5.

 

PrÉsentation de la Saint-Do

À Notre-Dame de Lourdes

 

anonyme

 

Nous avons demandé à l’un de nos amis, qui nous avait fait lire ce poème, de nous autoriser à le publier. Il n’a rien à voir avec la Russie, l’évocation qu’il fait de ce groupe Saint-Dominique de scouts et routiers d’Algérie, pourra paraître « incongrue » à côté de ces études universitaires. Mais, d’abord, il n’est pas dit qu’un jour ne naisse pas du côté d’Alger un Centre Jeanne d’Arc-Charles Péguy, ensuite, ce poème nous permet de montrer, aux côtés de Robert Burac, qu’un pastiche peut être autre chose qu’une plaisanterie, qu’il peut être un acte grave et un geste d’émotion. L’auteur a voulu rester anonyme.

 

 

 

Mère, voici tes fils, de si loin accourus

Qu’ils arrivent à Lourdes un petit peu moulus,

Mère, voici tes fils qui vers toi ont couru,

Mère, voici tes fils tout ployants et fourbus,

Avec leurs maisonnées, leurs femmes et leurs brus,

Mère, voici la Saint-Do et tout son parentage,

Ses amis, ses anciens et leur pèlerinage,

Toujours prêts comme avant pour les appareillages,

Parés comme autrefois pour les grands abordages.

 

Ils entourent le Père à la barbe fleurie,

Ils entourent le Père comme une allégorie,

Le Père qui vient fêter un grand cinquantenaire,

Le Père qui vient fêter un noble anniversaire,

Encadré par ses fils comme une allégorie.

 

Dès qu’ils eurent franchi le Gave et ses galets,

Qu’ils furent devant toi venus s’agenouiller,

Tu les as reconnus, tous les deux cent cinquante,

Arrivant à la fois du fond de l’hexagone

Et qui se retrouvaient – en la trouvant bien bonne –

Après s’être connus autour des années trente

Et s’être séparés à la guerre de quarante

Après s’être trouvés vers mil neuf cent cinquante

Et s’être dispersés dans les années soixante.

 

Tu les as reconnus, eux et leur vaste engeance,

Leurs pièces rapportées au hasard des chemins,

Tu les as reconnus, eux et leur ambiance

Et le goût qu’ils avaient des chants et du bon vin.

Regarde ce braillard au front bas de taureau

Et cet autre, fartasse, aux bras tors et velus,

Et cet autre pareil à quelque grand chameau,

Regarde celui-ci, avec ses os rompus

Qui avance agrippé à ses longues béquilles,

Et celui-là, semblable à ces grands pachydermes

Dont aucune sagaie n’entamerait le derme,

Et cet autre, là-bas, avec sa bonne bille

Qui n’interroge plus le Père et l’avenir

Pour savoir si, vraiment, il devait bien venir.

Certains se sont rasés, pour se mieux rajeunir,

La barbe qu’ils portaient étant Supérieurs,

Certains se sont dopés, pour se ragaillardir,

Avec le cru du coin en regardant ailleurs.

 

Ni les bondieuseries de « Chez Sainte Sarah »

(dont une succursale existe à Fatima)

Ni les bustes de plâtre aux yeux qui vous poursuivent

Ni les gens qui se pressent et les gens qui se suivent

Ne peuvent te cacher la Saint-Do accourue,

Tant est grand le boucan qu’elle fait dans la rue.

 

Ce sont bien tes enfants qui viennent d’arriver,

Mère, ce sont bien ceux qui étaient à Rivet

Ou bien à Saint-Eugène, dans ton fier sanctuaire

Où ils montaient chercher ta bénédiction,

Où Monseigneur Leynaud, du plus haut de sa chaire

La leur administrait avec des postillons.

Mère, ce sont les mêmes, à peine un peu recrus,

Mère, ce sont les mêmes, certes un peu plus chenus

Mère, ce sont les mêmes, mais un peu plus perclus

Que lorsqu’ils cheminaient en lent pèlerinage

Vers toi, à la Salette, au printemps de leur âge,

Et qu’ils escaladaient, en un vaste abordage,

Les glaciers et les monts et les rochers sauvages

Pour porter à tes pieds leur foi et leur hommage.

