114-115 |
Inna A. Bitiougova |
Dostoïevski et Péguy (rés.) |
1 bis |
3-4 |
Dostoïevski et Péguy |
3 |
19-31 |
|
Fedor Batiouchkov et l’héritage de
Dostoïevski dans l’œuvre de Vladimir Korolenko |
9 |
39-44 |
|
N. Bodroukhina |
La France et les écrivains russes
(rés.) |
1 bis |
21-22 |
Baudelaire dans la littérature russe |
6 |
81-94 |
|
Philippe Bonnichon |
Quelques aspects des relations entre
la France et la Russie au siècle des Lumières |
3 |
32-43 |
Olivier Bouzy |
Le parler lorrain de Jeanne d’Arc |
13 |
37-40 |
Valéry Brioussov |
Au Teuton |
10 |
16-19 |
Jacques Broche |
Berlioz et la Russie |
7 |
31-34 |
En septembre à Varsovie |
17 |
4-5 |
|
L. Burac |
Impressions de colloque |
4 |
4 |
Robert Burac |
Charles Péguy et le totalitarisme de
gauche |
4 |
60-62 |
Mariana Chakhnovitch |
L’épicurisme dans la vie
intellectuelle du XVIIIe siècle |
7 |
23-30 |
L’image de la « pucelle
guerrière » dans les mentalités française et russe (en coll.) |
8 |
86-89 |
|
L’eudémonisme et la littérature
« fin de siècle » |
11 |
55-57 |
|
Marc Champigny |
Allocution de clôture |
14 |
8 |
Lioudmila Chvédova |
Jeanne d’Arc et la cathédrale dans
l’œuvre de Charles Péguy |
8 |
52-61 |
La France des cathédrales par les
poètes russes |
10 |
9-11 |
|
Une traduction de Péguy en russe |
11 |
11-12 |
|
L’art gothique chez Charles Péguy et
Maximilien Volochine |
12 |
45-56 |
|
Péguy et Hugo, amoureux de
l’architecture |
14 |
82-89 |
|
Métamorphoses de la cathédrale chez
Charles Péguy et ses contemporains |
17 |
55-66 |
|
Hélène Daillet-Naveau |
La genèse du Porche du mystère de
la deuxième vertu de Charles Péguy (rés.) |
1 bis |
9 |
De la Suite du Mystère de la charité
au Porche du mystère de la deuxième vertu de Charles Péguy |
3 |
8-12 |
|
Le Mal dans l’imaginaire français
(1850-1950). Éthique et esthétique chez Péguy : un combat sur deux
fronts |
4 |
27-37 |
|
Jean-Marie Daillet |
Intégration dans la culture
mondiale : la Russie et l’Europe, une décision européenne |
11 |
15 |
Victor-Henri Debidour |
La leçon de Péguy |
16 |
35-46 |
Hélène Nafieva Djoussoïéva |
Heureux présage au seuil du XXIe
siècle (rés.) |
1 |
6 |
Les Cahiers de la quinzaine et
la presse russe du tournant des XIXe et XXe siècles
(rés.) (en
coll.) |
1 bis |
5-6 |
|
Les Cahiers de la quinzaine de
Charles Péguy et la presse périodique russe des années 1880 à 1914 (en coll.) |
2 |
38-45 |
|
La Jeanne d’Arc de Dimitri
Mérejkovski et de Sergueï Obolenski (en coll.) |
7 |
9-16 |
|
Notre jeunesse et le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc traduits
en russe. Réflexions sur le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc traduits
en russe. |
8 |
73-76 |
|
Paris, Pétersbourg, magnifiques et
contradictoires |
12 |
27-37 |
|
Les jeunes écrivains aux Cahiers de
la quinzaine |
14 |
69-71 |
|
Charles Péguy et Vladimir Korolenko |
17 |
70-72 |
|
Hélène S. Domoratskaïa |
Aux sources du surréalisme
littéraire : les symbolistes et Lautréamont |
9 |
35-38 |
L’image de Paris dans Nadja
d’André Breton |
12 |
106 |
|
La formation du langage
cinématographique dans le contexte de l’avant-garde parisienne (début du XXe
siècle) [rés.] |
17 |
22-23 |
|
Fédor Dostoïevski |
En quelle langue doit parler un futur
pilier de sa patrie ? |
13 |
49-51 |
Mathieu Dubost |
Penser le changement par l’image.
Réflexions sur Walter Benjamin |
15 |
12-18 |
Ekatérina You. Elizarova |
La pensée patriotique de Christine de
Pisan dans le Ditié de Jehanne d’Arc |
1 bis |
24 |
Le patriotisme de Christine de Pisan
dans le Ditié de Jehanne d’Arc |
2 |
4-13 |
|
Le juste gouvernement selon Christine
de Pisan (rés.) |
4 |
8-9 |
|
Christine de Pisan et le bonheur
maternel |
9 |
11-15 |
|
L’éducation religieuse et morale de la
femme dans Le Mesnagier de Paris |
12 |
84-85 |
|
V. E. Fedotova |
Valéri Brioussov et Paul Verlaine (en
coll.) |
15 |
19-23 |
Knut Ferlov |
Le premier article sur Péguy paru en
Finlande (1912) |
14 |
130-133 |
Vladimir Filimonov |
La pensée historique française et
russe (fin du XIXe et début du XXe siècle) :
Fustel de Coulanges et Karéïev (rés.) |
17 |
47-48 |
S. M. Fomine |
Charles Péguy Alain-Fournier et
Alexandre Blok : la révolution ou Dieu (rés.) |
1 bis |
8 |
Charles Péguy et Alain-Fournier :
la révolution ou Dieu |
2 |
34-37 |
|
Jean Garapon |
L’image des capitales d’Europe dans
les Souvenirs d’’Elisabeth Vigée-Lebrun, de Paris à Saint-Pétersbourg |
12 |
92-93 |
Françoise Gerbod |
Péguy lecteur de Victor Hugo (rés.) |
1 |
13 |
Elsa Godart |
Du mot à la chose |
13 |
74-75 |
Sincérité et foi chez Péguy poète |
14 |
112-117 |
|
Le déplacement de la sincérité dans la
religion de Jeanne d’Arc à Charles Péguy |
15 |
57-66 |
|
Nicolas Gogol |
En quoi consiste finalement l’essence
de la poésie russe |
13 |
47 |
« Le peuple russe est très
fort pour s’exprimer… » |
13 |
47-48 |
|
Jean-Pierre Goldenstein |
L’ancien et le nouveau jeu des vers
chez Blaise Cendrars |
15 |
28-35 |
Lioudmila Gourévitch |
Le violoniste Louis Paisible à
Saint-Pétersbourg |
12 |
89-90 |
Le violoniste français Pierre Rode en
Russie. Au croisement de deux styles (rés.) |
17 |
18-20 |
|
Vladimir Gourévitch |
Une troupe lyrique française à
Pétersbourg au XVIIIe siècle |
12 |
91-92 |
Tatiana A. Gourina |
La quête morale de Romain Rolland dans
Les Tragédies de la Foi |
9 |
47-53 |
L’image de Paris dans Les Thibault
de Roger Martin du Gard |
12 |
104-105 |
|
Catherine Guissina |
Les sources philosophiques de l’œuvre
d’André Malraux |
7 |
65-68 |
Jeanne d’Arc et les héros d’André
Malraux |
8 |
9-11 |
|
Lasse Heikkilä |
Finlande, I et II |
10 |
78-89 |
Terra Mariana, I et II |
10 |
90-99 |
|
Jeanne, I, II et III |
10 |
100-105 |
|
Avance |
10 |
106-108 |
|
Monique Jutrin |
Une lectrice de Péguy : Rachel
Bespaloff |
8 |
32-35 |
Moïsseï Kagan |
La Russie et la France :
l’histoire de leur relation et le problème du changement |
17 |
9-11 |
Nina N. Kalitina |
Les problèmes de l’art russe dans les
œuvres de critiques d’art français : Viollet-le-Duc, Louis Réau, Louis
Hautecœur (rés.) |
1 bis |
18 |
L’art figuratif russe et les critiques
d’art français (Viollet-le-Duc, Louis Réau, Louis Hautecœur) |
3 |
44-48 |
|
Jeanne d’Arc dans la sculpture
monumentale française |
8 |
83-85 |
|
Le thème de la ville dans l’œuvre de
Charles Meryon |
12 |
97-98 |
|
Le peuple et l’art. Les fêtes au temps
de la Révolution française. 1789-1799 (rés.) |
17 |
17-18 |
|
Katarzyna Kern R. Pereira |
Une clef pour la lecture du Porche
du mystère de la deuxième vertu |
4 |
38-49 |
Fatima-Petrograd de 1917 jusqu’à la
fin du XXe siècle (en coll.) |
11 |
63-66 |
|
« Celle qui intercède ».
Marie, icône de la miséricorde de Dieu dans la vie et l’œuvre de Péguy |
14 |
118-124 |
|
Rencontre de Varsovie. 11-14 septembre
2004 |
15 |
5-6 |
|
Ivan Khotéïev |
La mission française à Pétrograd lors
de la Première guerre mondiale |
12 |
103-104 |
E. V. Kiritchouk |
La dramaturgie de Michel de Ghelgerode
et l’esthétique d’Antonin Artaud |
11 |
49-52 |
Maria Korenman |
Les villes terrestres et la cité
céleste dans la vie de Jeanne d’Arc |
12 |
19-23 |
La canonisation de Jeanne d’Arc :
règle ou exception ? (rés.) |
17 |
31-32 |
|
Serge Korotkov |
« La Russie est l’endroit de
la terre où les Français bien pensants sont le plus considérés et le plus en
sûreté » (rés.) |
17 |
39-41 |
Ivan Kouratov |
La langue komi |
13 |
67 |
M. L. Koustikova |
Le socialisme utopique de Charles
Péguy (rés.) |
1 bis |
11-12 |
Michel Kouzmine |
« Vous avez tout pouvoir… » |
10 |
20-21 |
Tellervo Krogerus |
Une interprète finlandaise de
Péguy : Anna-Maria Tallgren-Kaila |
14 |
96-98 |
Pavel Valentinovitch Krylov |
La nationalité de Jeanne d’Arc :
l’opinion des contemporains et les débats historiographiques (rés.) |
1 |
15 |
La condamnation de Jeanne d’Arc par le
tribunal ecclésial et le problème des hérétiques (rés.) |
1 bis |
13-14 |
|
La condamnation de Jeanne d’Arc, le
Concile de Bâle et le problème de l’hérésie dans les années 1420-1430 |
3 |
3-7 |
|
La France et le projet de croisade
contre les Hussites (rés.) |
4 |
10-11 |
|
Les avatars médiévaux du « cinquième
type » |
6 bis |
48-49 |
|
Les Saintes Écritures dans la
vie de Jeanne d’Arc d’après les Procès et les témoignages des contemporains |
7 |
5-8 |
|
Un parallèle inattendu : Jeanne
d’Arc de Charles Péguy (1897) – Jeanne d’Arc de Luc Besson (1999) |
8 |
5-8 |
|
Mulier illiterata :essai sur la culture d’une femme du peuple au
Moyen-Âge d’après l’exemple de Jeanne d’Arc |
9 |
17-23 |
|
Rouen, Rouen mourrai-je cy ? Jeanne au bûcher et l’Ars moriendi au XVe
siècle |
16 |
21-32 |
|
La double monarchie
anglo-française : une possible alternative historique (rés.) |
17 |
33-34 |
|
Zygmunt Kubiak |
La langue polonaire, symbole de la
patrie |
13 |
53-58 |
Oskar Kuningas |
La Pucelle d’Orléans en Estonie (1987) |
11 |
69-71 |
Tarmo Kunnas |
Charles Péguy et l’argent |
14 |
75-81 |
L’homme en quête de Dieu. Dieu en
quête de l’homme |
15 |
67-68 |
|
Johanna Laasko |
Le finnois, langue du silence |
13 |
59-64 |
S. K. Lébédev |
Les relations bancaires franco-russes
à la fin du XIXe siècle |
11 |
25-26 |
Élizabeth A. Leguenkova |
Reflets de la philosophie de Bergson
et Pascal dans les essais philosophico-littéraires de Georges Duhamel |
1 bis |
23 |
L’élite intellectuelle dans la Chronique
des Pasquier de Georges Duhamel |
5 |
43-48 |
|
Péguy, un intellectuel
« anti-intellectuel » (en coll.) |
6 |
57-64 |
|
La Jeanne d’Arc de Dimitri
Mérejkovski et de Sergueï Obolenski (en coll.) |
7 |
9-16 |
|
Notre jeunesse et le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc traduits
en russe. Problèmes de traduction |
8 |
66-68 |
|
Le Paris nostalgique de Charles Péguy
et de Georges Duhamel |
12 |
43-44 |
|
Péguy et la révolution russe (en
coll.) |
17 |
66-70 |
|
Maija Lehtonen |
Jeanne d’Arc présentée aux enfants
protestants : « Jeanne d’Arc » de Zacharias Topelius |
14 |
21-28 |
Francine Lenne |
L’écriture comme art du dessin. De la
poétique de Charles Péguy |
4 |
50-59 |
Geraldi Leroy |
Introduction à la pensée politique de
Péguy |
14 |
55-58 |
Irina Loukianets |
Ville accusée, ville justifiée |
12 |
87 |
Malherbe |
Sur la Pucelle d’Orléans bruslée par
les Anglois |
13 |
78 |
I. A. Malikova |
Les Chroniques italiennes dans
l’œuvre de Stendhal (rés.) |
1 bis |
25-26 |
Youri P. Malinine |
L’esprit de conseil de Jeanne d’Arc
(rés.) |
1 |
12 |
Le patriotisme de Jeanne d’Arc I
(rés.) |
1 bis |
24 |
|
Le patriotisme de Jeanne d’Arc II
(rés.) |
4 |
12-13 |
|
Le Pas de Saumur et l’auteur de
sa relation poétique |
6 |
29-48 |
|
La formation de l’éthique de la
noblesse dans la France des XIVe et XVe siècles |
11 |
19-24 |
|
En mémoire de Vladimir Ilitch Raïtsess |
16 |
7-8 |
|
Ossip Mandelstam |
Reims et Cologne |
10 |
14-15 |
« J’ai vu un lac, mais
vertical » |
10 |
16-17 |
|
De la nature du verbe |
13 |
51-52 |
|
Mère Marie |
Du livre 1949
|
10 |
28-39 |
Du livre 1937
|
10 |
40-49 |
|
Éléonore Martino-Fristot |
La mémoire du siège de Léningrad de 1945 à
1999. la mémoire à l’époque des changements (rés.)
|
17 |
49-51 |
Annette Melot |
Les échos en Russie de l’invention de la
photographie par Niepce et Daguerre (rés.)
|
17 |
20-22 |
Françoise Michaud-Fréjaville |
Le médiévalisme de la Jeanne d’Arc de Péguy (1897)
|
14 |
42-50 |
L. V. Miguinskaïa |
Les relations littéraires
franco-russes : histoire de la question (rés.) |
1 bis |
19-20 |
Anne Mikhéïeva |
Tsarkoé Sélo dans le roman d’Henry
Gréville Dosia |
7 |
35-38 |
Pétersbourg, 19 février 1861, dans La
Princesse Ogherov d’Henry Gréville |
12 |
100-101 |
|
Sandra Miller |
Triades symétriques sur l’axe
Paris-Moscou : Picasso – Tatline – Archipenko, collage – relief –
construction (rés.) |
17 |
24-26 |
Camille Morando |
La présence des intellectuels russes
dans l’œuvre et la pensée de Georges Bataille |
6 |
105-124 |
Évocation de l’histoire des Ballets
russes de Pétersbourg à Paris : Olga Khokhlova et Pablo Picasso, Serge,
Léon, Alexandre, Mikhaïl, Igor, Vaslav et les autres |
12 |
111-126 |
|
Jean-Luc Moreau |
Les jardins de Babel |
13 |
7-13 |
V. V. Naoumov |
À propos de l’héritage linguistique de
la France (rés.) |
1 bis |
22 |
Georges Nivat |
Charles Péguy et Viatcheslav Ivanov.
La poésie religieuse en France et en Russie au sortir du positivisme |
17 |
72-77 |
Jussi Nuorteva |
Olavus Magni, l’Université de Paris et
Jeanne d’Arc |
14 |
9-13 |
You. B. Orlitski |
Tout cela est déjà chez les
Français (A. Blok) : évolution
de la décadence russe dans l’œuvre d’Alexandre Dobrolioubov |
11 |
41-43 |
George Orwell |
Le Néoparler : le vocabulaire de
classe A |
13 |
72-73 |
A. S. Pavlova-Roussinova |
Le rythme dans la nouvelle de Guy de
Maupassant À vendre |
5 |
37-42 |
Charles Péguy |
« Ce conseil, qu’elle avait
[…] » |
12 |
127 |
Voces vocatae |
13 |
41-44 |
|
Osmo Pekonen |
Quelques mots sur Lasse Heikkilä |
10 |
75-77 |
Aale Tynni |
10 |
109 |
|
Péguy en finnois : un aperçu
bibliographique |
14 |
125-129 |
|
Eugénie A. Petrova |
Romain Rolland et Lounatcharski |
5 |
25-30 |
La synthèse de la littérature et de la
musique dans le Théâtre de la Révolution de Romain Rolland |
7 |
51-56 |
|
Intelligentsia et Révolution.