 

Si tu les as trouvés tous un peu trop ventrus,

Si tu les as trouvés un peu hurluberlus,

Si tu leur as trouvé assez peu de vertus,

Si tu les as trouvés tous un peu éperdus,

Si tu les as trouvés un peu trop cabossés,

Si tu les as trouvés assez mal carrossés,

Si tu les as trouvés un tantinet fripés,

Si tu les as trouvés tous un peu dérangés,

Si tu les as trouvés un peu trop chahuteurs,

Si tu les as trouvés aussi un peu farceurs,

C’est qu’ils n’ont pas changé, ô Mère, et c’est parfait

Car depuis tant d’années ils ont aussi tant vu

Que c’est un pur miracle qu’ils aient tant retenu

De ces quelques années à la Saint-Do passées.

 

Tous ces hurluberlus et tous ces cabossés,

Tous ces olibrius et ces paniers percés,

Tous ces enquiquineurs et ces enquiquinés,

Tous ces aventuriers et ces enfants perdus,

Tous ces aventureux au ventre bien dodu,

Tous ces enfants partis et tous ces revenus,

Tous ces olibrius assez mal conservés,

Tous ces paniers percés tous un peu dérangés,

Tous ces aventuriers un peu embourgeoisés,

Tous ces petits bourgeois aux ventres bien tendus

Mère, ce sont tes fils qui te sont revenus.

Mère, voici tes fils qui se sont tant battus.

 

Mère, voici tes fils qui se sont tabassés

De Téniet-el-Haàd au Garigliano

Et qui sont revenus plus ou moins cabossés

Après avoir raflé fanions ou drapeaux

Sur les forts de Toulon ou les monts de Névache

Et plongé tour à tour casques et bonamaux

Dans l’eau dorée du Rhin ou la boue de l’Harrach.

 

Mère, voici tes fils, ceux qui sont revenus

Des grands camps de Tikjda ou du Mont Cassino,

Mère, voici tes fils, ceux qui se sont perdus

Dans les bois de Cham-Sin ou les rizières d’lndo-

Chine et qui sont pourtant restés de la Saint-Do.

 

Mère, voici tes fils qui se sont acharnés

À garder leur pays où beaucoup étaient nés,

Mère, voici tes fils qui se sont échinés

À garder le pays où ils sont incarnés,

Mère, voici tes fils qu’on a dépenaillés,

Et qui, aux quatre vents, sont allés s’égailler;

 

Mère, voici tes fils qu’on a dépoitraillés,

Mère, voici tes fils que l’on a dépouillés,

Mère, pardonne-leur s’ils ont dû ferrailler,

Mère, pardonne-leur s’ils ont dû mitrailler,

Mère, pardonne-leur s’ils ont pu dérailler.

Mère, voici tes fils qui ont tant besogné,

Et qui, de leur labeur, ont tout abandonné :

Leur terre et leur maison et la vigne et le blé

Et leur ville et la mer et le creux du rocher

Où ils avaient laissé ton image sculptée

Sur la haute montagne où ils allaient camper

Dans l’ombre bleue des cèdres, au plein cœur de l’été.

 

Tu n’a pas oublié, ô Mère Immaculée,

Dans la nuit bleue des cèdres les longues processions

Où la Saint-Do chantait en portant des flambeaux ;

Tu n’as pas oublié et ton intercession

À tes fils dévoués ne fera pas défaut.

 

 

 

Quelques-uns trouveront ce pastiche incongru,

Un peu blasphématoire et par trop farfelu,

Quelques esprits chagrins le diront saugrenu,

Bizarre, inconvenant et en tout cas trop cru

Pour que l’imprimatur lui puisse être obtenu,

Je me courbe d’avance aux avis des augures,

Car ce n’est pas pour eux que je l’ai composé

Mais en l’honneur de la Saint-Do, pour l’amitié

Et – pourquoi le cacher ? – aussi pour le plaisir

Et pour que vous gardiez de nous un souvenir,

Ô Mère, autre que ceux qu’on vend – et c’est dommage –

Dans les boutiques à Lourdes, et qu’on dit votre image.

Et qui justifieraient un bienheureux orage

Qui ferait jusqu’au Gave un vaste balayage,

Et qui accomplirait un bienheureux lavage,

Et qui justifieraient un horrible carnage,

Qui ferait dans les rues les plus affreux ravages,

Et qui motiveraient un immense saccage

Et le pic et le sel comme on fit pour Carthage,

Et qui justifieraient un vaste récurage,

Et qui mériteraient un grand dynamitage…

Si vous ne pensiez qu’après tout, ces joujoux

Sont autant de prières qu’on met à vos genoux

Et qu’il en faut aussi, bien sûr, pour tous les goûts.

 

Charles Péguy

avec son autorisation posthume présumée

1973