Contribution à l’histoire de la polémique Romain Rolland – Henri Barbusse |
9 |
45-46 |
|
La traduction d’Eugénie Grandet
par Dostoïevski |
12 |
96-97 |
|
Valéri Brioussov et Paul Verlaine (en
coll.) |
15 |
19-23 |
|
Georges Peyronnet |
Dans quelle langue les Anglais
parlaient-ils à Jeanne d’Arc ? |
13 |
21-36 |
Z. N. Pilnikova |
Les relations littéraires
franco-russes : histoire de la question (rés.) |
1 bis |
19-20 |
O. O. Porochenko |
La solitude, phénomène socioculturel
du XXe siècle : figures de la subjectivité dans le
post-structuralisme français |
11 |
59-60 |
Natalia Pritouzova |
La Pucelle d’Orléans de Voltaire en traduction russe |
14 |
14-20 |
Vladimir Ilitch Raïtsess |
La légende du secret du roi (rés.) |
1 |
9 |
Régine Pernoud |
1 |
18 |
|
Jeanne d’Arc et l’habit d’homme |
1 |
19-26 |
|
La bergère de Domremy. Genèse et sémantique
d’une image |
16 |
9-20 |
|
Lioudmila Riabova |
Sur les origines de la pensée
anti-occidentale dans la pensée sociale de la Russie (rés.) |
17 |
41-43 |
Paul Ricœur |
Les paradoxes de la traduction |
15 |
7-11 |
Tatiana Sabourova |
L’image de la France dans l’intelligentsia
russe de la première moitié du XIXe siècle (rés.) |
17 |
43-46 |
N. You. Sakharova |
La mission culturelle et
intellectuelle des rapatriés de France : 1946-1966 (rés.) |
1 bis |
19 |
Kari Salosaari |
La vie de Jeanne d’Arc comme source de
récits |
14 |
29-32 |
M. Samarina |
Les problèmes de la renaissance
religieuse aux XIIe-XIVe siècles |
9 |
25-28 |
Wanda Sarna |
Péguy et Bergson : vers le
jaillissement de la vie |
6 |
49-56 |
Gerschon Lvovitch Séliber |
Charles Péguy (1915) |
6 bis |
8-21 |
Svetlana Slivinskaïa |
Paris d’André Malraux, reflets de
Saint-Pétersbourg |
12 |
107-108 |
La politique culturelle d’André
Malraux |
15 |
45-46 |
|
Tatiana V. Sokolova |
Marina Tsvétaïéva, traductrice de
Baudelaire |
3 |
49-59 |
L’égérie française : notes sur
Jeanne d’Arc dans le Journal d’un poète de Vigny |
4 |
14-20 |
|
Un épisode des Tableaux parisiens de
Charles Baudelaire |
12 |
98-99 |
|
Vladimir Solooukhine |
Les devises de Jeanne (1975) |
2 |
24-26 |
Nathalie N. Stépanova |
La figure de Jeanne d’Arc et les
conceptions esthétiques de Maurice Barrès (rés.) |
1 bis |
14-15 |
La figure de Jeanne d’Arc dans
l’esthétique de Maurice Barrès |
2 |
14-18 |
|
La caractère national dans la création
de Stendhal |
5 |
32-36 |
|
Barrès contre la Sorbonne |
6 |
69-73 |
|
La symbolique dans Le Jardin de
Bérénice, roman de Maurice Barrès |
11 |
45-48 |
|
Le Parallèle de Paris et de Londres
de Louis-Sébastien Mercier |
12 |
88-89 |
|
Sven Storelv |
Traduction de la poésie de Péguy en
norvégien et en suédois |
14 |
36-41 |
Péguy vu par Deleuze |
15 |
52-56 |
|
O. V. Stroganova |
Le libertin-comédien dans Les
Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos (en coll.) |
11 |
35-40 |
Jean-Pierre Sueur |
Une relecture de Notre jeunesse |
3 |
13-18 |
L’avenir des villes européennes |
12 |
7-8 |
|
M. Svetlov |
À l’étudiante de la faculté ouvrière
(années 1920) |
2 |
21-22 |
Jonathan Swift |
Une intéressante invention de l’École
des langues de l’Académie de Lagado, capitale de l’île de Balnibarbi |
13 |
71 |
S. A. Syratovskaïa |
Les Chroniques italiennes dans
l’œuvre de Stendhal (rés.) |
1 bis |
25-26 |
Igor Taïmanov |
Jeanne d’Arc sur la scène musicale
russe |
8 |
77-82 |
Tatiana Solomonovna
Taïmanova |
Actualité de la philosophie de Péguy
(rés.) |
1 |
11 |
Les Cahiers de la quinzaine et
la presse russe du tournant des XIXe et XXe siècles
(rés.) (en
coll.) |
1 bis |
5-6 |
|
« Pour décrire les différentes
facettes de mon âme… » (rés.) |
1 bis |
10-11 |
|
Mysticisme de la réalité :
Alain-Fournier et Charles Péguy |
2 |
27-33 |
|
Les Cahiers de la quinzaine de
Charles Péguy et la presse périodique russe des années 1880 à 1914 (en coll.) |
2 |
38-45 |
|
Jeanne d’Arc dans la correspondance
Maritain-Péguy : figure littéraire ou sainte ? |
4 |
21-26 |
|
Péguy, un intellectuel
« anti-intellectuel » (en coll.) |
6 |
57-64 |
|
La Jeanne d’Arc de Dimitri
Mérejkovski et de Sergueï Obolenski (en coll.) |
7 |
9-16 |
|
Notre jeunesse et le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc traduits
en russe. Présentation du projet |
8 |
62-65 |
|
L’image de la « pucelle
guerrière » dans les mentalités française et russe (en coll.) |
8 |
86-89 |
|
Le Paris poétique de Péguy |
12 |
39-42 |
|
Jeanne d’Arc et la conception de
l’histoire de Péguy |
14 |
51-54 |
|
Péguy et la révolution russe (en
coll.) |
17 |
66-70 |
|
A. Tarkovski |
L’arbre de Jeanne (1962) |
2 |
23 |
Iouri Konstantinovitch
Térapiano |
Charles Péguy (1953) |
11 |
73-76 |
N. V. Tichounina |
Les beaux-arts dans la poésie lyrique
de Verlaine |
9 |
29-33 |
Thanh-Vân Ton-Thât |
Proust, lecteur de Péguy |
14 |
90-95 |
Ivan Tourguéniev |
La langue russe |
13 |
48 |
À propos de Pères et fils |
13 |
48 |
|
Les mots de Potouguine |
13 |
48 |
|
Marina Tsvétaïéva |
Au pilori (1920) |
2 |
19-20 |
Jan Turnau |
Présentation de Jan Twardowski |
10 |
53-55 |
Jan Twardowski |
Saint François d’Assise |
10 |
56-57 |
Arbres |
10 |
56-57 |
|
Prière à Saint Jean de la Croix |
10 |
58-59 |
|
La grande et la petite |
10 |
58-59 |
|
Qui implore l’amour |
10 |
60-61 |
|
Lorsque tu dis |
10 |
60-61 |
|
Scrupules d’un ermite |
10 |
62-63 |
|
Attends |
10 |
62-65 |
|
Rien ne m’a brisé |
10 |
66-67 |
|
Le ciel |
10 |
66-67 |
|
Je crains Ton amour |
10 |
68-69 |
|
Hâtons-nous |
10 |
70-71 |
|
Aale Tynni |
À Reims |
10 |
110-113 |
Yves Vadé |
Anti-modernisme et modernité chez
Péguy |
4 |
63-72 |
Le Sacre du printemps. Un porche du vingtième siècle ? |
15 |
36-44 |
|
Romain Vaissermann |
Éditorial |
1 |
2-4 |
Tolstoï chez Péguy (rés.) |
1 bis |
4-5 |
|
Tolstoï chez Péguy |
2 |
46-55 |
|
Les Cahiers de la quinzaine de
Marcel Péguy et la Russie |
5 |
50-65 |
|
Le colloque de juin 1999 à
Saint-Pétersbourg |
6 |
3 |
|
Péguy en Russie. Charles Péguy et
Gerschon Séliber |
6 bis |
6-30 |
|
Errata et corrigenda
|
7 |
69-71 |
|
Michel Raslovlev, traducteur de Péguy
dans les années 1930 |
8 |
12-31 |
|
Les digressions de Charles Péguy |
12 |
67-79 |
|
Un phonéticien finno-ougrien :
Jean Poirot alias Jean Deck |
14 |
59-68 |
|
Pour une anthologie des poésies
johanniques |
16 |
33-34 |
|
Sophie Vasset |
Mark Twain et ses Personals
Recollections of Joan of Arc |
12 |
13-17 |
A. E. Vassiouchkine |
Péguy et le monde moderne |
4 |
73-78 |
Maurice Barrès et sa campagne pour la
défense des églises de France |
11 |
27-31 |
|
T. Vdovenko |
Heureux présage au seuil du XXIe
siècle (rés.) |
1 |
6 |
La France et les écrivains russes
(rés.) |
1 bis |
21-22 |
|
Baudelaire dans la littérature russe |
6 |
81-94 |
|
Verlaine |
La Pucelle |
13 |
79 |
Tatiana Emilianova-Victoroff |
Jeanne au bûcher : vers un mystère moderne |
8 |
90-104 |
« Je ne veux connaître que la
joie de donner… » |
10 |
23-27 |
|
Anne Igorevna Vladimirova |
Jeanne d’Arc dans l’œuvre de Paul
Claudel (rés.) |
1 |
10 |
Sur l’interprétation des mythes du
cycle thébain dans la dramaturgie de Jean Cocteau (rés.) |
1 bis |
6-7 |
|
« Pour décrire les différentes
facettes de mon âme… » (rés.) |
1 bis |
10-11 |
|
Fin de siècle : France et Russie
(rés.) |
1 bis |
16-17 |
|
Mysticisme de la réalité :
Alain-Fournier et Charles Péguy |
2 |
27-33 |
|
L’interprétation du cycle de Thèbes
dans la dramaturgie de Jean Cocteau |
3 |
60-69 |
|
Jeanne d’Arc dans la correspondance
Maritain-Péguy : figure littéraire ou sainte ? |
4 |
21-26 |
|
La structure du mélodrame et l’œuvre
d’Edmond Rostand |
7 |
47-50 |
|
Notre jeunesse et le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc traduits
en russe. Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc et le public russe |
8 |
69-72 |
|
La ville chez les auteurs français et
russes au tournant des XIXe et XXe siècles |
12 |
101-102 |
|
André Suarès : portrait de Jeanne
d’Arc |
14 |
72-74 |
|
Charles Péguy, écrivain des
changements |
15 |
47-51 |
|
Sergueï Vlassov |
La ville russe par les yeux des
voyageurs français |
12 |
93-95 |
Maximilian Volochine |
Charles Péguy (1915) |
8 |
107-113 |
Notre-Dame de Reims |
10 |
12-13 |
|
Guennadi Youchkov |
La langue komi |
13 |
68 |
Elga Yourovskaïa |
Des universitaires des deux villes
examinent les problèmes de l’art contemporain |
12 |
108-109 |
Deux révolutions : 1789 et 1917.
La place de l’art (rés.) |
17 |
15-17 |
|
Léon Zander |
Littérature française contemporaine
(1946) |
2 |
56-59 |
Espérance chrétienne (1949) |
2 |
60-63 |
|
Maria Żurowska |
Fatima-Petrograd de 1917 jusqu’à la
fin du XXe siècle (en coll.) |
11 |
63-66 |
Traduire Péguy dans une langue slave |
14 |
33-35 |
Le Porche Association
des Amis de Jeanne d’Arc et de Charles PÉguy 17
bis, rue des Grands-Champs 45 000 Orléans |
Téléphone :
02 38 53 24 98 |
Télécopie :
01 42 87 67 56 |
Courriel :
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Composition
du conseil de direction au 1er
décembre 2004 :
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Porche publie chaque année deux petits et un grand
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Muriel, Domaine de la Montellière, 41360 Lunay
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ISSN 1291-8032
[1] Un de nos plus grands regrets est de n’avoir pu retrouver les deux personnes qui ont enregistré la belle communication de Son Éminence Philippe Barbarin, cardinal-archevêque de Lyon. Ces personnes nous avaient promis de nous envoyer un double de la cassette enregistrée, et pris pour cela notre adresse. Nous n’avons aucune nouvelle d’elles et l’archevêché de Lyon ne les connaît pas. Je ne désespère cependant pas d’obtenir un jour de Mgr Barbarin, s’il trouve un moment de loisir, un texte qui reprendrait l’essentiel de ses propos.
[2] Le texte intégral de la conférence de Victor-Henry Debidour a été publié dans Le Porche, n° 16, juill. 2004.
[3] Mgr Guillaume Durand, Manuel pour comprendre la signification symbolique des cathédrales et des églises, Château-Gontier, La Maison de Vie, 1996, p. 29.
[4] Alain Néry, « Rouen, Bruges et Chartres : pierres poreuses des cathédrales chez Flaubert, Rodenbach et Huysmans » dans Joëlle Prungnaud (sous la dir. de), La Cathédrale, Villeneuve d’Ascq, Pressses de l’Université de Lille-III, « Travaux et Recherches », 2001, p. 118.
[5] Ch. Péguy, Le mystère de la vocation de Jeanne d’Arc, dans Œuvres poétiques complètes, éd. Marcel Péguy, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1967, p. 1255-1256.
[6] Ibid., p. 1256.
[7] J.-K. Huysmans, La Cathédrale, Plon, 1913, p. 259.
[8] Ch. Péguy, ibid., p. 1257.
[9] Ch. Péguy, Note conjointe, dans le tome II des Œuvres en prose complètes, éd. Robert Burac, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 1379-1380.
[10] Ch. Péguy, La Tapisserie de Notre-Dame, dans Œuvres poétiques complètes, éd. Marcel Péguy, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 898.
[11] Ch. Péguy, ibid, p. 904.
[12] Le Dictionnaire de rimes de Péguy, celui de Martinon, ne fournit que peu de renseignements pour l’analyse de la « Présentation ». Péguy juxtapose il est vrai « droite » et « étroite » (v. 25 et 28), « gendarmes » et « alarmes » (v. 134-135), « voyages » et « bailliages » (v. 150-151). Mais il n’hésite pas à utiliser des mots qui n’y figurent pas (« désassemblés », v. 7 ; « piétaille », v. 33 ; « Dourdan », v. 137). Le seul point intéressant, technique, est que le Martinon considère – et Péguy le suit – qu’on prononcer « meule » (v. 186) comme « seule », moyennant un simple alongement du son vocalique.
[13] B.A.C.P., n° 98, avr.-juin 2002, p. 196-219.
[14] Es XI-1, Rm XV-12. Aussi traduite : « tige », « tronc » et même « famille » d’Isaï (hébreu « Yishay »). Il est vrai que l’arbre de Jessé fait partie des trois baies de la cathédrale de Chartres épargnées par l’incendie de 1194.
[15] Art. cité, p. 200.
[16] Art. cité, p. 212.
[17] Es XXV-8, Os XIII-14, I Co XV-55. Art. cité, p. 211.
[18] On ne voit rien qui appuie la référence à l’Adsum que prononce le prêtre lors de son ordination (art. cité, p. 202) ni au Fiat de la Genèse au vers 62 (art. cité, p. 205)…
[19] Art cité, p. 202.
[20] Ainsi, les « deux bons apôtres » du vers 171 peuvent désigner Pierre et Paul (art. cité, p. 201) mais aussi les deux pieds du pèlerin (car l’expression « bon apôtre » est antiphrastique et désigna d’abord, ironiquement, un « homme malicieux » puis les pieds – sens attesté dès 1847 dans le Nouveau dictionnaire complet du jargon de l’argot, ou le langage des voleurs dévoilé d’Arthur Halbert), ou bien encore – par report poétique – Péguy et son ami Alain-Fournier, qui ne l’accompagna pourtant, le 14 juin 1912, que jusqu’à Dourdan (Jean Bastaire, Prier à Chartres avec Péguy, Desclée de Brouwer, 1993, p. 48 ; cf. l’ordre aussi étrange dans « l’absoute et la messe » au vers 346 : la première termine l’office des morts et se prononce autour du cercueil ou du catafalque). – S’il est évident que le premier pape se surimprime à la figure de Marie dans l’église-Église de pierre-Pierre (art. cité, p. 201 ; cf. Mt XVI-18 : « Tu es Petrus ») au vers 81, c’est en revanche saint Paul qui fut particulièrement « serviteur et témoin » (Ac XXVI-16 ; cf. v. 76). – S’il est possible que les vers 317-318 renvoient à la prophétie de Syméon (art. cité, p. 201 ; cf. Lc II-35) accomplie en Jn XIX-34, il faut avouer que le « tranchant du glaive » est une expression biblique très fréquente (Gn XXXIV-26, Jos VIII-24 et XIX-47, Jg I-8, Si XXVIII-18, Lc XXI-23, He XI-34).
[21] Nous restreignons cependant au vers 74 : « Qui ne fânera point au soleil de septembre » le rappel de la parabole du semeur (Mt XIII-4-7 ; cf. le même article qui attribue aux vers 73 à 80 ce rappel, p. 200-201).
[22] Art. cité, p. 209-210.
[23] Vers 337-340 ; un « coteau » paraît au v. 48. – La cooccurrence de « la cape et le manteau » ne semble pas provenir du livret français du Comte Ory de Rossini (créé en 1828) par Eugène Scribe et Charles-Gaspard Delestre-Poirson, où son page Isolier avoue au Comte : « Je voulais, d’une pèlerine / Prenant la cape et le manteau, / M’introduire dans ce château. » (acte I sc. 7, v. 26-28, soit à proximitié du rare « castel », à la rime). – Péguy, comme dans le tableau de Laurens, portait une cape.
[24] « Stella matutina », « Étoile du matin », et « Refúgium peccatórum », « Refuge des pécheurs » et « Turris Davidica », « Tour de David », v. 9, 65 et 353. Péguy a bien choisi de citer les Litanies, et non d’autres expressions aussi anciennement attestées : « Stella marina », « Lux matutina ». Les Litanies sont si présentes que Pauline Bernon m’indiqua lors du colloque que la « reine de majesté » du vers 193 (cf. v. 103) leur appartenait… ce qui ne s’avère pas le cas. En fait, « majesté » prend ici son sens iconographique (acquis au XIIe siècle, un siècle après ce même nouveau sens de « majestas » en latin médiéval) et désigne le type de la Vierge de Majesté, Sedes sapientiæ : dans une attitude statique et hiératique, assise sur un trône et couronnée comme une « reine » (la baie de la Vierge du portail royal de Chartres, la statue de Notre-Dame de Sous-terre ou celle du Pilier la montrent telle), soit elle porte et montre l’Enfant assis sur ses genoux, soit elle trône à côté de son fils glorieux au jour du Jugement (et le Christ trône effectivement en majesté dans l’œil central de la grande rose de Chartres).
[25] Comme au v. 1, Marie est nommée « Stella maris » (« Étoile de la mer ») dans le « Salva nos » plusieurs fois ainsi que dans une vingtaine d’autres chants liturgiques médiévaux. Saint Bernard explique par cette expression le nom de Marie.
[26] Le figuré « fardeau moral lourd à supporter » s’accorde aussi avec l’« immense peine » du vers 12, à la rime de même en bout de quatrain. J. Bastaire (op. cit., p. 72) admet que le pèlerinage permet à Péguy de confier tous ses soucis à la Vierge.
[27] J. Bastaire, op. cit., p. 42.
[28] Les Sept Traités ou Chapitres dorés, attribués à Hermès Trismégiste, décrit au chapitre VII les fruits de l’arbre solaire, dont la cuisson produit la teinture de la Pierre. L’ouvrage estime alors que « l’or est la très précieuse Pierre sans tache, tempérée, et ne peut être corrompue par le feu, l’air, la terre, ni l’eau ».
[29] Qui dit exactement : « Sancta Maria, Mater Dei, ora pro nobis peccatoribus, nunc, et in hora mortis nostrae. Amen. » Le seul chapelet de la « Présentation » est donc figuré : « De loin en loin surnage un chapelet de meules » (v. 18 ; cf. v. 186).
[30] « Ave Maria / Sancta Maria / Maria Mater Dei / Maria Mater Dei / Ora Ora pro nobis peccatoribus / Nunc et nunc et in hora / Nunc et in hora mortis / Nunc et in hora mortis nostrae / In hora mortis nostrae / Ave Maria ».
[31] Peut-être Péguy se souvient-il ici de Jules Renard qui définissait la Loire comme « un fleuve de sable parfois mouillé », ce qui est vrai surtout de la Loire moyenne.
[32] Dans Pierre Nozière au contraire (1899 ; livre I : « Enfance », chap. 7 : « Monsieur Debas », I), c’est la Seine qu’Anatole France nomme « fleuve de gloire », après avoir exprimé ses doutes quant au bien-fondé de la construction de la Gare d’Orsay : « Je l’attends à voir bientôt, au bord du fleuve de gloire, sur les vieux quais augustes, des hôtels construits et décorés dans cet effroyable style américain qu’adoptent maintenant les Francais, après avoir, durant une longue suite de siècles, déployé dans l’art de bâtir toutes les ressources de la grâce et de la raison. »
[33] Il ne s’agit pas de Saint-Chéron-du-Chemin, commune renommée Le-Gué-de-Longroi en 1838 et semble-t-il désignée par Péguy au vers 343, mais de Saint-Chéron tout court.
[34] Vers 170, qui fait peut-être un jeu de mot allusif. Et Goethe, lui-même, s’inspira apparemment du Tao Te King pour écrire : « Wer sich selbst und andre kennt, / Wird auch hier erkennen : / Orient und Occident / Sind nicht mehr zu trennen. » (« Qui se connaît lui-même et les autres / Reconnaîtra aussi ceci : / Orient et Occident / Ne peuvent plus être séparés. »)
[35] Poème « Le soir d’une bataille », dans les Poèmes barbares. – Le vers 56, « Un soleil qui descend dans un ciel écarlate », doit provenir moins du Cantique des cantiques (III-9-10 : « Le Roi Salomon s’est fait un lit de bois du Liban. / Il a fait ses piliers d’argent et l’intérieur d’or, son ciel d’écarlate, et au milieu il a placé celle qu’il aime entre les filles de Jérusalem. ») que du « Qaïn » des mêmes Poèmes barbares (v. 36-40) : « Vers le couchant rayé d’écarlate, un œil louche / Et rouge s’enfonçait dans les écumes d’or, / Tandis qu’à l’orient, l’âpre Gelboé-Hor, / De la racine au faîte éclatant et farouche, / Flambait, bûcher funèbre où le sang coule encor. » (cf. B 1530).
[36] « Après la bataille », v. 1-5 : « Mon père, ce héros au sourire si doux, / Suivi d’un seul hussard qu’il aimait entre tous / Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille, / Parcourait à cheval, le soir d’une bataille, / Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit. » et le chapitre XIV du livre premier de la deuxième partie des Misérables, chapitre intitulé « Le dernier carré » et où la phrase « Ulm, Wagram, Iéna, Friedland, mouraient en eux. » a pu rappeler à Péguy L’Année terrible et « Sedan », VI, v. 4, 11-12 et 17-18 : « Alors le groupe altier des batailles, Châlons, / […] Jemmape, Hohenlinden, Lodi, Wagram, Eylau, / Les hommes du dernier carré de Waterloo, […] Napoléon, plus grand que César et Pompée, / Par la main d’un bandit rendirent leur épée. »
[37] Vers 28 : « La route nationale est notre porte étroite. » renvoie à La Porte étroite (Société du Mercure de France, 1909) tout comme à Mt VII-14, Lc XIII-24.
[38] « Dans ce recourbement de notre blonde Loire » (v. 42) n’a pas oublié que, dans Les Trophées, « Sur le livre des Amours de Pierre de Ronsard » finissait comme suit : « Tout meurt. Marie, Hélène et toi, fière Cassandre, / Vos beaux corps ne seraient qu’une insensible cendre, / – Les roses et les lys n’ont pas de lendemain – // Si Ronsard, sur la Seine ou sur la blonde Loire, / N’eût tressé pour vos fronts, d’une immortelle main, / Aux myrtes de l’Amour le laurier de la Gloire. »
[39] La « glèbe féconde » du vers 61 utilise une épithète hésiodique (Les Travaux et les Jours, v. 117 : « ἐφέρε ζείδωρος ἄρουρα » ; Leconte de Lisle traduit : « terre féconde ») et homérique – qu’on retrouve chez Lamartine, dans l’épisode des laboureurs de Jocelyn (« Ô travail, sainte loi du monde, / Ton mystère va s’accomplir ; / Pour rendre la glèbe féconde / De sueurs il faut l’amollir ! »), ou chez Maurice Bouchor dans « Le Pain » (1906), où l’aliment éponyme est dit « gonflé de tous les sucs de la glèbe féconde ». Il est en effet question de la « glèbe féconde » dans l’Iliade (ch. II, v. 548 : « τέκε δὲ ζείδωρος ἄρουρα ») et l’Odyssée (ch. III, v. 3 : « ἐπὶ ζείδωρον ἄρουραν » ; IV, v. 229 : « φέρει ζείδωρος ἄρουρα » ; XI, 309 : « θρέψε ζείδωρος ἄρουρα »).
[40] Comparer le vers 324 et « Græcia capta ferum victorem cepit ».
[41] « Quand nous aurons posé la cape et le manteau » (v. 338) vient du poème « À des journalistes de robe courte » (Les Châtiments, livre IV : « La religion est glorifiée », pièce 4, v. 74 et 76-80) : « La Bible en vos greniers pourrit mangée aux vers. / […] / Vos cœurs sont là, tout grands ouverts. // Vous insultez le juste abreuvé d’amertumes. / Tous les vices, quittant veste, cape et manteau, / Vont se masquer chez vous et trouvent des costumes. / On entre Lacenaire, on sort Contrafatto. » En revanche, malgré quelque pressentiment, le vers 176, « Voici la juste plaine et le secret effroi », ne nous a pas mené vers quelque poésie d’Hugo ; seule Notre-Dame de Paris (livre IX, chap. 1) vit Quasimodo qui « gravit lentement l’escalier des tours, plein d’un secret effroi que devait propager jusqu’aux rares passants du Parvis la mystérieuse lumière de sa lampe montant si tard de meurtrière en meurtrière au haut du clocher. / Tout à coup il sentit quelque fraîcheur sur son visage et se trouva sous la porte de la plus haute galerie. L’air était froid […]. / Il baissa la vue et contempla un instant, entre la grille de colonnettes qui unit les deux tours, au loin, à travers une gaze de brumes et de fumées, la foule silencieuse des toits de Paris, aigus, innombrables, pressés et petits comme les flots d’une mer tranquille dans une nuit d’été. »
[42] Le vers 6 parodie « Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. » et le 328, « Le Rhin allemand » (str. 2) : « Nous l’avons eu, votre Rhin allemand. / Son sein porte une plaie ouverte, / Du jour où Condé triomphant / A déchiré sa robe verte. / Où le père a passé, passera bien l’enfant. », poème qui finit d’ailleurs par l’évocation d’autres cathédrales que Chartres : « Qu’il coule en paix, votre Rhin allemand ; / Que vos cathédrales gothiques / S’y reflètent modestement ; / Mais craignez que vos airs bachiques / Ne réveillent les morts de leur repos sanglant. »
[44] Le vers 356, « Et contempler de loin votre jeune splendeur. » est à rapprocher d’une des Hymnes à la nuit (VI : v. 31-34) qui décrit « Die Vorzeit, wo in Jugendglut / Gott selbst sich kundgegeben », c’est-à-dire « ce passé où, dans sa jeune splendeur, Dieu en personne s’est manifesté ». Il n’est pas impossible que cette réminiscence ne soit confortée par les Litanies invoquant Marie comme « Splendeur de la Création », qui l’invoquent aussi, antérieurement, comme « Héritière de la promesse » (cf. v. 347 : « Reine de la Promesse »).
[45] Voici les tercets du sonnet « Nous prospérons » (dans La Justice, Lemerre, 1878, p. 162) : « La tâche humaine est longue, et sa fin décevante : / Des générations la dernière vivante / Seule aura sans tourment tous ses greniers comblés ; / Et les premiers auteurs de la glèbe féconde / N’auront pas vu courir sur la face du monde / Le sourire paisible et rassurant des blés. » Comparez avec les vers 2, 3 et 61 de la « Présentation de la Beauce » chez Péguy.
[46] L’expression poétique de « commun trépas » (v. 80) provient du moins d’un proverbe latin pour la première fois attesté dans les Adages (chiliade III, centurie 9, n° 12 : « Mors omnibus communis »). Dans ses Stances, Philippe Desportes écrit déjà : « Tous mes maux prendront cesse en ce commun trépas » (v. 49 de « Enfin les dieux bénins ont exaucé mes cris… ») et Malherbe demande dans sa Consolation à M. du Périer (v. 5-8) : « Le malheur de ta fille au tombeau descendue / Par un commun trépas, / Est-ce quelque dédale, où ta raison perdue / Ne se retrouve pas ? »
[47] Vers 276 : « Ni dans nos pantalons nos jambes engourdies. » Dans L’Île des esclaves (1715), scène première, l’esclave Arlequin réplique avec mauvaise grâce à Iphicrate qui l’invitait à partir avec lui : « J’ai les jambes si engourdies !… »
[48] Vers 208 : « De l’extrême horizon ce n’est point une yeuse ». On aura reconnu le chêne vert dit Quercus ilex.
[49] Les vers 49 et 53, qui se répondent (« Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce / […] / Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate ») ne doivent probablement rien à La Terre (deuxième partie, chap. V), où Zola décrit « la Beauce, l’antique grenier de la France, la Beauce plate et sans eau, qui n’avait que son blé, se mourait peu à peu d’épuisement, lasse d’être saignée aux quatre veines et de nourrir un peuple imbécile » (voir pourtant « l’antique Orléans », v. 46).
[50] Vers 68 : « dedans votre couronne. » Cet emploi, qui remonte au XIe siècle, surtout présent en prose et avec les prépositions « de » et « par », était déjà condamné par Vaugelas en 1647.
[51] Vers 161 : « devant l’aube », au sens temporel d’« avant » (cf. v. 282 : « Nous nous réveillerons dans une aube lustrale »). – Au vers 287, « devers la journée » (préposition de temps depuis le XIVe siècle) est à mettre en rapport avec cette même préposition au sens géographique dans Victor-Marie comte Hugo : « devers Saclay » et « le commencement du devers » sont cités de cette œuvre par le T.L.F.
[52] Ruy Blas, acte II, sc. 4 et Mémoires d’Outre-Tombe, partie II, livre 23, chapitre 1.
[53] Suivant un trajet identique à l’aller et au retour : « Nous, nous retournerons par ce même chemin. » (v. 329).
[54] Entretien du 27 septembre 1912 avec Joseph Lotte, F.A.C.P., n° 5, juill. 1949, p. 11.
[55] Lettre de Maritain à Baillet du 31 décembre 1908, p. 100 de Péguy au porche de l’Église, Cerf, « Textes », 1997.
[56] Où il déjeune à l’auberge ; J. Bastaire, op. cit., p. 47 et 58.
[57] Nous n’avons guère trouvé, dans la direction de l’Antiquité, que la Légende de la fondation d’Orléans par l’empereur Aurélien après la destruction de Cenabum par César (étude de Jacques Soyer, Orléans, Gout, « Mémoires de la Société d’agriculture, sciences, belles-lettres et arts d’Orléans », 1911), et, dans la direction des caractères de la ville, que la part protestante de son destin : « La différence de nos religions […] est cause du blâme secret que vous ne pouvez vous empêcher de me laisser voir. La vôtre est sévère et sérieuse, la nôtre est vive et tendre. On croit généralement que le catholicisme est plus rigoureux que le protestantisme, et cela peut être vrai dans les pays où la lutte a existé entre les deux religions ; mais en Italie, nous n’avons point eu de dissensions religieuses, et en Angleterre vous en avez beaucoup éprouvé ; il est résulté de cette différence, que le catholicisme a pris, en Italie, un caractère de douceur et d’indulgence, et que, pour détruire le catholicisme en Angleterre, la réformation s’est armée de la plus grande sévérité dans les principes et dans la morale. » (Madame de Staël, Corinne ou L’Italie, livre X, chap. 5).
[58] Vers 138. Une gare relie Dourdan à Paris depuis 1865, une usine à gaz et éclairage fonctionne à Dourdan dès 1867
[59] Des « dénivellements », v. 175, qui faisaient d’ailleurs un détour : « atermoiements », v. 174, vers le sud : « Nous sommes remontés par le Gué de Longroy. », v. 173.
[60] Le terme à la rime (v. 140) est propre que le T.L.F. définit comme un « ouvrage de fortification composé de deux faces qui forment un angle saillant vers la campagne et qu’on établit, de distance en distance, dans les circonvallations, afin que toutes les parties de l’enceinte se flanquent réciproquement ». Le château de Dourdan en effet, reconstruit par Philippe-Auguste, substitua un plan circulaire aux anciennes tours rectangulaires.
[61] « Classes préparatoires », 1914 ; « Classes élémentaires », 1914 ; « Classe de sixième », 1926 ; « Classes de grammaire et classes supérieures », 1921.
[62] « Classe de huitième », 1914 ; « Classe de septième », 1915.
[63] « Classes de quatrième et de troisième », 1923.
[64] 1932 : livre de l’élève ; 1936 : guide du maître.
[65] « Cours élémentaire » et « Cours moyen » avec R. Thabault, M. Piquin et G. Texier, 1936 et 1937 ; « Certificat d’études », avec Hector Arnould, 1937, « Deuxième cycle, cours supérieur, classe de 6e moderne, cours préparatoires aux E.P.S. et aux cours complémentaires », avec R. Thabault et Mme Danos, 1942 ; « Cours moyen et supérieur. Classes de septième et de sixième » avec R. Thabault, 1951.
[66] Avec S. Blin et R. Thabault (Delagrave, 1940).
[67] Delalain, « Collection classique », 1928.
[68] Respectivement : « Classe de sixième », Belin, 1932 ; « Classe de cinquième et classes supérieures », Belin, 1933 ; « Classe de cinquième et classes supérieures », Belin, 1934.
[69] Respectivement : Les Belles-Lettres, « Études françaises », 1926 ; Belin, 1929 ; Delagrave, « Bibliothèque des chercheurs et des curieux », 1933.
[70] J. Bastaire (op. cit., p. 47) veut que Péguy ait dîné à Saint-Arnould, ce qui contredit la mention du bœuf en daube et même le plan fourni par lui-même (p. 107).
[71] Vers 3. Quant au vers 349 de la « Présentation » (« Quand nous aurons quitté ce sac et cette corde »), il correspond sensiblement à un autre vers d’Ève (P 1030).
[72] Entretien du 27 septembre 1912 avec Joseph Lotte, F.A.C.P., n° 5, juill. 1949, p. 11.
[73] Ibidem.
[74] Soit quinze ans après Péguy et non « vingt ans après », v. 326 ; l’exactitude n’aurait pas coûté de syllabes…
[75] Ce « défaut dans la cuirasse », v. 290. Certains datent sa mort du 20 ; J. Bastaire, du 24 ; nos recherches ont abouti au 21, sans certitude.
[76] Alain Fournier, Lettres au petit B., Fayard, 1966, p. 239.
[77] Ch. Péguy, Œuvres en prose complètes, éd. R. Burac, t. III, 1992, p. 677-678.
[78] Rappelons ici ses maintes déceptions : la rupture avec les socialistes, les relations conjugales et familiales extrêmement difficiles (surtout après son retour à la foi), ses amitiés brouillées, son renoncement douloureux à l’amour éprouvé pour Blanche Raphaël. Comme toile de fond à toutes ces expériences personnelles, Péguy vivait une inquiétude dévorante propre à son époque, celle de la dévalorisation profonde de l’homme comme être métaphysique. Son contemporain, Wladimir Rabinovitch dit « Rabi », écrit à ce propos des années plus tard : « Écoutons-le, entendons-le dénoncer, dans le Zangwill du mois d’octobre 1904, cette humanité qui s’affirme civilisée, et qui pourtant est tout entière investie par la barbarie, et cette barbarie qui peut jaillir à tout instant, toute ancienne, toute neuve, spontanément sous les apparents perfectionnements de cette civilisation ». Et il ajoute, ce qui cinquante ans après pèse lourd : « Les arrachements que l’homme a laissés dans le règne animal, poussant d’étranges pousses, nous réservant peut-être d’incalculables surprises » (Rabi, « La Fascination d’Israël chez Péguy », F.A.C.P., n° 146, février 1969, p. 28).
[79] Gravement malade et au comble de la détresse, le 10 septembre 1908, Péguy fait confidence à Joseph Lotte de sa nouvelle adhésion au catholicisme.
[80] Ch. Péguy, Note conjointe, dans Œuvres en prose complètes, éd. R. Burac citée, 1992, t. III, p. 1290.
[81] Cf. Ch. Péguy, Lettres et entretiens, dans C.Q. XVIII-1, 1927, p. 186.
[82] Cf. Le Petit Robert, vol. I, Le Robert, 1988, p. 1903.
[83] « Présent dans la nature même de notre existence corporelle et dans le monde de choses, [le symbole] produit une signification qui dépasse les phénomènes physiques. [...] L’homme [...] ne peut pas [...] fabriquer [les symboles]. Ce sont eux qui sont premiers, et qui constituent l’homme, dans son existence et dans son attitude religieuse » (Antoine Vergote, Albert Descamps & Albert Houssiau, L’Eucharistie. Symbole et réalité, Gembloux, Duculot, « Réponses chrétiennes », 1970, p. 14).
[84] Cf. Gershom Scholem, La Mystique juive. Je me suis servie de sa traduction portugaise : A mística judaica, Lisboa, Editora Perspectiva, 1972, p. 26-28.
[85] Cité par Gerschom Scholem, Le Messianisme juif. Essais sur la spiritualité du judaïsme, Calmann-Lévy, « Presses Pocket », 1974, p. 403. Il y ajoute : « En visant à fonder la tradition dans la Tora et à montrer qu’elle en découle, ces exégètes ont été les premiers à manifester une attitude à la fois créatrice et réceptive. Ils sont des maîtres parce qu’ils ont su comment tirer parti des données reçues ».
[86] Lc II-19.
[87] Lc II-51.
[88] Cf. Dom Pierre Miquel, op. cit., p. 275.
[89] Lc XV-17-20.
[90] Ch. Péguy, Le Porche du mystère de la deuxième vertu, éd. Jean Bastaire, Gallimard, « Poésie », 1986, p. 17.
[91] Ibid., p. 20 (c’est moi qui souligne).
[92] En l’espérance, « nous avons comme une ancre de notre âme, sûre autant que solide, et pénétrant par-delà le voile, là où est entré pour nous, en précurseur, Jésus, devenu pour l’éternité grand prétre selon l’ordre de Melchisédech » (He VI-19-20).
[93] Le Porche du mystère de la deuxième vertu, éd. cit., p. 20.
[94] Ibid., p. 22.
[95] Ibid., p. 89-90.
[96] C’est en rentrant en soi que le Fils prodigue « conçoit » son espérance et prend la résolution de partir vers le Père (cf. Lc XV-17-20).
[97] Le dépouillement et l’humilité ultime du Christ descendu sur la terre.
[98] Le Porche du mystère de la deuxième vertu, éd. cit., p. 74.
[99] « Une fine nuance de la langue française distingue entre les Pâques chrétiennes et la Pâque juive. Pour le linguiste, la différence est minime, puisqu’elle est d’origine récente; au Moyen-Âge encore, les deux termes se confondaient et, de toute manière, ils dérivent d’une racine commune. À travers le grec Pascha, Pâques et Pâque sont la transposition phonétique de l’hébreu pésah qui désigne, dans la Tora de Moïse, la nuit de l’Exode et la solennité qui la commémore d’âge en âge. [...] Ce pluriel et ce singulier reflètent une vérité historique significative. En effet, la spiritualité chrétienne et la spiritualité juive sont, dans leur enracinement, toutes deux pascales » (André Neher, Moïse et la vocation juive, Seuil, « Maîtres spirituels », 1956, p. 126-127).
[100] Le Porche du mystère de la deuxième vertu, éd. cit., p. 155.
[101] Histoire littéraire du sentiment religieux en France, depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours, t. III : « La conquête mystique, l’École française », Bloud et Gay, 1923 ; édition de référence : Colin, 1967. Péguy rencontra à plusieurs reprises l’abbé Bremond. Ce dernier devait préparer, pour la candidature de Péguy au Prix de l’Académie française, « le rapport très élogieux que Thureau-Dangin prononce sur Péguy le 7 décembre 1911 » (R. Burac, Charles Péguy, la Révolution et la grâce, Robert Laffont, « Biographies sans masque », 1994, p. 259).
[102] Id., p. 12. Bremond fait d’ailleurs un portrait littéraire contrasté de Bérulle (p. 11) : « Bonhomme d’Église et de Sorbonne, onctueux, pesant, naïf, maladroit jusque dans ses finesses, il n’a pas grand air. Nulle grâce naturelle, nul charme. Un sérieux constant et d’ailleurs sans majesté. Dans ses lettres, pas un sourire. Quand il écrit, il passe avec une placidité irritante, du plus haut sublime à l’accablant, à l’ennuyeux. Suis-je bien sûr d’avoir lu tout entières les dix-huit cents colonnes qu’il remplit dans l’édition Migne ? Ah ! qu’il nous fait payer cher les joies qu’il nous donne ! Non pas trop cher cependant. Quand son génie éclate, il dépasse tout. »
[103] Cf. Joseph Beaude, introduction à La Vie de Jésus (1626), Cerf, 1989, p. 11. Bérulle « propose précisément l’aspiration à goûter les instants comme des fragments d’éternité dont celui de l’Incarnation est le parfait exemplaire. Dans le plus fugace du temps qui passe s’inscrit la plénitude des Mystères du Verbe incarné ». Le titre de La Vie de Jésus n’a pas été choisi par Bérulle, c’est une œuvre posthume et inachevée.
[104] Urbain VIII appelait ainsi le cardinal de Bérulle.
[105] P. de Bérulle, La Vie de Jésus, op. cit., p. 154-155, 145, 87-88, 198 et 168 ; et Ch. Péguy, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne dans Œuvres en prose complètes, éd. R. Burac citée, 1992, t. III, p. 1405-1406 et 1318.
[106] Ch. Péguy, Note conjointe, p. 1407 ; P. de Bérulle, La Vie de Jésus, op. cit., p. 155.
[107] « En choses si grandes, il y a plus à penser qu’à dire, mais s’il est permis à notre enfance dans les choses divines de parler en bégayant, nous pouvons dire que cela est quelque chose des grandeurs et faveurs qui se passent en la Vierge lorsqu’elle prononce les paroles de ce sacré colloque dont apparaît l’état que nous devons faire de ce divin propos considéré en général », P. de Bérulle, La Vie de Jésus, op. cit., p. 143.
[108] Ibid.
[109] Ch. Péguy, Note conjointe, op. cit., p. 1406.
[110] Ch. Péguy, Note conjointe, op. cit., p. 1405.
[111] P. de Bérulle, La Vie de Jésus, op. cit., p. 147-148.
[112] Ch. Péguy, Victor-Marie, comte Hugo, dans Œuvres en prose complètes, éd. R. Burac citée, 1992, t. III, p. 300.
[113] P. de Bérulle, La Vie de Jésus, op. cit., p. 169.
[114] P. de Bérulle, La Vie de Jésus, op. cit., p. 155. Consulter Gérard Ferreyrolles, « Régimes du littéraire et du religieux », Littératures classiques, n ° 39 : « Littérature et religion », printemps 2000, p. 11.
[115] P. de Bérulle, La Vie de Jésus, op. cit., p. 155.
[116] Is XLV.
[117] Ch. Péguy, Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle, dans Œuvres en prose complètes, éd. R. Burac citée, 1992, t. III, p. 626-627.
[118] Consulter « L’Ève de Péguy », dans Œuvres en prose complètes, éd. R. Burac citée, 1992, t. III, p. 1216 sqq.
[119] Péguy cite notamment Pascal sur cet aveuglement des historiens à ce qui relève de l’ordre du cœur, fragment 331 dans l’édition de Philippe Sellier, op. cit., formule citée par Péguy dans Un poète l’a dit, dans Œuvres en prose complètes, éd. R. Burac citée, 1988, t. II, p. 808-809.
[120] J. Beaude, op. cit., p. 17.
[121] J. Beaude, op. cit., citation de Bérulle, p. 19.
[122] J. Beaude, op. cit., p. 154.
[123] Ibid.
[124] Ibid.
[125] Ch. Péguy, Note conjointe, op. cit., p. 1405.
[126] Ibid.
[127] Ibid.
[128] Ch. Péguy, Note conjointe, op. cit., p. 1407.
[129] Ibid.
[130] Ibid.
[131] Voir Ch. Péguy, Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle, dans Œuvres en prose complètes, éd. R. Burac citée, 1992, t. III, p. 716-721.
[132] Ch. Péguy, Note conjointe, p. 1408, voir aussi la page 1402 : le présent échappe à tout déterminisme, à toute déduction mathématique. C’est une définition possible de la fécondité et de la création.
[133] Ch. Péguy, Note conjointe, p. 1406.
[134] Ch. Péguy, Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle, op. cit., p. 603.
[135] Ch. Péguy, Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle, op. cit., p. 751 et P. de Bérulle, La Vie de Jésus, op. cit., p. 150.
[136] « Il faut peser la perpétuité de ces mystères en une certaine sorte : car ils sont passés en certaines circonstances ; et ils durent et sont présents et perpétuels en certaine autre manière. Ils sont passés quant à l’exécution, mais ils sont présents quand à leur vertu, et leur vertu ne passe jamais, ni l’amour ne passera jamais avec lequel ils ont été accomplis. L’esprit, donc l’état, la vertu, le mérite du mystère, est toujours présent. L’esprit de Dieu par lequel ce mystère a été opéré, l’état intérieur du mystère intérieur, l’efficace et la vertu qui rend ce mystère vif et opérant en nous, cet état et disposition vertueuse, le mérite par lequel il nous a acquis à son Père et a mérité le ciel, la vie et soi-même ; même le goût actuel, la disposition vive par laquelle Jésus a opéré ce mystère est toujours vif, actuel et présent à Jésus. Tellement que s’il nous était nécessaire, ou s’il était agréable à Dieu son Père, il serait tout prêt à partir et à accomplir de nouveau cette œuvre, cette action, ce mystère. Cela nous oblige à traiter des choses et mystères de Jésus, non comme choses passées et éteintes, mais comme choses vives et présentes, et même éternelles, dont nous avons aussi à recueillir un fruit présent et éternel ». (Opuscules de piété, « De la perpétuité des mystères de Jésus Christ » [1644], éd Jérôme Millon, Grenoble, 1997, p. 240).
[137] Ch. Péguy, Note conjointe, op. cit., p. 1318.
[138] Ibid.
[139] Anne Ferrari, Figures de la contemplation. La « rhétorique divine » de Pierre de Bérulle, Cerf, « Histoire », 1997, p. 389.
[140] He X-5. Bérulle a explicité cette portée éternellement salvifique des actes du Christ. Ingrediens mundum (He X-5, et Ps XXXIX-7-9), cette formule est longuement glosée dans La Vie de Jésus, ouvrage consacré à l’instant seul de l’Incarnation.
[141] Voir Paul Cochois, Bérulle et l’école française, Seuil, « Maîtres spirituels », 1963, p. 75.
[142] Opuscules de piété, op. cit., p. 276.
[143] Aron Kibedi-Varga, « La rhétorique et ses limites », dans Carole Dornier & Jürgen Siess (sous la dir. de), Éloquence et vérité intérieure, Champion, 2002, p. 21-40.
[144] René Char, Fureur et Mystère, Seuls demeurent (1945), 1re éd. : Gallimard, 1962 ; édition de référence : 1967, p. 73.
[145] Gorki et Léonid Andréïev. « La correspondance inédite », dans L’héritage littéraire, t. 72, Moscou, 1965, p. 266.
[146] La littérature russe entre les deux siècles (de 1890 au début des années 1920), Moscou, vol. I, 2000 ; vol. II, 2001.
[147] A. Blok, Œuvres complètes en 8 volumes, Moscou-Léningrad, 1963, vol. 7, p. 22.
[148] A. Blok, op.cit., vol. 5, p. 278.
[149] A. Blok, op. cit., vol. 3, p. 302 (c’est nous qui traduisons, E.B.).
[150] S. Velikovsky, La Spéculation et les lettres. Essais sur la littérature française, Moscou – Saint-Pétersbourg, 1999, p. 266.
[151] A. Volynsky, «La lutte pour l’idéalisme», dans A. G. Sokolov, L’Histoire de la littérature russe de la fin du XIXe et du début du XXe siècles, Moscou, 1999, p. 223.
[152] S. Boulgakov, « L’art et la théurgie», dans S. Makovsky, Sur le Parnasse du siècle d’argent, Moscou, 2000, p. 34.
[153] Z. Hippius, « Les mémoires des réunions religieuses et philosophiques », Naché naslédiyé, 1990, n° 4, p. 68.
[154] S. Makovsky, op. cit., p. 35.
[155] Cf. P. P. Gaïdenko, Vladimir Soloviev et la philosophie du Siècle d’argent, Moscou, 2001, p. 370.
[156] N. А. Berdiaev, « L’idée russe », Voprosy filosofii, 1990, n° 2, p. 140.
[157] Z. Hippius, Œuvres. Poèmes. Prose, Léningrad, 1991, p. 47.
[158] Ibid., p. 48.
[159] A. P. Tchekhov, Œuvres complètes en 10 volumes, Moscou, 1963, p. 567.
[160] Archives littéraires, Moscou, n° 5, 1960, p. 106.
[161] S. P., « Dans le monde de l’art. Chez Léonid Andreïev », Russkoe slovo, n° 228, 5 octobre 1907.
[162] V. Véressaïev, Les Portraits littéraires, Moscou, 2000, p. 376.
[163] L. N. Andreïev, Œuvres dramatiques en 2 volumes, vol. 2, Léningrad, 1989, p. 219.
[164] F. M. Dostoïevski, Œuvres complètes en 30 volumes, Léningrad, 1980, vol. 20, p. 174.
[165] V. Véressaïev, op. cit., p. 376.
[166] « Léonid Andreïev sur Meyerhold », Segodnya, 20 septembre 1907.
[167] L. N. Andreïev, Extraits du journal intime. Cf. A. Bogdanov, « Entre le mur et l’abîme », dans L. N. Andreïev, Œuvres en 6 voumes, vol. 1, p. 37.
[168] Z. Hippius, op. cit., p. 47.
[169] S. Glagol’, « Requiem de L. Andreïev », Russkaya volya, n° 4, 18 déc. 1916.
[170] Abbé Jean Milet, « Péguy et le sens de l’Histoire », F.A.C.P., n° 61, sept. 1957, p. 8-20.
[171] Jean Onimus, « Péguy et le Mystère de l’Histoire », C.A.C.P., n° 12, 1958.
[172] Pie Duployé o.p., La Religion de Péguy, Klincksieck, 1965.
[173] François Bedarida, « Histoire et mémoire chez Péguy » ; Jérôme Grondeux, « Marrou et Péguy. Marrou et Péguy face à la connaissance historique », Michel Leplay. « Une théologie de l’histoire comme démarche infinie ».
[174] R. Rolland, Péguy, Albin Michel, 1944, t. II, p. 224.
[175] N. А. Berdiaev, Connaissance de soi (« Самопознание »), Léningrad, 1991, p. 67 (en russe).
[176] N. А. Berdiaev, Le Sens de l’Histoire (« Смысл истории »), Мoscou, 1990, p. 6 (en russe).
[177] Ch. Péguy, Œuvres en prose complètes, éd. cit., t. III, 1992, p. 5-6.
[178] N. А. Berdiaev, Le Sens de l’Histoire, op. cit., p. 18.
[179] N. А. Berdiaev, Le Sens de l’Histoire, op. cit., p. 21.
[180] Ch. Péguy, Œuvres en prose complètes, éd. cit., t. III, p. 6.
[181] Ibid.
[182] Ch. Péguy, Œuvres en prose complètes, éd. cit., t. III, p. 7.
[183] Ibid.
[184] Ch. Péguy, Œuvres en prose complètes, éd. cit., t. III, p. 6.
[185] Ibid.
[186] N. А. Berdiaev, Le Sens de l’Histoire, op. cit., p. 15.
[187] T. Taïmanova, « La Jeanne d’Arc et l’histoire selon Péguy », dans Le Porche, n° 14, déc. 2003.
[188] Page 11 de « Péguy et le sens de l’Histoire » de l’abbé Jean Milet, F.A.C.P., n° 61, sept. 1957, p. 8-20.
[189] N. А. Berdiaev, Le Sens de l’Histoire, op. cit., p. 84.
[190] Ch. Péguy, Œuvres poétiques complètes, éd. cit., 1975, p. 1070.
[191] Ibid., p. 1080.
[192] Ibid., p. 408.
[193] Ibid., p. 407.
[194] Ibid., p. 408.
[195] Ibid., p. 412.
[196] N. А. Berdiaev, Le Sens de l’Histoire, op. cit., p. 31.
[197] Voir André Rousseaux, « Le prophète Péguy. Introduction à la lecture de l’œuvre de Péguy », première partie : « Le Poète de l’incarnation », dans Les Cahiers du Rhône, n° 6, 1942.
[198] Ch. Péguy, Œuvres en prose complètes, éd. cit., t. III, p. 234.
[199] N. А. Berdiaev, Le Sens de l’Histoire, op. cit., p. 46.
[200] Ch. Péguy, Œuvres en prose complètes, éd. cit., t. III, p. 40.
[201] Ibid., p. 47.
[202] Ibid., p. 51.
[203] Ibid., p. 54.
[204] Ibid., p. 80.
[205] N. А. Berdiaev, Le Sens de l’Histoire, op. cit., p. 22-27.
[206] C’est nous qui soulignons.
[207] Elizabeth Kouzmina –
Karavaeva (1891-1945), poétesse du Siècle d’Argent russe, amie d’Alexandre
Blok, fut un membre actif du parti socialiste-révolutionnaire et maire de la
ville d’Anapa en 1919. Elle a échappé de justesse à l’exécution lors des
changements successifs de mains de la ville au cours de la guerre civile. Après
avoir émigré à Paris, elle y prit le voile en 1932 sous le nom de mère Marie et
se consacra à l’accueil ainsi qu’à l’aide matérielle aux émigrants russes. Arrêtée en 1943 pour
avoir caché des juifs dans les foyers qu’elle avait fondés, elle fut envoyée à
Ravensbrück où elle prit la place d’une codétenue envoyée à la chambre à gaz.
Elle périt ainsi le 31 mars 1945, à la veille de la libération du camp. Mère
Marie, son fils Youri et ses collaborateurs le père Dimitri Klépinine et Elie
Fondaminsky (tous morts en camp de concentration) viennent d’être canonisés par
le Patriarcat de Constantinople.
Voir : mère Marie, Le Sacrement du Frère, Sel de la Terre, 1re éd. : 1995, 2e éd. revue et augmentée : 2001 (recueil de textes et biographie spirituelle de mère Marie réunis par Hélène Klépinine-Arjakovsky) ; Laurence Varaut, Mère Marie, Saint-Pétersbourg – Paris – Ravensbrück, Perrin, 2002 ; « Je ne veut connaître que la joie de donner... », dans Le Porche, n° 10, juillet 2002, p. 23-49.
[208] Léon Zander, « Poète et prophète de l’espérance », dans B.A.C.P., n° 80, oct.-déc. 1997, p. 211-219 ; Nikita Struve, « Charles Péguy et les Russes de l’émigration », dans le Messager Orthodoxe, n° 138, 2003, p. 59-68 ; Romain Vaissermann, « Michel Raslovlev et Charles Péguy » dans Le Porche, n° 8, déc. 2001, p. 12-30.
[209] Œuvres poétiques complètes, éd. Marcel Péguy, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 1568-1570.
[210] « Глаза средь этой темноты кромешной / Привыкли в небе знаки различать / Они видали как рукой неспешной / Снял Ангел с Откровения печать ». Mère Marie, dans Stihi, poemy, misterii, vospominania ob areste i lagere v Ravensbrück (« Vers, poèmes, mystères, souvenirs de l’arrestation et du camp de Ravensbrück »), Oreste Zeluck, 1947, p. 33 (en russe). Les citations de mère Marie qui suivent renvoient toutes à cette édition, sauf mention contraire.
[211] Vladimir Weidlé, « Charles Péguy », Последные новости (« Dernières Nouvelles »), n° 6499, 12 janv. 1939 (en russe).
[212] Cité par Georges Lerminier, p. 104, note 3 dans « Charles Péguy et l’art du théâtre », C.A.C.P., n° 20, 1966, p. 103-109.
[213] Marie-Claire Bancquart, Les Écrivains et l’Histoire, Nizet, 1966, p. 354
[214] Par exemple : Simone Fraisse, Péguy et le Moyen Âge, Champion, 1978, p. 71, 91.
[215] Selon la terminologie de Jacques Rancière dans La Parole muette, Hachette, 1998.
[216] Michel Autrand, « La dramaturgie du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc », C.A.C.P., n° 28, 1986, p. 136-145.
[217] Page 88 : « сейчас меняют лик привычный мира ».
[218] Interlude VI : « Разрушенный полустанок » (« Petite gare en ruine »), p. 88-93.
[219] Page 34 : « все те же вы, бессметны в повтореньи, живые образы священных книг ».
[220] Voir Françoise Gerbod, « La poétique de l’Incarnation chez Péguy », B.A.C.P., n° 6, avr.-juin 1979, p. 93-114.
[221] On trouve une interprétation semblable dans les écrits du père Serge Boulgakov, confesseur de mère Marie et, dans le domaine de l’iconographie, sur l’icône de sœur Jeanne Reitlinger (Sussex).
[222] Ch. Péguy, Œuvres poétiques complètes, éd. M. Péguy, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 1567-1568.
[223] « Смотри, смотри – передние ряды / в нежданном ужасе тесняться. Что там ? » – Troisième juif : « Там видятся мне ангельские крылья, Серебрянные трубы там гремят / Господь мой, Страшного Суда преддверье... », p. 98.
[224] Иоанн : « Ты видишь ангела ? ты видишь латы ? » Прохор : « Не вижу я, от света слепнут очи. Везде разлит он, этот свет слепящий... Мне больно. Мне радостно... Отец, в крылатый мир вступаем / в мир царственной, священной белизны », p. 99.
[225] M. Autrand parle ainsi de la recherche par Péguy « d’une ouverture inachevée, de l’ouverture indéfiniment inachevée » du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (art. cit., p. 142-143).
[226] Ch. Péguy, « L’Argent suite », Œuvres en prose complètes, éd. R. Burac, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, t. III, p. 993-994 ; mère Marie, « Sous la signe de la perte » (« Pod znakom gibeli »), op. cit, p. 121.
[227] Ch. Péguy, « Mystère de la charité de Jeanne d’Arc », Œuvres poétiques complètes, éd. M. Péguy, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 374 ; mère Marie, « La Louange du travail » (« Похвала труду »), op. cit, p. 19-36.
[228] Communication « Péguy à la lumière de la théologie mystique de l’Église d’Orient », prononcée le 16 juillet 1971 à Cerisy-la-Salle et publiée en russe dans Le Messager (Вестник Р.Х.Д.), n° 183, I-2002, p. 144-162.
[229] Cité d’après le tapuscrit de l’article, Centre Charles Péguy d’Orléans, p. 15.
[230] Cité Nouvelle (Новый град) est le nom du mouvement et de la revue fondés à Paris par Georges Fédotov dans les années 1930. Son programme était de « transfigurer la vie » dans un sens à la fois eschatologique et très concret, sous l’inspiration – entre autres – de mère Marie. La parenté de cette aspiration avec celle de Péguy a été remarquée par Fedotov dans son compte-rendu de la session du studio franco-russe consacré à Charles Péguy (déc. 1930) : « Au seuil de La Cité Nouvelle, on ne peut que se souvenir avec reconnaissance de l’auteur de la Cité Harmonieuse », Новый град, 1931, n° 1, p. 99.
[231] Vladimir Weidlé, ibid. : « по какому бы поводу он не писал, в каждом слове он сам, и за каждое слово он готов ответить ».